publié par babelouest (crisonnier) Hier 15H14
« De la crise et des idées reçues - Autorégulons ensemble »
Déposséder les banques du pouvoir de faire la monnaie
Par RST le mercredi, 19 août 2009, 20:05 - Monnaie - Lien permanent
J’ai déjà eu l’occasion de parler des monnaies libres ici et là. Je vous propose un texte du journal Le Monde très bien fait sur le sujet.
Et n'oubliez pas :
"la monnaie n'est pas fabriquée par une autorité centrale qui l'adosse à des réserves d'or ou d'argent ; elle est créée par les banques privées à partir des promesses de remboursement des emprunteurs"
Créer des monnaies par millions
LE MONDE | 18.08.09 | 14h04 • Mis à jour le 19.08.09 | 09h55
Ne dites pas à Roland Canonica qu'il contribue à changer le monde, il croit qu'il est banquier... Et c'est d'un ton placide, avec un bel accent helvète de Neuchâtel, qu'il explique au journaliste français étonné que la Banque Wir existe depuis 1934, et que, oui, elle gère sa propre monnaie, et que, ma foi, ça marche bien : 60 000 entreprises participent au système. Bien sûr, on a été un peu prudents, on visite tous les clients avant d'ouvrir un compte. Ah, un détail, les wirs ne rapportent pas d'intérêts.
Si M. Canonica est très heureux que vous l'appeliez, il n'est pas du genre à vous promettre que sa banque se pliera en quatre pour vous, et qu'il multipliera vos économies par miracle. "On vise le long terme", dit-il. Et, en passant : "C'est une opportunité pour résister à la mondialisation." En fait, la Banque Wir, dont M. Canonica se présente comme "le technicien", est un archétype des systèmes monétaires indépendants que de plus en plus de groupes divers veulent créer à travers le monde : elle crée et gère sa propre monnaie.
Elle est née en Suisse en 1934, au coeur de la crise économique, de l'union d'une quinzaine de petites entreprises : celles-ci voulaient pouvoir s'échanger leurs produits, alors même que, faute d'argent, le commerce était au point mort. L'idée était de s'ouvrir des crédits mutuels au sein d'un Wirschaft Ring ("cercle économique"). Ils seraient comptabilisés en une unité spécifique, le wir, de valeur égale à un franc suisse.
Comment cela fonctionne-t-il ? Quand l'entreprise A achète quelque chose à B, A reçoit un crédit et B enregistre le débit correspondant. Le débit en wir sera compensé par les ventes de B à un participant C, ou réglé en francs suisses, avec lesquels la convertibilité est totale.
Le système a fait ses preuves, de nombreuses autres entreprises s'y sont agrégées, l'organe de comptabilité a obtenu le statut bancaire. Mais cette banque présente une caractéristique remarquable : elle ne cherche pas à gagner de l'argent, juste à faciliter les transactions entre les participants. "Nous pratiquons un taux de 0,8 %, pour couvrir les frais, dit M. Canonica d'un ton détaché. C'est beaucoup moins qu'ailleurs." Le système prospère : soixante-quinze ans après sa création, il fait circuler chaque année plus de 1,7 milliard de francs suisses (1,1 milliard d'euros), et il est cité en exemple par un des meilleurs spécialistes mondiaux des monnaies complémentaires.
"Vous l'aimez cuit comment, votre saumon ? - Euh, comme vous voulez, ça ira." Bernard Lietaer reçoit très gentiment dans son grand appartement de Bruxelles, décoré de masques africains et asiatiques et de centaines de livres. Plutôt que de vous retrouver dans un restaurant, il prépare - avec talent, il faut le dire - le repas, tout en poursuivant la conversation.
Son amabilité recouvre une longue et originale expérience de financier. Au sein de la Banque royale de Belgique, il a appartenu à la petite équipe qui a conçu le système monétaire qui a conduit à l'euro ; puis, il est devenu gérant d'un des premiers fonds spéculatifs, le Gaia Fund, au début des années 1990. Il était alors un des plus gros acheteurs "d'options" à la City de Londres. Mais, aussi étrange que cela paraisse, il a quitté ce jeu qui ne répondait pas à ses aspirations, et a commencé à se passionner en intellectuel sur le phénomène monétaire, avant de promouvoir les monnaies complémentaires.
