Comment l’opposition libanaise
Avant d’attendre les résultats de l’enquête qui vient tout juste de commencer, le 14-Mars a décidé que c’est la Syrie qui a assassiné le général Wissam al-Hassan, chef de la section des renseignements des Forces de sécurité intérieure (FSI).
Et dans une logique défaillante à tous les égards, la coalition pro-américaine a estimé que le gouvernement libanais, "contrôlé par Damas et le Hezbollah", devait partir, allant même jusqu’à accuser le Premier ministre Najib Mikati d’être responsable de la mort de l’officier des FSI. Les dirigeants du 14-Mars font semblant d’oublier que c’est ce même Mikati qui a refusé de céder aux demandes du 8-Mars (le Hezbollah et ses alliés) et du Courant patriotique libre (CPL, du général Michel Aoun), de remplacer Wissam al-Hassan, jugé trop proche de Hariri. C’est Mikati également qui a signé en début d’année le décret promouvant le défunt au grade de général. C’est enfin Mikati qui a financé le Tribunal spécial pour le Liban, en dépit des objections du Hezbollah.
Najib Mikati n’est donc pas la marionnette que le 14-Mars essaie de dépeindre. C’est un centriste, qui dispose d’une grande marge de manœuvre, et qui n’est pas hostile "par principe" au Hezbollah.
Le 14-Mars a donc pensé pouvoir rééditer le scénario de 2005, en mobilisant les foules, en les orientant, et en instrumentalisant un attentat attribué à la Syrie.
Sur ce plan, il est important de souligner que Wissam al-Hassan est peut-être un adversaire de la Syrie. Il est responsable de l’arrestation de l’ancien ministre Michel Samaha, le 9 août, soupçonné de préparer des attentats contre des responsables de l’Armée syrienne libre au Liban, pour le compte de Damas. Mais le 14-Mars fait semblant d’oublier (décidément, cette amnésie est très sélective) que Wissam al-Hassan est responsable du démantèlement de 36 réseaux d’espionnage israéliens au Liban et de l’arrestation de dizaines de collaborateurs. C’est aussi un ennemi implacable des cellules d’Al-Qaïda (surtout celles qui refusent d’être instrumentalisées).
Depuis l’assassinat du général al-Hassan, le 14-Mars s’emploie à exacerber les tensions, en développant un discours agressif, menaçant et sectaire. Venu le jour des funérailles, les gens sont prêts à exploser.
Effectivement, les obsèques se sont transformées en violents affrontements entre des manifestants qui réclament la démission de Najib Mikati et les forces de l’ordre. A peine l’office religieux terminé, une foule en colère s’est dirigée vers le siège du Premier ministre Najib Mikati, situé à 500 mètres du lieu de la manifestation, dans le centre-ville de Beyrouth.
Les manifestants ont été entrainés par un cheikh sunnite extrémiste, Oussama Rifaï -limogé par Dar el-Fatwa-, qui a arraché le microphone des mains du principal orateur, le mufti du Liban-Nord, cheikh Malek Al-Chaar, pour lancer une violente diatribe contre le Premier ministre libanais, la Syrie et le Hezbollah et inciter les gens à "agir". Ensuite, l’ancien Premier ministre Fouad Siniora a pris la parole, pour poursuivre sur la même lancée. "Le gouvernement est responsable du crime qui a tué Wissam. C’est pourquoi il faut qu’il parte. Mikati, tu ne peux plus rester à ton poste pour couvrir ce crime. Si tu restes, c’est-à-dire que tu es d’accord avec ce qui s’est passé et avec ce qui se passera", a-t-il encore dit.
Dernier à entrer en scène, un journaliste de la chaine de télévision Futur TV de Saad Hariri, qui a carrément appelé les gens à marcher sur le Grand sérail.
En fait, tout était préparé. Des groupes de jeunes, armés de bâtons, de barres de fer et de bouteilles vides ont attaqué les forces de l’ordre. Les manifestants ont réussi à forcer le premier cordon de sécurité et sont arrivés à quelques mètres de l’entrée du Grand sérail.
Les manifestants étaient essentiellement formés d’islamistes extrémistes brandissant les étendards noirs d’al-Qaïda, d’éléments des partis chrétiens du 14-Mars (Forces libanaises, Kataëb et PNL) et de militants du Courant du futur, de Saad Hariri.
Les forces de l’ordre ont ensuite réussi à repousser les manifestants à coups de gaz lacrymogène et de tirs de sommation. L’Armée libanaise a envoyé des renforts, permettant aux forces de l’ordre de reprendre l’initiative.
