- Type : Livre
- Editeur : AUTREMENT
- Date de sortie : 10/10/2012
- Description « Je veux mettre en garde les paysans du monde, les gouvernements et les consommateurs contre l'offensive du système capitaliste financier international qui insidieusement s'empare des meilleures terres et élimine ou marginalise les moins compétitifs, c'est-à dire l'immense majorité des petits et moyens agriculteurs. » Après les industries agroalimentaires et la grande distribution, le système capitaliste mondial investit aujourd'hui la terre agricole. Les très grandes entreprises de production se multiplient dans des pays comme le Brésil, l'Argentine, la Russie et l'Ukraine. Ce phénomène, né il y a vingt ans, touche toutes les régions du monde où les fonds de pensions acquièrent tous les jours de nouvelles terres, sans faire de bruit. En Afrique ou en Asie, des millions d'hommes et de femmes risquent d'être chassés de leurs terres. Est-ce inéluctable ?
-
Les Etats peuvent y opposer la souveraineté alimentaire
Résumé : « Le système capitaliste entre en force dans la production agricole. C’est un phénomène mondial, récent, rapide et de grande ampleur. Il conduit à la disparition de beaucoup d’exploitations moyennes et n’aura bientôt plus en face de lui que les centaines de millions de micro-exploitations du Tiers monde. Les conséquences en seront dramatiques. Il faut impérativement réagir au plus vite. »
Une nouvelle révolution agricole : la pénétration du système capitaliste en agriculture
Pendant longtemps, le système capitaliste a ignoré la production agricole.
Trois obstacles majeurs expliquaient cette absence: le morcellement des terres, une rentabilité insuffisante et les difficultés de gestion d’une très grande exploitation agricole. Mais tout change à la fin du 20ème siècle.
En effet, vers 1990, la mondialisation des échanges se généralise et offre de nouvelles opportunités notamment en ouvrant de nouveaux espaces à l’activité agricole, la rentabilité des capitaux investis dans l’agriculture s’améliore et les techniques de production s’adaptent aux grandes structures.
De plus, le changement de régime dans les pays de l’ex-bloc soviétique laisse de grandes structures en quasi-déshérence et l’émergence des agro-carburants nécessite de grandes quantités de matières premières à bon marché.
Qu’est-ce donc qu’une exploitation agricole capitaliste ?
C’est une exploitation de très grande dimension économique, appliquant des techniques modernes de production et dont les capitaux appartiennent à des investisseurs autres que le chef d’exploitation ou sa famille.
Mais de nombreuses exploitations qui ne répondent pas à l’ensemble de ces critères peuvent plus ou moins rapidement basculer à leur tour dans le système capitaliste, par exemple après quelques opérations de regroupement avec des exploitations voisines.
Sans constituer le seul critère de reconnaissance, la superficie des exploitations agricoles capitalistes frappe fortement les esprits. Car celle-ci atteint souvent des milliers, voire des dizaines de milliers d’hectares, éventuellement répartis sur plusieurs unités de production différentes. Mais il est évident que pour les élevages industriels, c’est le nombre d’animaux ou le chiffre d’affaires qu’il convient de retenir.
Les instruments de l’offensive du système capitaliste en agriculture
Comme le système capitaliste nécessite beaucoup d’espace (sauf pour les élevages industriels), on comprend son développement rapide en Amérique du Sud. Mais en Russie ou en Ukraine, les anciens kolkhozes sont des proies toutes désignées de même que les forêts massivement défrichées du Sud-Est asiatique et, maintenant, les savanes africaines.
Toutes ces grandes exploitations ont besoin de capitaux apportés par des investisseurs privés (des fonds d’investissement par exemple) et de l’aide des banques commerciales pour leur fonctionnement courant.
L’appui, sinon la complicité des gouvernements leur est également bien utile, qui leur assure ouverture des frontières, accès à la terre ou à l’eau d’irrigation, contraintes environnementales allégées et politique sociale « souple ».
Les grandes exploitations travaillent en étroite relation avec les firmes agro-industrielles d’amont et d’aval, le négoce international et en bout de chaîne la grande distribution. En effet, ces entreprises exigent de grandes quantités de produits, des prix bas et le respect strict d’un cahier des charges, toutes choses que les grandes exploitations sont en mesure de leur fournir.
Une offensive sur les 5 continents
Le degré et les modalités d’implantation des exploitations capitalistes varient néanmoins beaucoup d’un pays à l’autre. L’Amérique du Nord en fut le berceau avec les grands vergers californiens et les ateliers géants d’engraissement des bovins. Mais c’est en Amérique du Sud que les grandes exploitations ont connu le plus grand essor suivi par les pays de l’ex URSS et de ses anciens satellites.