Pour comprendre sa démarche ou celle de la Banque Wir, il faut se rappeler un fait, si contraire au sens commun : la monnaie n'est pas fabriquée par une autorité centrale qui l'adosse à des réserves d'or ou d'argent ; elle est créée par les banques privées à partir des promesses de remboursement des emprunteurs. Et durant les dernières décennies, les banques se sont émancipées de toute autorité - avec les résultats que l'on sait.
"L'homogénéisation monétaire, dit M. Lietaer, a incontestablement facilité les échanges à chacune des étapes historiques, le passage à l'Etat-nation, puis la mondialisation. Mais elle a aussi pénalisé la capacité de gérer les problèmes qui se manifestent dans les économies locales. En même temps, la puissance financière a tendance à se concentrer dans un nombre sans cesse plus réduit de centres de décision de plus en plus éloignés du citoyen ."
Les conséquences sont néfastes. La monnaie est indifférente à la finalité de l'échange, et se moque de servir à enfouir des déchets toxiques ou à dispenser des cours d'alphabétisation. Elle pousse à des activités susceptibles de détruire l'environnement : "Quand une banque prête 300, il faut lui rendre 600. La croissance est nécessaire pour créer les 300 supplémentaires", explique Bernard Lietaer. La création monétaire étant aux mains des banques, elle conduit à la concentration d'argent d'un côté et à la sous-monétarisation d'une partie de la population mondiale de l'autre : "Cette rareté, écrit un autre spécialiste, Patrick Viveret, oblige les dominés à n'utiliser qu'une faible partie de leur potentiel d'échange et d'activité." Et puis, comme l'expérience actuelle le montre, le système financier est intrinsèquement instable.
La solution de Bernard Lietaer à tous ces maux ? "Il faut de la diversité monétaire, comme il y a de la biodiversité dans une forêt, afin d'amortir les chocs. Les sociétés matriarcales ont toujours eu un système de double monnaie : une pour la communauté dans laquelle on vit, l'autre pour les échanges avec l'extérieur. Il nous faut créer des monnaies complémentaires qui permettent aux communautés de satisfaire leurs besoins d'échange sans dépendre d'une autorité extérieure."
Le plus étonnant est que déjà, nombre de monnaies s'émancipent du système dominant : les bons de réduction dans les supermarchés, les "miles" des compagnies aériennes ou les chèques-déjeuner sont si courants qu'on n'y prête plus attention. A une échelle plus impressionnante, les "marchés d'émissions de gaz à effet de serre" mis en place par les Nations unies ou par l'Union européenne afin de parer au changement climatique ne créent rien moins qu'une nouvelle monnaie, la monnaie carbone.
Partout dans le monde, des communautés créent de nouvelles monnaies : les SEL (système d'échange local) permettent aux individus d'échanger leurs compétences, comptées en unités de temps. Les SOL (abréviation de solidaire), expérimentés en France par une dizaine de communes, fonctionnent sur carte à puce comme une carte de fidélité dans un magasin - sauf que c'est tout un réseau de magasins et d'institutions qui participent au système.
En Allemagne, plus d'une trentaine de monnaies régionales (appelées regio) ont cours. L'Argentine a passé le pire moment de sa crise financière, entre 1998 et 2002, avec des systèmes privés d'échange qui ont impliqué jusqu'à six millions de personnes. Au Brésil, dans un bidonville de Fortaleza, la Banco Palmas délivre depuis dix ans des microcrédits avec le palma , sa monnaie, qui présente un taux d'intérêt très faible. Elle a ainsi créé 3 200 emplois. D'autres villes brésiliennes commencent à imiter cette démarche.
Le mouvement est stimulé par l'affaissement du système financier capitaliste, et va prendre une autre ampleur grâce aux nouvelles technologies. Les téléphones portables deviennent un moyen de paiement électronique. Une possibilité de plus en plus appréciée en Afrique, où le système bancaire est défaillant : au Ghana, par exemple, TradeNet permet d'effectuer les transactions des matières premières agricoles sur le téléphone.
