Mais, si la droite a désormais ouvert la chasse aux musulmans, on ne peut absoudre les médias et la gauche, y compris intellectuelle, pour la manière dont ils ont préparé le terrain depuis de longues années, en rejoignant les thèmes de l’extrême droite, au nom d’un soi-disant combat pour la laïcité, cache-sexe d’une xénophobie qui n’ose dire son nom.
L’odeur de la défaite flotte sur la Sarkozie. Il faudrait un miracle pour sauver le « président des riches », celui dont le quinquennat a signifié plus de privilèges pour les privilégiés, plus de fardeau pour les plus faibles. Et il faut l’incroyable culot du président sortant pour faire écrire sur un tract électoral intitulé « Cinq raisons de voter pour Nicolas Sarkozy » : « Je ne veux pas d’une société où les élites confisquent le pouvoir. »
Mais le chef de l’Etat s’accroche désormais à la seule bouée qui pourrait, pense-t-il, le sauver : la xénophobie, l’islamophobie, la haine des immigrés. La plupart de ses amis lui emboîtent le pas, certains avec un peu de gêne, d’autres — y compris des intellectuels — sans aucun état d’âme, comme Jean-Claude Casanova, directeur de la revue Commentaire et président de la Fondation nationale des sciences politiques, qui trouve normal que M. Sarkozy aille « là où sont les réserves de voix » (Libération, 26 avril).
Le président-candidat était l’invité, le jeudi 26 avril, de la matinale de France Inter. Il s’est dépassé, surtout dans le mensonge. Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose. Ses attaques ont porté d’abord contre Tariq Ramadan, qui aurait appelé à voter François Hollande, puis sur l’appel de sept cents mosquées à soutenir le candidat socialiste.
A propos de Tariq Ramadan (après lui avoir reproché les positions de son frère ! Un crime de parenté, sans doute), M. Sarkozy a évoqué la polémique sur la lapidation et lui a contesté le qualificatif d’intellectuel : « Je garderai ce terme pour des gens qui défendent d’autres idées. » Un intellectuel est donc quelqu’un qui défend les idées que Nicolas Sarkozy entérine... Notons que le commentateur Patrick Cohen lui en a donné acte : « Je vous l’accorde », on ne peut pas qualifier Ramadan d’intellectuel.
Drôle de position pour le modérateur, qui n’oserait jamais s’attaquer au qualificatif d’intellectuel affublé à Bernard-Henri Lévy... Rappelons à Patrick Cohen que Tariq Ramadan a été nommé à une chaire d’études islamiques contemporaines à l’Oriental Faculty de l’université d’Oxford et enseigne également au Saint Antony’s College de cette même université. Il est professeur de sciences islamiques contemporaines au département des sciences islamiques de la faculté du Qatar (rattaché à la Qatar Foundation) et chercheur (Senior Fellow) à l’université de Doshisha (Kyoto, Japon). Excusez du peu.
Selon M. Sarkozy, le 11 mars à Lyon, dans le cadre d’une dynamique intitulée Le printemps des quartiers, Tariq Ramadan, Marwan Muhammad, porte-parole du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), et Youssef Brakni, responsable du Parti des indigènes de la république (PIR), auraient « appelé publiquement les personnes présentes ainsi que leur entourage à voter pour François Hollande ou pour un parti politique qui serve l’islam ».
Interrogé sur ses sources et sur le fait qu’aucun média n’avait relayé ce soi-disant appel, le président a répondu : « Le vote communautaire ne s’étale pas dans les colonnes de la presse mais s’étale dans les réseaux communautaires. » C’est bien connu, ces gens-là agissent dans l’ombre... Cela ne vous rappelle rien — le complot juif par exemple ?
Il faut le dire : M. Sarkozy ment et il sait qu’il ment.
Nul ne doute que Claude Guéant et ses policiers suivent depuis longtemps les activités de ces groupes dangereux dont le président-candidat parle. Ils savent bien que ni Le printemps des quartiers, ni le CCIF et encore moins le PIR, dont les critiques à l’égard du Parti socialiste mais aussi de Jean-Luc Mélenchon ont souvent été vives, n’ont aucune chance d’avoir appelé à voter François Hollande.
Mais écoutons, au-delà des démentis de Tariq Ramadan lui-même [1], ce que disent les deux autres personnes et organisations incriminées :
Youssef Brakni, du PIR : « Cette déclaration témoigne soit d’une volonté caractérisée de mentir aux électeurs, soit que les services de renseignement de Sarkozy ont les oreilles bien sales. En effet, le meeting de Lyon n’avait aucunement pour objet de donner des consignes de vote mais d’imposer une parole des quartiers dans un débat politique qui se déroule sans eux. »
Marwan Muhammad, du CCIF, dénonce dans un communiqué « les propos honteux et mensongers » de M. Sarkozy et affirme que jamais le CCIF, « dans aucune de ses interventions, publiques comme privées », n’a appelé à soutenir François Hollande. Comme un seul mensonge ne suffit pas, Nicolas Sarkozy a relayé l’information de Marianne2.fr affirmant que 700 imams allaient appeler à voter pour M. Hollande (« Des recteurs de mosquées vont appeler à voter pour François Hollande », 25 avril »). Le moins qu’on puisse dire est que l’article est maladroit (et faux) et les tentatives de l’hebdomadaire de le justifier ne sont guère convaincantes (« Polémique des mosquées : pourquoi Sarkozy manipule », 26 avril.)
En fait, dès ce matin, Le Figaro publiait un article, « Polémique sur des appels de mosquées à voter Hollande », chef d’œuvre de désinformation et dont l’argumentation est exactement la même que celle du président de la République : l’information est fausse, mais elle aurait pu être vraie et elle reflète une dérive communautaire.
Quand on fait remarquer au chef de l’Etat que l’information est erronée et démentie, il déclare alors : « Vous voyez, j’ai bien fait d’en parler. » Puis il s’empresse de passer à la burqa, aux horaires des piscines, etc. Et l’animateur n’insiste pas sur le mensonge flagrant... Et, dans le feu du débat, Sarkozy a déjà expliqué que la fille ne ressemble pas au père...
Mais, si la droite a désormais ouvert la chasse aux musulmans, on ne peut absoudre les médias et la gauche, y compris intellectuelle, pour la manière dont ils ont préparé le terrain depuis de longues années, en rejoignant les thèmes de l’extrême droite, au nom d’un soi-disant combat pour la laïcité, cache-sexe d’une xénophobie qui n’ose dire son nom.
Un florilège de quelques incidents :
En janvier 2012, la nouvelle majorité de gauche au Sénat trouve une première action d’éclat à faire : interdire aux femmes qui portent le foulard de garder des enfants chez elles (sauf autorisation expresse des parents !). Qui est encore visé ? les femmes bien évidemment.
En mars 2011, des lycéennes musulmanes convoquées par la directrice d’un lycée qui trouve leurs jupes… trop longues
A l’automne 2010, exclusion d’une femme qui travaille dans une crèche parce qu’elle porte le foulard. Une grande partie de la gauche intellectuelle se mobilise contre... la femme.
