Que savaient les ministres Pierre Moscovici et Manuel Valls au sujet des comptes à l'étranger de leur ex-collègue Jérôme Cahuzac? Ces deux piliers du gouvernement se trouvent-ils sur un siège éjectable?
Accusé par Mediapart, à l'origine des premières révélations de l'affaire Cahuzac, d'avoir "instrumentalisé les pouvoirs de l'Etat", Pierre Moscovici répond qu'il n'a "cherché ni à entraver la justice ni à blanchir un 'copain'".
REUTERS/Charles Platiau
Le cordon sanitaire tendu par le gouvernement et le parti socialiste autour de François Hollande et de Jean-Marc Ayrault, après les aveux de Jérôme Cahuzac mardi après-midi, semble avoir fonctionné. En partie. Car c'est désormais sur Pierre Moscovici et Manuel Valls que les critiques se concentrent.
Auraient-ils pu avoir accès à des informations confirmant l'existence de comptes bancaires détenus à l'étranger par l'ex-ministre du Budget, via l'administration fiscale pour le premier ou une enquête parallèle de la police pour le second? Auraient-ils alors tenté de couvrir Jérôme Cahuzac? L'UMP dénonce une "République des copains", tandis que Jean-Luc Mélenchon pointe une "chaîne du mensonge".
Premier maillon sur lequel les critiques se concentrent: Pierre Moscovici, ministre de tutelle de Jérôme Cahuzac qui faisait partie de l'équipe (pléthorique) de Bercy. Accusé par Médiapart, à l'origine des premières révélations de l'affaire Cahuzac, d'avoir "instrumentalisé les pouvoirs de l'Etat", il répond qu'il n'a "cherché ni à entraver la justice, ni à blanchir un 'copain'", prenant la défense de son ministre dont l'action a été "transparente, objective, diligente, sérieuse."
En cause: les échanges entre la Direction générale des finances publiques (DGFIP), qui dépend de Bercy, et les autorités suisses. La DGFIP leur a adressé une demande d'entraide fiscale, en vertu de la convention sur les échanges de renseignements qui unit les deux pays, le 24 janvier. Une semaine plus tard, les autorités suisses ont confirmé l'absence de compte au nom de Jérôme Cahuzac à l'UBS depuis 2006. Logique: il avait transféré ses fonds à la banque Reyl & Cie dès 2000. Cette réponse et l'ensemble du dossier ont alors été transmis à la police judiciaire.
Pourquoi n'être pas remonté plus loin que 2006? En raison de la prescription fiscale de six ans, comme l'expliquait un ancien inspecteur des impôts interrogé par L'Express en décembre. "Ce sont seulement les sommes depuis 2006 qui pourraient être imposées au titre de l'impôt sur le revenu et de l'ISF", détaillait-il.
Mais il ne s'agit pas ici d'un banal redressement fiscal... D'après le rapporteur général du Budget, le socialiste Christian Eckert, qui a pu consulter ces échanges franco-suisses, Paris en a tenu compte: "La demande faite aux autorités suisses a été faite dans les formes requises et demandait à titre exceptionnel une réponse plus large en termes de couverture temporelle que celle prévue par la convention", indique-t-il.
La Suisse a répondu qu'il n'y avait pas de comptes, mais c'est Pierre Moscovici qui l'a interprété comme ça
Peut-être l'équipe de Pierre Moscovici aurait-elle dû insister après la réponse suisse limitée à 2006... Peut-être aurait-elle pu, aussi, demander à la Suisse d'enquêter sur d'autres banques qu'UBS, comme Reyl & Cie... Et "pourquoi n'y a-t-il pas eu de démarches auprès de Singapour puisque l'éventualité d'un compte à Singapour apparaissait clairement dans la presse?", s'interroge enfin le président UMP de la commission des Finances du Sénat, Philippe Marini, qui a pu consulter ces documents.