Internet pourrait permettre à des communautés autonomes de créer leur propre monnaie. Un réseau discret prépare cette mutation, dont Jean-François Noubel, cocréateur en son temps du serveur AOL, est un prophète : "La philosophie d'Internet peut s'appliquer à la monnaie comme elle l'a fait avec les médias, où l'on passe d'un système centralisé à un système où chacun est producteur et transformateur d'information. Il y aura ainsi des millions de monnaies, comme il y a maintenant des millions de médias. Il s'agit maintenant de fabriquer les outils d'interopérabilité, les protocoles permettant de mettre en réseau ce qui est fait."
Concrètement, des groupes expérimentaux commencent à définir des règles d'échanges et des registres de crédit, avec deux caractéristiques essentielles : les monnaies ne peuvent générer de phénomène spéculatif, et elles peuvent être pondérées par des paramètres définis en commun, comme par exemple la bonne réputation que s'attire chaque membre du réseau. De la même manière qu'Internet repose sur des protocoles tels que HTML (format de données conçu pour représenter les pages Web), le réseau "Metacurrency project" (projet monnaies libres) achève d'élaborer un protocole pour des monnaies libres.
Les banquiers qui tiennent les rênes des institutions monétaires laisseront-ils ce bouleversement arriver ? Jean-François Noubel ne s'en inquiète pas : "Le processus est énorme, il est dans l'air, il est en train d'arriver. On va déposséder les banques du pouvoir de faire la monnaie."
Hervé Kempf
Article paru dans l'édition du 19.08.09Lu sur Eco(dé)mystificateur :
http:// ecodemystificateur.blog.free.fr/index.php?post/2009/08/19/D%C3%A9poss%C3%A9der-les-banques-du-pouvoir-de-faire-la-monnaie
http://www.dazibaoueb.fr/article.php?art=5719
______________________________________________________________________________
publié par babelouest (crisonnier) Hier 14H53Banques: nationalisez les toutes!Eric Le Boucher, 20 août 2008
Les dirigeants de banques centrales se demandent s'ils n'auraient pas dû au début de la crise nationaliser l'ensemble des banques.
Les gouvernements ont été trop coulants avec les banques. Responsables de cette crise, elles ont obtenu des montagnes d'argent public et s'en sortent les premières, les dirigeants et les traders se servant au passage des bonus monstrueux. Ce débat, lancé par les prix Nobel Stiglitz et Krugman aux Etats-Unis et, vaguement repris par les gauches en Europe (très très très vaguement), a été tué dans l'œuf par l'administration Obama. Larry Summers, le conseiller de la Maison Blanche, et Tom Geithner, le ministre, ont expliqué qu'il n'y avait pas d'autre solution concrète. Point final. Et comme cette réponse avait reçu l'assentiment du saint homme président des Etats-Unis, personne n'est allé plus loin.
Et voilà que le débat reprend, et pas n'importe où: au cœur du cœur du dispositif. Le Président de la banque centrale de Kansas City, l'une des 12 banques régionales chapeautées par la Federal Reserve, un peu comme la Banque de France dans le système euro, Thomas Hoenig, a dit qu'il aurait fallu laisser les grandes banques faire faillite, liquider les actionnaires et les nationaliser. Et, accrochez-vous à votre feuille d'impôts, Ben Bernanke le patron de la Fed, a soutenu son collègue. Il demande que cette proposition soit débattue (encore que de façon informelle) lors du sommet de Jackson Hole, grande nouba annuelle des banquiers centraux mondiaux qui commence mercredi 20 août! On croit rêver!
Hoenig, jeune homme de 62 ans, est un faucon. Il a été membre des commissions de supervision des banques, il est connu pour avoir toujours pris des positions dures, contre l'inflation en premier. Et il a forgé ses convictions sur le sauvetage des banques lors de la crise d'une banque de l'Oklahoma en 1982 qui, faisant boule de neige, a poussé le gouvernement à nationaliser Continental Illinois.