En juin 2010, les autorités envisageaient sérieusement de déchoir un citoyen musulman, certes peu recommandable, de sa nationalité. Ce n’était hélas, pas possible.... Retour aux lois de Vichy sur les juifs ?
En septembre 2009, un livre, Aristote au Mont Saint-Michel, promu par le chroniqueur du Monde, cherche à démontrer que l’Europe ne doit rien à l’islam.
En juin 2009, l’Assemblée nationale ne trouve rien de mieux à faire, en pleine crise économique, que de créer une commission sur la burqa.
En septembre 2008, un « bobard » relayé par tous les médias, dont Libération, explique qu’un tribunal n’a pas tenu session pour cause de… ramadan
L’Express consacre sa « Une » (12-18 juin 2006) à « Islam, les vérités qui dérangent », avec trois sous-titres, « Le Coran et la violence », « Le sort des femmes », « La modernité impossible ? »
On pourrait continuer longtemps... « Unes » racoleuses, incidents mineurs montés en épingle, déclarations indignées, etc., ont alimenté l’idée du « on n’est plus chez nous ». La droite comme la gauche ont largement capitulé devant l’extrême droite. Le problème n’est pas seulement le score du Front national, c’est aussi que les idées xénophobes du FN polluent désormais le débat politique.
Amnesty International vient de publier un rapport sur les discriminations religieuses en Europe et en France (Europe : les musulmans victimes de discrimination parce qu’ils expriment leur foi). Souhaitons que le futur président les lise et prenne au sérieux les recommandations, plutôt que d’écouter les vents mauvais de la xénophobie portés par le FN.
.
Le problème est que Manuel Valls est sa propre caricature, même s’il s’abstiendra, du moins faut-il l’espérer, d’affirmer comme son prédécesseur qu’il y a trop de musulmans en France. C’est tout de même lui qui, se promenant un jour sur un marché de sa bonne ville d’Evry le 7 juin 2009 interpellait ses collaborateurs : « Belle image de la ville d’Evry… Tu me mets quelques Blancs, quelques White, quelques Blancos ! »
Non, M. Manuel Valls, le nouveau ministre de l’intérieur, ne fera sans doute pas de déclaration sur l’inégalité entre les civilisations. Il ne faudrait donc pas lui faire de procès d’intention. Il faudrait se garder de toute caricature.
Le problème est que Manuel Valls est sa propre caricature, même s’il s’abstiendra, du moins faut-il l’espérer, d’affirmer comme son prédécesseur qu’il y a trop de musulmans en France. C’est tout de même lui qui, se promenant un jour sur un marché de sa bonne ville d’Evry le 7 juin 2009 interpellait ses collaborateurs : « Belle image de la ville d’Evry… Tu me mets quelques Blancs, quelques White, quelques Blancos ! »
Manuel Valls ne représente pas grand chose dans son parti : il n’a récolté que 5,7 % des voix lors de la primaire d’octobre 2011. Il est vrai que cet admirateur de Dominique Strauss-Kahn et de Tony Blair aurait sans doute plus sa place au Nouveau centre ou au Modem de François Bayrou, dont il reprend les thèses économiques et sociales. Nicolas Sarkozy avait tenté de le débaucher en 2007 et Martine Aubry lui avait écrit une lettre ouverte en juillet 2009 : « Si les propos que tu exprimes reflètent profondément ta pensée, alors tu dois en tirer pleinement les conséquences et quitter le Parti socialiste. »
Mais Valls a su faire le bon choix, rester au PS tout en combattant tous les principes de la gauche et, finalement, accéder à un poste où il pèsera lourd dans les choix gouvernementaux des prochains mois sur la sécurité, l’immigration, l’islam. Concédons-lui donc le fait qu’il est un habile politicien, mais mettons entre parenthèses l’idée qu’il serait de gauche.
C’est sur le terrain de la sécurité que Valls a voulu se faire un nom, en montrant que la gauche pouvait être aussi répressive, voire plus, que la droite. Il a multiplié les articles et les livres sur le sujet, dont Sécurité, la gauche peut tout changer (Editions du Moment, Paris, 2011). Cet ouvrage rend un hommage appuyé et répété aux forces de l’ordre, sans jamais évoquer les violences policières, les jeunes assassinés dans les quartiers, les procès de policiers qui débouchent toujours sur des non-lieux. En revanche, il est impitoyable avec le terrorisme, ayant été un des seuls socialistes à exiger l’extradition de Cesare Battisti de France. Et aussi avec les délinquants, ces classes dangereuses dont la bourgeoisie a toujours eu peur. Valls ne regrette-t-il pas, dans son livre, que la gauche n’ait pas assez rendu justice à Clemenceau, l’homme qui n’hésitait pas, entre 1906 et 1908, à faire tirer sur les ouvriers au nom, bien sûr, de l’ordre républicain ?
Lors du soulèvement des banlieues de 2005, il a été l’un des trois députés socialistes à ne pas avoir voté contre la prolongation de l’état d’urgence, une décision qui ramenait la France à l’époque de la guerre d’Algérie. En octobre 1961, s’il avait été ministre de l’intérieur, Valls n’aurait certainement pas hésité à faire appliquer l’ordre républicain à tous ces Algériens qui osaient défier le couvre-feu (lire Sylvie Thénault, « L’état d’urgence (1955-2005). De l’Algérie coloniale à la France contemporaine : destin d’une loi »)…
Pour Valls, la violence dans nos villes « augmente de manière constante »depuis plus de trente ans. Il reprend les arguments de son ami Alain Bauer (lireLes marchands de peur. La bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire), l’homme qui a imposé à la gauche comme à la droite, le thème de la sécurité — avec l’aide active du Front National et de Jean-Marie et Marine Le Pen. Conseiller de Sarkozy, Bauer est aussi proche de Manuel Valls car, pour lui, la sécurité n’est ni de gauche ni de droite (l’économie non plus, sans doute...). Et personne ne sera trop regardant sur les médecines du docteur Bauer, l’homme qui propage la peur dans les villes et en profite pour leur vendre, à travers sa société AB conseils, et à prix d’or, les remèdes à l’insécurité. Un peu comme si un responsable de l’industrie pharmaceutique établissait les prescriptions pour les malades...