Le ministre a reconnu avoir péché par "excès de confiance". Défense qui ne convainc toujours pas les critiques..."On ne lâchera pas Moscovici", a prévenu le député Claude Goasguen. "La Suisse a répondu qu'il n'y avait pas de comptes, mais c'est [Pierre Moscovici] qui l'a interprété comme ça, la réponse n'a pas été aussi claire que ça. (...) Pierre Moscovici pensait, en donnant ces éléments, que l'affaire allait être classée. Il doit s'expliquer", a aussi estimé Rachida Dati ce vendredi matin sur BFMTV.
Les critiques se concentrent aussi sur le ministre de l'Intérieur et sur les informations qu'il détenait, ou non, avant les aveux de Jérôme Cahuzac. Critiques potentiellement relancées par un lapsus de Manuel Valls, jeudi soir sur France 2. "Il y a des ministres qui ont trahi... Un ministre qui a trahi la parole qui était la sienne devant le président de la République et devant le peuple français", a-t-il déclaré. "Des" ministres? Que sait la Place Beauvau? A-t-elle mené une "enquête parallèle" qui aurait fait émerger des éléments compromettants... avant de les étouffer?
"Jamais le ministre de l'Intérieur Manuel Valls n'a donné de telles instructions. Toute conception contraire relève d'un autre temps et de pratiques révolues", affirmait-on place Beauvau, mercredi, dans un communiqué. "En aucun cas, il n'y a eu d'enquête parallèle, ni avant, ni pendant celle menée depuis le 8 janvier 2013 sous la direction du procureur de la République de Paris par les services de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ): division nationale d'investigations financières et fiscales (DNIFF) et sous-direction de la police technique et scientifique (SDPTS)", selon ce texte.
Manuel Valls et le ministère de l'Intérieur démentent avoir mené une "enquête parallèle" au sujet de Jérôme Cahuzac. Une "pratique révolue", selon la place Beauvau.
Reuters/Charles Platiau
Avant les fêtes de fin d'année, des informations avaient circulé faisant état de vérifications discrètes effectuées par des services de police, hors de tout cadre judiciaire, et dont le résultat, transmis à l'Intérieur, tendait à accréditer la thèse de l'existence d'un compte non déclaré de Jérôme Cahuzac en Suisse. Interrogées en décembre 2012, des sources gouvernementales avaient alors déjà démenti auprès de l'AFP ces informations.
En cas de remaniement, éventualité écartée par François Hollande, Pierre Moscovici et Manuel Valls font donc logiquement figure de "fusibles" potentiels.
S'il faut un fusible, Pierre Moscovici est en première ligne. Mais c'est à double tranchant...
"S'il faut un fusible, il (M. Moscovici) est en première ligne. Mais c'est à double tranchant, car s'il saute il n'y a plus de fusible...", souligne un conseiller ministériel. En pleine tempête économique à l'échelle européenne, ce serait un second interlocuteur privilégié de Bruxelles qui "sauterait", après Jérôme Cahuzac. Et pas des moindres. Sur les dossiers économiques et les négociations budgétaires, un porte-parole de la Commission européenne considérait récemment que "c'est le tandem qu'il forme avec Olli Rehn, le commissaire en charge des Affaires économiques et monétaires, qui crée une dynamique, bien plus que le ministre du Budget lui-même."
Mais un départ de Manuel Valls aurait sans doute davantage d'impact politique dans l'Hexagone. Bien plus médiatique, il est aussi plus populaire. Une denrée rare chez les socialistes par les temps qui courent. Une protection même, pour lui qui s'autorisait récemment à remettre en question l'autorité de Jean-Marc Ayrault dans les médias, lorsqu'il était interrogé sur la réaction qu'il aurait eu face à Arnaud Montebourg dans le dossier Florange. François Hollande n'a-t-il pas promis que le prochain couac ministériel pousserait son auteur vers la sortie, lors de son interview télévisée sur France 2? Son éviction du gouvernement en cas de remaniement provoquerait donc un électrochoc certain... mais semble vraiment improbable, popularité oblige.
http://www.lexpress.fr/actualite/politique/affaire-cahuzac-les-piliers-moscovici-et-valls-en-premiere-ligne_1237694.html
.