Ayant sans doute été réprimandé par ses alliés occidentaux et du Golfe à cause de cet acte irresponsable qui risquait de plonger le Liban dans le chaos, Saad Hariri a appelé ses partisans, dans un message diffusé par les télévisions, à se "retirer immédiatement de la rue". Embarrassé par la tournure des événements, il s’est déclaré opposé à toute attaque contre le Grand sérail. Quelques minutes plus tard, Fouad Siniora, est apparu sur les écrans de télévision pour appeler, lui aussi, au calme. "Il est inadmissible que le Grand sérail, qui est une institution de l’Etat libanais, soit prise pour cible, a dit ce proche de Hariri. Vous devez tous sortir des rues et cesser les actes de violences. Allez plutôt vous recueillir sur la tombe de Wissan al-Hassan".
Le mufti sunnite de la République, cheikh Mohammad Rachid Kabbani, est également intervenu en soirée pour dénoncer les tentatives de "renverser le gouvernement par la force, à travers la rue". "Hier, aujourd’hui et demain, nous ferons face à ce genre de comportements", a-t-il dit.
Après ces interventions le calme est progressivement revenu, le nombre de manifestants a baissé et la violence a cessé.
Cet épisode constitue un revers politique énorme pour le 14-Mars, qui perd ainsi l’initiative politique pour n’avoir pas compris et décodé les signaux envoyé par l’Occident et ses alliés arabes.
En effet, Najib Mikati a résisté à la première vague de pressions en annonçant qu’il restait au pouvoir dans l’intérêt national. En fait, son gouvernement bénéficie d’une forte couverture de la part de Washington, des Etats européens influents, et des pays arabes du Golfe. Les ambassadeurs des Etats-Unis, de France et de Grande-Bretagne à Beyrouth, ont ouvertement appelé à la solidarité et à l’unité entre les Libanais, invitant le gouvernement à assumer ses responsabilités.
Ces pays craignent le vide au niveau du pouvoir exécutif en cas de chute du gouvernement et le chaos qui en résulterait.
Des funérailles officielles avaient auparavant été organisées pour Wissam al-Hassan dans une caserne de la police, en présence du président de la République, Michel Sleiman. Le chef de l’Etat a appelé la justice libanaise à rendre public l’acte d’accusation dans le dossier de l’ancien ministre pro-syrien Michel Samaha, arrêté le 9 août par al-Hassan, et accusé "d’avoir préparé des attentats au Liban pour le compte de la Syrie".
Demandera-t-il à cette même justice de bouger pour poursuivre ceux qui ont incité à la violence, au risque de plonger le Liban dans les affres de la guerre civile ?
Déclarations et prises de positions
Lakhdar Brahimi, émissaire international en Syrie
« Le conflit syrien pourrait mettre la région à feu et à sang, si un règlement n’est pas trouvé. Cette crise ne peut pas rester confinée indéfiniment au territoire syrien. Soit elle est réglée, soit elle s’aggravera et débordera. Le peuple syrien, toutes tendances confondues, enterre chaque jour une centaine de personnes. Ne peut-on pas demander que ce bilan baisse à l’occasion de la fête de l’Adha ? Ce ne sera sans doute pas une fête heureuse pour les Syriens, mais au moins faisons en sorte qu’elle soit moins triste. Si le gouvernement syrien accède à cette demande –et d’après ce que j’ai entendu il y a de l’espoir – et si l’opposition accepte cette proposition, comme elle nous l’a dit, cela sera un très petit pas, un pas microscopique vers un cessez-le-feu plus global qui entraînerait le retrait de l’artillerie lourde, l’arrêt des flux d’armes de l’étranger, puis une solution politique. Aucun responsable n’a évoqué avec moi la question de l’afflux d’armes à partir des pays voisins de la Syrie, ni d’ailleurs celle d’une éventuelle participation d’éléments du Hezbollah aux combats en Syrie. Au cours de ma tournée dans les pays régionaux ayant une influence sur la crise syrienne, aucun d’eux n’a montré une quelconque satisfaction face à ce qui se passe en Syrie. Mais ces pays doivent prendre conscience du fait que la crise syrienne ne peut pas s’éterniser ainsi. Soit elle est réglée, soit elle s’étend et brûlera tout sur son passage. Nous discutons avec toutes les parties pour arrêter le bain de sang et permettre aux Syriens de régler eux-mêmes leurs problèmes. Tout le monde dit que le bain de sang doit s’arrêter, mais chacun des deux camps en rejette la responsabilité sur l’autre. Nous devons voir comment sortir la Syrie du gouffre dans lequel elle est tombée. »
New Orient News (Liban)
Rédacteur en chef : Pierre Khalaf (*)
Tendances de l’Orient No 105, 22 octobre 2012.
(*) Chercheur au Centre d’Études Stratégiques Arabes et Internationales de Beyrouth