Nous ne reviendrons pas ici sur la critique détaillée de ses théories de la sécurité. Laurent Mucchieli, un des meilleurs spécialistes de la question et qui est plusieurs fois cité de manière élogieuse par Valls, a un diagnostic ravageur (« La posture autoritaire et populiste de Manuel Valls », lemonde.fr, 5 juin 2011). Critiquant Sécurité, la gauche peut tout changer qui vient alors de sortir, il présente deux remarques :
« La première est que M. Valls n’a pas un niveau de connaissance suffisant des problèmes. Nous l’avons vu, son diagnostic est globalement plutôt superficiel. Ses propos ressemblent étrangement aux discours de certains syndicats de police et parfois même d’un certain café du commerce. La violence explose, les délinquants rajeunissent sans cesse, il n’y a plus de valeurs et plus de limites, la justice ne fait pas son boulot, on les attrape le soir ils sont remis en liberté le lendemain... etc. En cela, M. Valls est proche d’un certain terrain politique : celui des plaintes de ses administrés, des courriers de protestation reçus en mairie, des propos entendus en serrant des mains sur le marché le samedi matin ou encore de ce que lui racontent les policiers municipaux de sa ville. Mais il est totalement éloigné de ce que peut-être le diagnostic global d’un problème de société et l’approche impartiale d’une réalité complexe. Telle est sans doute la condition ordinaire d’un responsable politique de haut niveau, dont on imagine l’agenda très rempli. Mais l’on attendrait alors de lui qu’il ait l’intelligence de comprendre les biais et les limites de sa position pour s’entourer de personnes capables de lui donner le diagnostic de base qui fait ici défaut. Encore faut-il toutefois le vouloir et ne pas se satisfaire de ce niveau superficiel d’analyse, au nom d’une posture volontairement très politique pour ne pas dire politicienne. C’est la deuxième hypothèse. »
Voici donc pour la compétence du nouveau ministre de l’intérieur. Par ailleurs, poursuit Mucchielli :
« C’est bien une posture politique qui irrigue fondamentalement la pensée de Manuel Valls, une posture politicienne même dans la mesure où elle vise manifestement à se distinguer en politique, en particulier vis-à-vis d’autres personnalités du parti socialiste. Cette posture, on la retrouve d’abord dans les pages consacrées à une sorte d’éloge de l’ordre comme “socle des libertés” (p. 58), comme on la retrouve à la fin du livre dans l’éloge de « l’autorité » qui serait aujourd’hui « bafouée » et « attaquée de toutes parts » (p. 156-157). De nouveau, c’est exactement aussi la posture qui traverse toutes les lois votées ces dernières années par ses adversaires politiques. »
Valls n’est pas seulement un défenseur de la sécurité, mais aussi uncontempteur du communautarisme et un pseudo-partisan de la laïcité (c’est évidemment tout à fait par hasard que les deux cibles de ses attaques sont les populations des quartiers populaires).
On ne compte plus les exemples de ces attaques contre un soi-disant communautarisme, c’est-à-dire, contre les musulmans : de sa volonté d’interdire à un Franprix de ne vendre que des produits halal — aurait-il interdit des magasins qui ne vendraient que des produits casher ? — à l’affaire de la crèche Baby Loup et au licenciement d’une employée qui portait le foulard. Après l’absurde décision de Nicolas Sarkozy d’interdire à des théologiens musulmans d’intervenir au congrès de l’UOIF, il a fait de la surenchère, non seulement en approuvant la décision mais en écrivant :
« Tariq Ramadan, leader européen de l’Internationale des Frères Musulmans, présenté par ailleurs comme un “intellectuel” muni d’un passeport suisse, doit s’exprimer le week-end prochain à Bagnolet. Il propagera les mêmes idées extrémistes que ceux qui ont déjà été interdits de territoire français. » Quelques jours plus tard, le candidat Nicolas Sarkozy à son tour, mettait en doute les qualités d’intellectuel de Tariq Ramadan. Quant à ces déclarations sur les idées « extrémistes » défendues par Ramadan, il devrait plutôt lire ses textes et écouter ses interventions.
On ne peut s’étonner alors que Manuel Valls fasse l’éloge du dernier livre de Hugues Lagrange, qui met en avant l’origine culturelle des immigrés pour expliquer les difficultés de l’intégration — rappelons que le même argument culturel était avancé pour expliquer les difficultés des immigrés juifs d’Europe centrale, italiens ou portugais à s’intégrer dans les années 1930, 1940 ou 1950 (lire Gérard Mauger, « Eternel retour des bandes de jeunes », Le Monde diplomatique, mai 2011.). Aucune idée de droite n’est vraiment étrangère à M. Valls.
Une dernière question : Manuel Valls est aussi signataire d’un appel indigne appelant à poursuivre les militants qui prônent le boycott des produits israéliens. Parmi eux, Stephane Hessel ou Alima Boumediene. Que fera le ministre de l’intérieur, alors que plusieurs de ces militants ont été relaxés par la justice, mais que certains restent poursuivis ?
.
Le colloque est organisé avec l’American Jewish Committee France. Imagine-ton, un instant, Terra Nova organisant un colloque sur la Palestine (ou sur les révolutions arabes) avec une organisation musulmane saoudienne ou égyptienne, même avec sa filiale française ?
Terra Nova est un « think tank progressiste indépendant » (sic), situé dans la mouvance du Parti socialiste mais qui se glorifie d’une indépendance consistant, le plus souvent, à mettre en cause les positions trop « dogmatiques » (c’est-à-dire trop à gauche) des socialistes. Et qui leur conseille, entre autres, de prendre leurs distances à l’égard des classes populaires réactionnaires et lepénistes (lire Alexander Zevin, « Terra Nova, la “boîte à idées” qui se prend pour un think tank », Le Monde diplomatique, février 2010).
Et, visiblement, Terra Nova s’inquiète d’un infléchissement (tout relatif) de la position du nouveau gouvernement sur l’Iran. Celui-ci a été signalé par George Malbrunot dans son blog L’Orient indiscret, « Laurent Fabius, réaliste sur le Moyen-Orient » (30 mai) :
« Sur l’Iran, “il n’y a pas lieu d’avoir compétition dans la fermeté”, déclare Laurent Fabius. Traduction pour les non initiés : Paris n’en rajoutera plus en se plaçant parfois au-delà des demandes américaines sur le dossier du nucléaire, ce qui revenait à épouser les thèses va-t-en guerre de Benjamin Nétanyahou, le Premier ministre israélien. Comme s’en sont plaints récemment au Washington Post deux anciens de l’administration américaine. Cela étant, sur le fond, la France restera ferme face à Téhéran, a insisté le ministre des Affaires étrangères, rappelant la double approche française : “des sanctions maintenues, et en même temps, des canaux de discussion afin de convaincre Téhéran de bouger”. »
Rappelons que, lors de son arrivée à la présidence, Nicolas Sarkozy avait mis ses pas dans ceux de George W. Bush et qu’il avait fait savoir, à plusieurs reprises, que les très relatives ouvertures du président Barack Obama sur le dossier iranien étaient trop importantes ; la France, disait-il, était la garante d’une fermeté dont pouvait se féliciter le gouvernement israélien. Pour mettre en œuvre cette politique de fermeté, le dossier iranien au ministère des affaires étrangères avait été monopolisé par la direction générale des affaires politique, le département ANMO (Afrique du Nord — Moyen-Orient) étant laissé à l’écart.