Dans une conversation privée, il a expliqué que les banques sans assez de fonds propres ou qui ont perdu la confiance des investisseurs ne devraient pas être sauvées. Au contraire, l'Etat devrait les déclarer insolvables, virer les dirigeants et imposer aux actionnaires de prendre leurs pertes.
Ce point de vue a fait trainée de poudre. Hoenig a dû s'en expliquer devant le Sénat. Et beaucoup, dans les milieux des banquiers centraux, ont officieusement approuvé le sens de ses déclarations. Des milliards de dollars ont été apportés aux grandes banques américaines mais aucun effort ne fut demandé aux actionnaires: le contribuable a payé sans obtenir rien en échange. La philosophie était qu'il fallait à tout prix «sauver le secteur bancaire» comme «préalable» à toute reprise économique. Leçon était tirée de 1929 puisque le «laisser-tomber» des banques de l'époque avait créé la catastrophe.
Cette politique qui revient quand même à blanchir les coupables a soulevé des aigreurs dans les opinions publiques en Amérique comme en Europe mais que faire quand les autorités répondent «qu'il n'y a pas d'autres solutions», selon le fameux «TINA» de Thatcher (There Is No Alternative) ?
Hoenig en apporte une: exiger que les actionnaires des banques qui ont demandé l'aide de l'Etat soient pénalisés d'une façon ou d'une autre. L'idée n'est pas forcément de nationaliser les banques mais de faire payer les actionnaires. Voilà la seule manière de les responsabiliser - enfin!- et d'éviter que l'insouciance généralisée du milieu bancaire, cause de la crise des subprimes, ne se reproduise demain.
Le débat, on peut l'espérer, va s'ouvrir à nouveau dans le contexte de début de reprise économique qui voit les banques retrouver des profits record. Les autorités politiques se retrouvent sur la sellette: vous n'exigez donc rien des banques? En France, on regarde l'affaire par le petit bout de la lorgnette, les bonus des traders, tout en avouant d'ailleurs qu'il ne faut rien faire tant que les autres pays ne font pas pareil, sous peine d'abîmer «la compétitivité de la place de Paris».
Mais le sujet est beaucoup plus vaste: le sentiment d'impunité du secteur financier nourrit ce que Charles-Henri Filippi, ancien PDG de HSBC France, nomme «la dérive oligarchique» de nos sociétés dans un livre excellent dont j'avais gardé la lecture pour cet été «L'argent sans maître». Filippi qui se veut militant du « bon argent » dans la ligne du protestantisme de Max Weber, tremble à l'idée que les aigreurs populaires ne débouchent sur du populisme et du protectionnisme. Il réclame des mesures dures contre «l'argent prédateur» de la part des gouvernements pour qu'ils cessent de paraître en collusion avec « un groupe identifié de capitalistes privés avec lesquels il partage le pouvoir». Il dit, lui aussi, qu'on aurait du nationaliser les banques défaillantes.
L'ensemble de mesures qui seront prises à l'issue des G20 sur la régulation financière sont-elles suffisantes pour empêcher un retour à l'hyper-finance, ses mécanismes prédateurs et ses inévitables excès? Ou bien faut-il que les politiques marquent le coup beaucoup plus brutalement, sans forcément nationaliser car il y a des «solutions de marché», pour mettre les banques à raison? Merci à Tom Hoenig de rouvrir le vrai débat.
Eric Le Boucher
Image de Une: Graffiti sur un mur de la Banque d'Angleterre «Le gouvernement ment, les banques volent. Les riches rient» REUTERS
Lu sur Slate.fr :
http:// www.slate.fr/story/9391/banques-nationalisez-les-toutes
- - - - - - - - - - - - - -
Et hop ! plus d'actionnaires, voilà la différence. Plus de banques d'affaires. Les banques revenues à leur job de base : être au service de leurs clients, et non l'inverse. Une utopie ? Pas forcément, il suffit à ceux qui décident de justement décider, pour une fois.
commenter cet article …