En Europe occidentale, le système capitaliste se contente, pour l’instant, de quelques créneaux spécialisés comme l’élevage industriel ou les vignobles de prestige.
Pour sa part, l’Afrique subsaharienne constitue une nouvelle terre promise pour les investisseurs étrangers. Enfin dans tout le Sud Est asiatique et en Océanie on trouve tout à la fois des millions de micro-exploitations comme en Chine ou en Inde et de grandes exploitations comme en Australie ou en Nouvelle Zélande.
Au total, c’est peut-être entre un cinquième et un quart de la production agricole mondiale qui, dès maintenant ou à moyen terme, pourrait relever de l’agriculture capitaliste.
Les dangers de l’expansion du capitalisme en agriculture
Les conséquences de cette nouvelle révolution agricole en sont multiples et inquiétantes : la première tient à la profonde fracture que pourrait connaître l’agriculture mondiale si l’évolution actuelle va à son terme. Cette agriculture ne sera plus composée que de quelques dizaines de milliers d’exploitations capitalistes d’une part et de plusieurs centaines de millions de micro-exploitations de l’autre. Les moyennes exploitations auront disparu, hormis sur quelques petits créneaux spécialisés.
Le monde rural sera partout déstabilisé car les grandes exploitations emploient peu de main-d’œuvre et ne font pas appel aux multiples services traditionnels des petites entreprises du voisinage. L’accélération de l’exode rural et la destruction du tissu social sont inévitables.
Enfin, les grandes exploitations contribuent à la dégradation de l’environnement. Car comment protéger les espaces naturels et la biodiversité lorsqu’on doit faire travailler d’énormes engins sur des milliers d’hectares ? Comment éviter la baisse de la fertilité des sols, en particulier dans les pays tropicaux, dès lors que la rentabilité maximum et à court terme est l’objectif unique ?
Les grandes exploitations sont néanmoins fragiles.
La volatilité croissante des prix agricoles constitue déjà une menace permanente pour la rentabilité des capitaux investis. Les gestionnaires eux-mêmes ne sont pas à l’abri d’erreurs de gestion ni du surendettement. Enfin, des baisses de rendement des cultures sont prévisibles tandis que l’accroissement du coût des facteurs (terre, capital, eau…) pourrait pénaliser fortement les grandes exploitations grosses consommatrices de ces facteurs.
Or si la rentabilité baisse, les capitaux se retireront aussi vite qu’ils sont arrivés. En cas de crise agricole sévère, et quelle qu’en soit la cause, un certain nombre de grandes exploitations seraient abandonnées à la friche et mettraient en péril l’approvisionnement des populations urbaines.
La riposte doit s’organiser partout dans le monde
Pour lutter contre le rouleau compresseur du système capitaliste en agriculture, des moyens d’importance inégale sont possibles. Tout d’abord, le droit des Etats (ou des groupes d’Etats) à la souveraineté alimentaire doit être reconnue par les instances internationales. Il permet de protéger et de développer les cultures vivrières aux dépens des cultures d’exportation. Or, dans de nombreux pays, ce sont ces dernières que privilégient les exploitations capitalistes.
L’instauration du droit à la souveraineté alimentaire (combiné avec une politique foncière quelque peu restrictive) constituerait donc une entrave au développement de l’agriculture capitaliste.
La modernisation de la petite agriculture paysanne est le corollaire du choix de la souveraineté alimentaire. Elle implique la reconnaissance du droit à la terre pour ceux qui la cultivent depuis des générations, une politique de l’eau plus démocratique, un appui aux organisations paysannes et bien entendu l’affectation d’importantes ressources financières.
Enfin, l’action diffuse mais multiforme des citoyens consommateurs est aussi susceptible de gêner le développement de l’agriculture capitaliste. Elle passe par la recherche de produits de qualité, de proximité et diversifiés.
Les citoyens souhaitent également un espace rural ouvert à tous, agréable et accueillant. Enfin, ils peuvent soutenir des initiatives favorables aux petits paysans comme celle que développe le commerce équitable.
Conclusion
Considérée comme irréalisable il y a encore un quart de siècle, la multiplication des très grandes exploitations agricoles capitalistes est le fait majeur de ce début du 21ème siècle. Cette offensive concerne tous les continents et toutes les grandes productions.
Elle va éliminer ou marginaliser les autres formes d’occupation du territoire et plus particulièrement nos moyennes exploitations européennes.
Or, cette évolution n’est pas sans risque pour l’ensemble des consommateurs et en particulier les plus pauvres. Car la recherche du profit maximum pèsera sur l’avenir de la production agricole, sur la sécurité de l’alimentation des hommes et sur la nécessaire protection de l’environnement de la planète toute entière. Il est donc nécessaire de s’opposer vigoureusement à ce raz-de-marée.
.
commenter cet article …