Ce qui caractérise la direction générale des affaires politiques depuis au moins une décennie, c’est qu’elle était solidement aux mains de néoconservateurs — des Américains avec un passeport français comme aurait dit Eric Besson. Des gens dont on dit, en matière de plaisanterie dans les couloirs du Quai d’Orsay, qu’ils n’ont jamais rencontré un Iranien de leur vie. Son responsable depuis juillet 2009 en est Jacques Audibert. Cet homme est peut-être sur un siège éjectable et la rumeur avait même couru qu’il n’allait pas participer au cycle de négociation sur le nucléaire iranien qui a eu lieu en mai à Bagdad.
L’important n’est pas là. L’infléchissement, même partiel, du discours français inquiète tous les néoconservateurs, de France, des Etats-Unis et d’Israël et c’est le sens du colloque organisé le lundi 25 juin par Terra Nova : « Peut-on stopper la prolifération nucléaire en Iran à des fins militaires ? ». Le colloque est organisé avec l’American Jewish Committee France. Imagine-ton, un instant, Terra Nova organisant un colloque sur la Palestine (ou sur les révolutions arabes) avec une organisation musulmane saoudienne ou égyptienne, même avec sa filiale française ?
La directrice de l’AJC Simone Rodan-Benzquen défend le gouvernement de Nétanyahou et explique benoîtement qu’il faut être deux pour faire la paix et elle s’émerveille : « En Israël, comment ne pas voir l’évolution du Likoud qui évoque aujourd’hui sans ambiguïté la création d’un Etat palestinien ? »
Et ce colloque verra-t-il vraiment un débat, ou ses conclusions sont déjà écrites ? A part Jacques Audibert, y participeront trois experts qui méritent, si l’on peut dire, le détour :
— Michel Taubmann, présenté comme journaliste et directeur de la revue Building, mais qui, à ses moments perdus s’emploie à réhabiliter ce pauvre DSK victime d’un odieux complot. Venu de l’extrême gauche, c’est un néoconservateur assumé, qui a défendu la guerre en Afghanistan en 2001 et l’invasion de l’Irak en 2003.
Il a été le rédacteur en chef de la revue néoconservatrice Le Meilleur des mondes. Lui qui ne connaît à peu près rien au Proche-Orient, ignore les langues qu’on y parle, a commis une biographie du président Ahamdinejad. Il y affirme : « Ahmadinejad a été choisi comme président de la République en 2005, parce qu’il est l’homme de l’affrontement avec les démocraties et du combat pour la destruction de l’Etat d’Israël. » Une telle ignorance des affaires internes iraniennes ne saurait surprendre d’un tel expert. Et le fait qu’aujourd’hui Ahmadinejad est mis sur la touche et perd les élections législatives en Iran l’amènera-til à conclure que l’Iran va faire la paix avec Israël ?
-Frédéric Encel, que le livre de Pascal Boniface qualifie à juste titre d’intellectuel faussaire, dont la seule légitimité est celle que lui donnent des médias complaisants. Partisan fervent d’Israël, conseiller du président du Conseil représentatif des institutions juives de france (CRIF, celui qui pense que le danger en France ce n’est pas Le Pen mais Mélenchon), intervenant régulier dans toutes les initiatives communautaires, il est un des experts (payé ?) d’une officine israélienne, Réalité-UE, qui orchestre une préparation psychologique aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe. Sur Encel, on pourra lire mon court article, « Apartheid », dans Le Monde diplomatique de novembre 2000), et l’article de Vincent Geisser dans « Frédéric Encel ou l’irrésistible ascension d’une géopolitique militante et sécuritaire ».
— last but not least, Bruno Tertrais. C’est le seul des trois dont on peut dire qu’il connaît le dossier, même s’il n’a jamais dissimulé ses positions assez fortement anti-iraniennes. Il est aussi parmi les experts officiels qui parlent pour Réalités-EU, ce qui ne manquera pas d’étonner.
Quelles conclusions ressortiront de ces travaux ? Il n’est pas besoin d’être devin pour le savoir. Mais quelques questions se posent : que va faire un représentant officiel Audibert dans cette galère ? Défendra-t-il les positions de l’ancien pouvoir ou de l’actuel ? Est-il vraiment du rôle de Terra Nova de défendre les positions des néoconservateurs américains ? Est-ce sa manière d’enrichir le débat intellectuel en France ? Alors qu’un nouveau cycle de négociations sur le nucléaire iranien se prépare à Moscou, alors que les néoconservateurs américains et le gouvernement Nétanyahou multiplient les critiques contre Obama et cherchent à préparer l’opinion mondiale à la guerre, Terra Nova rêve-t-il du temps où la France socialiste faisait la guerre au président égyptien Gamal Abdel Nasser, le « nouvel Hitler », et pacifiait l’Algérie ?
.
A l’heure où les éditocrates occidentaux résument les révolutions dans les pays arabes à un combat qui opposerait partisans et adversaires de la charia, il est important de rappeler l’histoire complexe du concept et de ses applications.
J’ai presque honte de le citer. Voici l’homme qui est entré à Gaza sur un char israélien en 2009, « le philosophe des beaux quartiers » comme chante Renaud, qui ne manque pas une occasion d’attaquer « les islamistes » (formulation assez vague pour inclure les Frères musulmans, le Hezbollah, Al-Qaida, les multiples courants salafistes, etc.) et d’appeler à une nouvelle guerre mondiale contre eux, l’homme qui a toujours fait de la charia le mal incarné. Pourtant, dans un éditorial intitulé « La Libye, la charia et nous » (Le Point, 3 novembre 2011), Bernard-Henri Lévy écrit :
« ll y a charia et charia. Et il faut, avant d’entonner le grand air de la régression et de la glaciation, savoir de quoi on parle.
Charia, d’abord, n’est pas un gros mot. Comme “djihad” (qui signifie “effort spirituel” et que les islamistes ont fini par traduire en “guerre sainte”), comme “fatwa” (qui veut dire “avis religieux” et où le monde, à cause de l’affaire Rushdie, a pris l’habitude d’entendre “condamnation à mort”), le mot même de charia est l’enjeu d’une guerre sémantique sans merci mais continue de signifier, heureusement, pour la majorité des musulmans, quelque chose d’éminemment respectable. »
On aimerait qu’il puisse s’en souvenir plus souvent. A l’heure où les éditocrates occidentaux résument les révolutions dans les pays arabes à un combat qui opposerait partisans et adversaires de la charia, il est important de rappeler l’histoire complexe du concept et de ses applications.
Deux livres récents nous aident dans ce travail. Le premier, paru aux éditions La Découverte, sous la direction de Baudouin Dupret, et qui s’intitule La charia aujourd’hui. Usages de la référence au droit islamique, regroupe les contributions d’une bonne vingtaine de spécialistes de droit musulman, et comprend aussi bien des analyses générales que des études de cas particuliers : Egypte, Iran, Pakistan, communautés musulmanes en Europe, etc. L’autre est écrit par Sadakat Kadri, un spécialiste du droit, diplômé de la Harvard Law School et a pour titre Heaven on Earth. A Journey Through Sharia’s Law from the Deserts of Ancient Arabia to the Streets of the Modern World, Farrar, Strauss and Giroux, New York, 2012.
Il n’est pas question de résumer ces ouvrages, denses et argumentés, mais simplement de souligner la complexité du sujet et l’incapacité des médias et des responsables politiques à prendre en compte cette complexité (ce n’est pas le seul sujet pour lequel prédomine une dichotomie noir-blanc, mais il s’y ajoute, dès que l’on parle de l’islam, une forte dimension d’hostilité a priori).
Mais d’abord qu’est-ce que « la » charia ? Au risque de choquer bien du monde, Robert Gleave rappelle dans le premier chapitre du livre de Dupret que, pour la majorité des penseurs de la période classique (celle de l’élaboration de la pensée islamique, notamment durant l’empire abbasside – VIIIe-XIIIe siècles), « la charia était largement inconnaissable – elle référait à la règle de Dieu, la loi divine. Toute personne prétendant connaître la charia s’élevait, pour la plupart des jurisconsultes musulmans classiques, au rang de Dieu, commettant de la sorte le péché (et le crime) d’associationnisme (shirk) ».
Même quand une norme musulmane était acceptée largement, les penseurs de l’âge classique affirmaient qu’elle relevait, en fin de compte, de leur opinion personnelle. Pour eux, il était inconcevable de prétendre : « la charia exige ceci ou cela ». Les règles juridiques étaient fixées par le processus dit de l’ijtihad, l’effort individuel d’un juriste pour arriver à une norme juridique. Or, poursuit Gleave, « dès lors que la plupart des questions juridiques étaient en fait des questions d’ijtihad, d’un point de vue théorique, très peu de choses de la charia pouvaient être connues. Le contraste avec l’expression contemporaine de la certitude au sujet du contenu de la charia ne saurait être plus marqué ».
Mais plusieurs processus parallèles vont changer la donne : la constitution de l’Etat moderne (pas forcément national) et la colonisation.
Comme le note Kadri, c’est le sultan Mehmet II, celui-là même qui a conquis Constantinople en 1453, qui décida de faire rédiger un code juridique, initiative qui, quelques siècles auparavant, lui aurait valu des accusations terribles : comment pouvait-on coucher sur le papier les lois de Dieu ? Quelques dizaines d’années plus tard, cela devait devenir la règle, mais sous des conditions très différentes selon les situations et les pays. Ainsi les puissances coloniales cherchèrent-elles à codifier les règles, mais, comme le note Baudouin Dupret dans son introduction, partout, même dans les pays non colonisés, « le droit d’inspiration religieuse s’est retrouvé progressivement confiné au seul domaine personnel (mariage, divorce, filiation, successions) et les juridictions administrant ce droit ont été dépouillées de leur compétence au profit de juridictions nationales plus ou moins séculières ».
La charia n’est donc pas un ensemble de lois qui nous ramènerait, comme prétendent certains, au VIIe siècle, mais un ensemble fluctuant, controversé parmi les musulmans eux-mêmes. Le droit de vote des femmes a été longtemps interdit au nom de la charia et autorisé plus tard au nom de celle-ci ; rappelons que l’ayatollah Khomeiny a condamné le contrôle des naissances à son arrivée au pouvoir avant de le légaliser à la veille de sa mort.
Mais, à partir des années 1970, les Etats dans le monde musulman, à la fois de leur propre initiative et sous la pression des mouvements dits islamistes, ont adopté, poursuit Dupret, « des texte législatifs référencés à la charia, elle-même souvent promue au rang de source principale de la législation ».
Pour y voir plus clair dans la traduction concrète de ces évolutions, on se limitera aux deux articles de Nathalie Bernard-Maugiron consacrés à l’Egypte (le premier est plus large puisqu’il étudie la place de la charia dans la hiérarchie des normes dans le monde musulman).
Si une dizaine d’Etats musulmans (sur une cinquantaine) ne font aucune référence à la valeur normative de la charia dans leur constitution (Algérie, Maroc, Tunisie, Indonésie, Turquie, etc.), pour les autres, qui y font explicitement référence, il n’est jamais précisé de quels principes de la charia il s’agit, « ni à quelle école juridique il convient de se référer pour les identifier ». Il existe quatre écoles juridiques pour l’islam sunnite et leurs interprétations divergent souvent sur des points importants. Par ailleurs, qui jugera de la conformité des lois aux principes de la charia énoncés dans la Constitution ?
Bernard-Maugiron se penche alors sur le cas de l’Egypte, où la Haute Cour constitutionnelle est chargée de ce contrôle, notamment après l’adoption en 1971 d’une Constitution qui fait, dans son article 2, de la charia (pour la première fois dans l’histoire de l’Egypte) « une source principale de la législation », puis, par un amendement de 1980, « la » source principale de la législation (rappelons que ces réformes furent imposées par le président Anouar El-Sadate, tant loué en Occident).
La Haute Cour fut, à plusieurs reprises, saisie pour se prononcer sur l’interprétation à donner de l’article 2 de la Constitution. Elle affirma d’abord que « seules les lois postérieures au 22 mai 1980 pouvaient être déclarées inconstitutionnelles pour violation de l’article 2 (...) Le 22 mai 1980 correspond à la date de publication des résultats du référendum (sur les amendements constitutionnels) ».
De manière plus significative, elle dénia « aux principes de la loi islamique tout effet direct immédiat dans l’ordre juridique égyptien, affirmant que l’amendement était une injonction à l’adresse du législateur et non du juge. Pour la Cour, ce dernier ne pouvait donc refuser d’appliquer un texte qu’il estimait contraire à la charia et lui substituer un principe tiré de la loi islamique ».
C’est sur les problèmes de statut personnel, notamment du droit des femmes (à l’héritage, à obtenir le divorce, la garde des enfants...), que la Cour fut saisie à nouveau. Sans entrer dans les détails, elle établit deux principes importants :
— elle fit une différence entre les principes de la charia « dont l’origine et la signification sont absolues » et les règles relatives qu’il appartenait au détenteur de l’autorité d’établir en fonction des évolutions historiques et sociétales. Ainsi, « aucune des dispositions de la loi sur le statut personnel de 1985 ne fut invalidée pour violation d’un principe absolu de la loi islamique » ;
— d’autre part, la Cour « a refusé de reconnaître toute valeur supra constitutionnelle aux principes de la charia, affirmant que la Constitution est un ensemble cohérent de principes homogènes et non contradictoires et que l’article 2 doit être interprété à la lumière des autres dispositions constitutionnelles ».
Ceci, conclut Nathalie Bernard-Maugiron dans sa première étude, n’est évidemment pas exempt de risques de dérives. Il existe « un danger de surenchère dans le religieux », et la référence à la charia peut être utilisée par les politiques pour tenter d’imposer, par la loi, des mesures contre l’apostasie, l’égalité entre hommes et femmes, la censure, etc.
Ici comme ailleurs, ce qui compte, ce sont les rapports de force dans la société elle-même et les évolutions de celle-ci.
Nous l’avons dit, c’est dans le droit pénal et celui de la famille que subsistent encore les normes religieuses. Pour le reste, le « droit positif égyptien s’est fortement inspiré des Codes européens », note Bernard-Maugiron, qui insiste : « La construction juridique positive peut, en effet, être validée par sa non-contradiction avec la loi islamique ou par une interprétation évolutive de ses dispositions. » Dit autrement, les banques, les administrations, l’armée, les entreprises, ne fonctionnent pas différemment en Egypte que dans les autres pays du monde.
C’est la réforme du droit de la famille qui rencontre le plus d’obstacles : « Le principal est la symbolique politique forte dont continue à être chargée cette branche du droit, qui exprimerait une identité musulmane à préserver impérativement. Se posant en gardien des valeurs religieuses, l’Etat égyptien s’attache donc à présenter ses réformes comme le résultat d’un processus interne de rénovation issu du droit musulman et respectant les principes de l’islam. »
Désormais, toute réforme dans ce domaine doit se faire au nom de l’islam, même si on use d’interprétations tout à fait innovantes. C’est d’ailleurs au nom de l’islam que le roi du Maroc a profondément réformé le code de la famille ; et Bernard-Maugiron note que « le mouvement féministe égyptien choisit de plus en plus de se placer lui aussi dans le champ du religieux, puisant de nouvelles interprétations des sources classiques dans l’héritage islamique pour légitimer ses revendications de la modernisation de la condition féminine ». J’ai plusieurs fois attiré l’attention sur l’importance de ce féminisme islamique.
Dans sa conclusion de l’ouvrage, Jean-Philippe Bras note que la « surexposition du thème de la charia » conduit à « une surévaluation de sa place dans la production juridique ». Mais cette surexposition, à la fois chez les islamistes les plus radicaux et dans les médias occidentaux, a aussi un effet induit sur notre vision du monde arabe et musulman : les batailles symboliques autour du référent religieux occultent les luttes réelles qui se développent dans ces pays autour des questions économiques, sociales et culturelles. Et elles amènent à mesurer ce qui se passe en Egypte ou en Tunisie à l’aune des discours sur la charia.
Le voyage auquel nous convie Sadakat Kadri, à travers l’histoire et la géographie – pour l’essentiel, au Pakistan, en Inde et en Iran –, permet d’échapper à ces vues réductionnistes. Adoptant une tout autre démarche que les auteurs de l’ouvrage précédent, il arrive à la même conclusion, celle de l’historicité de la charia, dont les conceptions ont profondément changé selon les époques et dont l’application varie aujourd’hui selon les pays.
Les huit premiers chapitres nous guident des premiers pas du Prophète dans le domaine de l’organisation de la communauté des croyants jusqu’à l’époque moderne, en passant par la constitution des écoles juridiques durant l’âge classique. Dans un chapitre, il traite de « la réinvention de la tradition », et du rôle particulier que joua le juriste Ahmad Ibn Taymiyya aux XIIIe-XIVe siècles, qui promut le salafisme, cette volonté d’imitation des anciens (le Prophète et ses compagnons), de s’appuyer sur ce qu’ils auraient fait pour dicter ce qu’il faut faire aujourd’hui. L’importance de ce penseur dans les courants islamistes actuels ne peut être sous-estimée.
Le dernier chapitre de cette partie est consacré au djihad et à ses différentes acceptions au cours de l’histoire. Traditionnellement, il ne pouvait être déclenché que par le détenteur de l’autorité et devait se fonder sur un consensus ; désormais, il est devenu pour certains une obligation individuelle face à ce qui est perçu comme des agressions de l’Occident et des pouvoirs corrompus que l’on ne peut plus qualifier de « musulmans ». Ces transformations, même si elles trouvent, comme toujours, des justifications dans les textes sacrés, se nourrissent avant tout du contexte national et international.
En introduction de sa deuxième partie consacrée aux débats actuels, l’auteur note la capacité d’adaptation de l’islam, la manière dont il intègre les coutumes locales. Il remarque aussi que l’islam a toujours été en changement permanent.
A travers des rencontres en Inde, au Pakistan ou en Iran, en fréquentant les confréries et leurs penseurs (Deobandis, Barelvis, etc.), l’auteur aborde les sujets les plus controversés de l’actualité : celui des châtiments corporels, de l’apostasie, du blasphème, etc. S’il note, à juste titre, le durcissement du discours religieux sur ces questions – et la prégnance aujourd’hui, notamment dans le monde sunnite, d’une vision largement produite (et financée) en Arabie saoudite –, il fait vivre les mille et une manières d’interpréter les textes ou, quand ils sont trop explicites (comme sur la lapidation), de les contourner. « Jusqu’à ce que nous arrivions à une société juste, la question des châtiments est une simple note de bas de page », lui explique le président du plus important parti islamiste au Pakistan.
« Il ne faut pas beaucoup de semaines de voyages à travers le monde musulman, écrit Kadri, pour comprendre qu’il n’existe pas une seule approche musulmane de la raison, de la révélation ou de la modernité. Les croyants ont développé des stratégies multiples pour faire la différence entre ce qui est fondamental et ce qu’ils considèrent comme faux. Leurs efforts pour s’adapter au XXIe siècle sera défini aussi bien par leur imagination que par les limites fixées par Dieu. »
Mais qui décide des limites fixées par Dieu ? Hier comme aujourd’hui, les réponses à cette question sont multiples et il est important de rappeler que ce sont toujours des êtres humains, enserrés dans des sociétés vivantes et en évolution, qui donnent la réponse.
http://oumma.com/13891/y-a-charia-charia?utm_source=Oumma+Media&utm_campaign=14a7dae51b-RSS_EMAIL_CAMPAIGN&utm_medium=email
.
Sur ce site Oumma.com,
La célébration de l’Aïd El-Fitr en Russie, le 20 août dernier, a donné le coup d’envoi officiel de la première chaîne publique de télévision islamique, un projet porté sur les fonts baptismaux grâce à la volonté commune des dirigeants des plus grandes associations musulmanes et des autorités fédérales, qui ont oeuvré à sa réalisation en étroite concertation.
Ciblant les téléspectateurs musulmans résidant principalement dans le Caucase du Nord et dans la région de la Volga, la mise sur orbite de la chaîne satellitaire Al-RTV, qui sera incluse dans un bouquet de chaînes diffusées sur le satellite TricolorTV, l’opérateur de télévision par satellite le plus populaire de la Russie, a été financée essentiellement par les économies personnelles des fondateurs du projet et les dons de particuliers et d’entreprises, et devrait bénéficier d’un soutien de l’Etat.
C’est le président du Conseil des muftis de Russie, Damir Mukhetdinov, qui a annoncé le lancement de cette nouvelle chaîne thématique dédiée à la transmission et à la promotion des valeurs de l’Islam, en faisant la part belle à l’une de ses vertus majeures, la tolérance, dont l’idée avait été lancée en 2009 par l’ex-président russe, proche de Poutine, Dimitri Medvedev. Ses programmes seront agrémentés de discours de savants musulmans et de la récitation du Coran par d'éminents récitants du monde islamique.
Selon l'agence de presse russe RIA Novosti, Al-RTV fonctionnera selon les principes et normes qui régissent la télévision publique russe, le conseil général de la Russie, composé du chef du conseil des muftis russes et le mufti du Tatarstan, étant chargé d’en définir la stratégie.
Comme en France, l'islam est la deuxième religion en Russie par le nombre de ses adeptes, qui appartiennent à une quarantaine d'ethnies. Les plus nombreux sont les Tatars (plus de 5 millions, soit le deuxième groupe de population après les Russes), les Bachkirs (plus d'un million) et les Tchétchènes (environ un million). Selon diverses estimations, les musulmans seraient entre 11 et 22 millions, soit 8 à 15 % de la population du pays, et leur progression démographiquement est constante. Le président Poutine a favorisé, en août 2003, une politique de rapprochement avec l'Organisation de la Conférence islamique (OCI), devenue depuis juin 2011 l'Organisation de la Coopération islamique. La Fédération de Russie y siège en observateur depuis l'été 2005.
.http://oumma.com/13879/al-rtv-premiere-chaine-de-television-islamique-a-jour-?utm_source=Oumma+Media&utm_campaign=b35eed23bf-RSS_EMAIL_CAMPAIGN&utm_medium=email
.
Une analyse remarquable du grand penseur Malek Bennabi (1905-1973) qui est plus que jamais d'actualité.
.
La crise que traversent les musulmans depuis la décadence de la civilisation islamique, qu’on peut situer historiquement depuis la chute de l’empire Almohadien, est double :
Le premier aspect de cette crise est lié à un problème de lecture directe des textes référentiels de l’islam en l’occurrence le Coran et le Hadith. On assiste dans la plupart du temps à une lecture littéraliste, statique, relative non seulement à un contexte historique particulier, mais aussi à un certain stade de la production humaine en matière de savoir et de connaissance.
L’une des composantes de cette crise est identique à celle qui a inspiré El Chafi’ le besoin d’inventer une science nouvelle : les oussoules el fiqh sont de ce point de vue sociologiquement explicables. Une science qui con
Dés lors, il y a un besoin constant d’un effort considérable de rationalisation qui a constitué une rupture méthodologique dans la synthèse et l’analyse ; une révolution scientifique selon la terminologie de Thomas Khun. Cet effort de rationalisation, dans tous les domaines de la connaissance, est à la fois un devoir et une exigence perpétuels dont la négligence a eu pour conséquence l’anarchie et la pauvreté intellectuelle du discours islamique actuel par exemple.
On constate malheureusement que l’effort de rationalisation entrepris par El chafi`’ n’a pas été suivi et étendu à d’autres domaines du travail intellectuel des musulmans. Il a fallu attendre près de cinq siècles pour qu’un certain Ibn khaldoun ait le coup de génie de penser à une nouvelle méthode dans l’explication de ce qu’on peut appeler aujourd’hui la dynamique sociopolitique. Avec lui le pouvoir politique n’est plus désormais une question qui relève uniquement de la morale ou généralement de l’éthique, mais surtout un mécanisme lié aux lois générales de l’Histoire.
Un mécanisme qu’il faut prendre le soin de découvrir (ses lois et ses règles ). Il a le mérite non seulement de fonder sa nouvelle science mais surtout de montrer la limite et l’inefficacité des méthodes traditionnelles des sciences dites religieuses. Comprendre et expliquer une réalité quelconque (sociale, politique, économique, etc..) d’un groupe nécessite un autre type de réflexion et d’analyse que celui du faqih.
Quand on voit dans une émission de télévision arabe un faqih invité pour répondre à des questions d’ordre sociale, politique ou d’éducation, on a comme la certitude que le grand défi à relever pour une éventuelle renaissance du monde musulman, est celui de mettre de l’ordre dans le chantier de la pensée. Je ne veux pas dire par là qu’un faqih n’a pas d’avis à donner sur ce genre de questions, mais je soulève seulement le problème de la spécialisation comme exigence inéluctable dans un monde complexe et compliqué.
Quand on voit également dans les universités dites islamiques le raccourci fait dans l’enseignement à savoir le champs limité des disciplines et l’archaïsme des méthodes ; on a l’impression qu’on est confronté en permanence à un vide béant.
D’autres efforts ont été entrepris dans d’autres domaines, dans celui de la philosophie, le nom d’un Ibn Rochd dit Averroès est emblématique. D’autres disciplines fleurissent, c’est la productivité qui témoigne de l’épanouissement d’une civilisation. On peut dire d’une manière générale que l’Andalousie est la référence par excellence de la maturité de la pensée musulmane en matière de construction méthodologique.
Et après ? Après, le monde musulman avec la chute de l’Andalousie commence à entrer progressivement mais sûrement en décadence. La régression dans le domaine scientifique marque le glas d’une culture en perte de son rayonnement civilisationnel et la marche de la nation qui représente cette culture vers l’inconnu. Notons au passage que le coup psychologique porté à l’élan de cette civilisation date bien avant, de ce que les historiens appellent la grande fitna (la grande discorde).
Devant une telle tragédie, le destin de la culture ne saurait être meilleur. Les idées qui ont fait le génie universel de la civilisation musulmane deviennent des mots morts empilés quelque part dans un charnier. Même si la foi n’a pas perdu toute sa force dans les cœurs des musulmans, le rapport homme-idée s’est trouvé confiné dans l’espace étroit d’une tradition qui se transmet d’une génération à une autre. D’autant plus que l’enseignement de l’Islam, médiocrité oblige, est dominé par les méthodes traditionnelles dont le seul souci est de préserver l’identité musulmane contre les assauts d’une culture dominante. Il faut reconnaître qu’à ce niveau là, le rendement était quand même non négligeable, car après, dans le cas de l’Algérie par exemple, un siècle et demi de domination coloniale, l’identité musulmane n’a pas été trop « endommagée ».
Pourtant, il y a eu dans le monde musulman colonisé des appels au réveil, comme s’ils surgissaient d’un passé lointain pour secouer la mémoire et une conscience en perte de repères. Mais, pour être bref, le schéma général et identique de ces mouvements dits réformistes reste la réaction urgente, qui aspire à l’indépendance et à la défense de la culture musulmane, face à une réalité imposée par le colonisateur. C’est pourquoi le résultat était souvent un repli identitaire et jamais la réflexion autour d’un projet qui prépare l’avenir.
Après la période de la décolonisation, le monde musulman se trouve dans une situation inédite qui illustre bien le deuxième aspect de la crise, liée à un certain rapport au modernisme. En renvoyant l’ensemble de ses problèmes au colonialisme, le monde musulman a cru que tout sera résolu avec le départ du colonisateur tout sera résolu. Il ne s’est pas rendu compte un seul instant que ses vraies difficultés ne faisaient en fait que commencer.
Le rôle des élites devrait pourtant être la prise en charge des défis à relever afin de garantir une indépendance menacée par d’autres formes d’aliénation. Pendant que les cadres de l’administration colonialiste examinaient de près leurs futurs plans stratégiques dans les pays qu’ils quittaient, les cadres de notre élite politique aiguisaient les leurs pour réaliser leurs ambitions personnelles.
Parmi les voix qui s’élèvent dans le monde musulman pour lui proposer des solutions, je limiterai mon propos à l’une d’elle qui prône le changement au nom de l’Islam, en mettant l’accent sur les mouvements dits islamistes qui ont choisi la sphère politique comme champ d’action. Même si au fond, ils symbolisent une certaine prise de conscience, ces mouvements ne vont pas à l’essentiel, en entretenant l’illusion. Ce que je nomme essentiel, se traduit par cette capacité historique capable d’opérer la synthèse entre le passé, le présent et le futur. Quand on se projette vers un futur qui reste à déterminer, tout en ayant le regard tourné vers un passé lointain, en faisant abstraction du présent, on ne peut qu’ aboutir à une confusion totale.
Sur le plan pratique, à part des prêches contestataires souvent virulents, accompagnés d’une littérature mythologique, l’islamisme politique ou le discours islamique en général est loin de constituer un projet de société. Car le travail scientifique qui permet la production de ce que Karl Popper appelle une technologie sociale n’est pas réalisé.
L’héritage intellectuel de l’Andalousie qui aurait pu constituer une base de départ pour la construction d’une véritable Raison islamique n’est pas encore pris en charge. Les leaders des mouvements islamistes (que j’appelle les nouveaux marabouts de l’Islam) proposent l’Islam comme solution à tous les problèmes de l’humanité. Ils se comportent comme s’ils étaient à Médine avec, ou parfois à la place du Prophète. Animés par cette idée simpliste d’un Islam éternel et valable en tous temps, il suffit simplement pour eux de reproduire le modèle type, celui de l’expérience islamique des premiers temps. On est là dans une vision de l’Histoire qui transcende l’espace et le temps, dans un système vierge et isolé où tout est possible.
Le fiqh s’est donné historiquement comme objectif la recherche du statut juridique de telle ou de telle action et les solutions adéquates aux problèmes que rencontre la société musulmane naissante. Si on revient au sens étymologique du terme, on s’aperçoit que l’on est au-delà de l’objet et des outils des écoles juridiques traditionnelles.
Force est de constater que l’une des origines de l’apathie intellectuelle du monde musulman actuel réside dans l’illusion de croire que pour saisir les différents niveaux de réalité relative à son existence, il suffit d’interroger les grands classiques de la jurisprudence. La continuité est envisagée ici comme un prolongement, et non comme la capacité de créer tout en restant fidèles à l’esprit. La créativité ne consiste pas uniquement à moderniser la forme ou le langage des modèles de pensée qui ne répondent plus à la satisfaction d’une réalité. Elle passe plutôt par une sorte de révolution qui transformerait profondément les catégories mentales des musulmans eux-mêmes et leurs modes de pensées.
Le point de départ de toute démarche scientifique est le questionnement d’une réalité ou d’un objet quelconque actuellement saisi, dans une expérience effective. La perception effective de la réalité du monde musulman signifie la formulation de l’ensemble des données actuelles qui caractérisent sa singularité comme objet d’étude, à travers son interaction avec l’ensemble des autres singularités. On en déduit alors, que ni la voie salafiste qui affirme que la solution réside dans le retour pur et simple aux sources, ni la voie moderniste qui nous propose une « occidentalisation » salutaire, ne sont fructueuses. Les uns comme les autres cultivent le mythe de la chose facile et l’illusion des solutions stockées.
L’action doit être impérativement guidée par la lumière de la science, postulait El Boukhari il y a plusieurs siècles. La science n’est pas un système achevé qu’une génération transmet à une autre. Le monde musulman est loin de trouver cette lumière qui n’est autre que la réalisation du contenu du premier verset coranique (lit au nom de ton seigneur). On est loin d’être la nation de la lecture, comment peut-on être alors celle de la renaissance ?!
L’échec est une donnée présente à toute entreprise humaine, dont il convient d’en tirer les enseignements. Tous les éléments sociologiques plaident pour la nécessité d’une nouvelle pensée voire une nouvelle voie. Il ne s’agit pas uniquement d’une réforme, il faut d’abord inventer les outils conceptuels qui nous permettent de déterminer la causalité de ce qui s’est passé dans notre histoire, et faire l’état des lieux scientifiquement de ce qui est à réformer.
Autrement dit le grand chantier réside dans un travail de compréhension et d’explication de l’histoire de la civilisation musulmane. Si nous ne parvenons pas à distinguer dans notre histoire entre ce qui relève du culturel, du naturel, du dogmatique de l’idéologique, du spirituel du temporel, de l’historique du religieux, du doctrinal du stratégique, et de ce qui relève du particularisme, de l’universalisme, prouve alors que nous sommes encore à l’âge de pierre par rapport à la réforme.
La production conceptuelle et scientifique en matière de sciences sociales et sciences humaines nous offre des moyens indispensables pour la construction d’une réelle créativité critique et méthodologique.
Le développement en Occident de disciplines telles que la sociologie, l’anthropologie, la psychologie, la géopolitique... constitue une réserve de savoir incontournable. Il y a dans ces disciplines un côté purement technique et scientifique à distinguer de leur aspect qui obéit à une certaine vision du monde et à une certaine culture propre à l’histoire de l’Occident. L’objectivité et le degré séculier dans ces disciplines ne sont pas de la même évidence que dans les mathématiques ou les sciences de la nature. D’où un souci méthodologique et critique permanent qui doit accompagner le chercheur musulman dans sa démarche scientifique.
Je crois en fin que l’Islam est une vision du monde à partir de laquelle se construit une certaine théorie de l’Homme, de la vie et de l’univers. Toute la matière première nécessaire pour l’élaboration d’une théorie de la connaissance et d’une épistémologie propre à l’Islam. C’est la condition fondamentale pour une créativité critique ouverte et originale.
Une telle épistémologie est non seulement possible mais elle constitue le socle sur lequel se construit et se développe toute pensée critique et toute réforme. C’est ce qui nous permet peut-être en fin de structurer les à priori d’une Raison islamique.
De ce point de vue, il est clair que les individus et les groupes qui concentrent leurs efforts et leurs intérêts sur l’activisme, surtout politique, sont loin d’être conscients des vrais défis à relever : à savoir l’archaïsme actuel de la raison musulmane. Et c’est parce qu’ils n’ont pas les moyens intellectuels de relever ce genre de défis qu’ils se sectarisent par leur discours et par leur agenda.
http://oumma.com/La-crise-du-monde-musulman?utm_source=Oumma+Media&utm_campaign=f36dca4040-RSS_EMAIL_CAMPAIGN&utm_medium=email