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5 février 2013 2 05 /02 /février /2013 22:37
De Sofia à San Francisco : le Grand Marché Transatlantique, c’est maintenant !

 

par Taïké Eilée (son site) mardi 5 février 2013


Le PS nous avait prévenu : "Le changement, c'est maintenant !" Le seul grand changement en vue, à vrai dire, semblait être, jusqu'à ces derniers jours, le "mariage pour tous" ; mais comme chacun sait, un changement visible peut en cacher un autre, moins visible, mais autrement plus important.


Lundi 4 février 2013, une dépêche de l'agence Reuters est tombée :

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Photo par Yves Herman / Reuters

"L'nion européenne a levé lundi les restrictions qu'elle faisait peser sur l'importation de plusieurs viandes américaines, une décision constituant le premier pas vers un accord de libre-échange qui concernerait près de la moitié de la production mondiale. [...]

L'interdiction des importations de porcs vivants et de viande de boeuf lavée dans l'acide lactique, justifiée par des objections de l'UE sur les conditions d'élevage et d'hygiène dans la production de viande aux Etats-Unis, doit être levée le 25 février.

Une visite du commissaire européen au Commerce Karel De Gucht à Washington est prévue mardi pour mettre un point final à un rapport conjoint UE-US qui doit recommander un renforcement des négociations sur le libre-échange.

Selon les calculs de la Commission européenne, cet accord pourrait apporter 65 milliards d'euros supplémentaires par an à la croissance européenne, une hausse de 0,5% du PIB européen."

C'est le retour de ce serpent de mer qu'est le projet de Grand Marché Transatlantique. Retour discret, il est vrai. Jean-Luc Mélenchon s'est fendu le jour même d'un communiqué de presse où il appelle François Hollande à se prononcer contre ce "funeste projet". Ce qui inquiète le leader du Parti de gauche, c'est que "Angela Merkel assume enfin ce projet ultralibéral et atlantiste". En vérité, l'enthousiasme de la chancelière allemande ne date pas de cette semaine... Le 2 octobre 2006, Der Spiegel nous apprenait déjà qu'elle trouvait l'idée d'un marché transatlantique "fascinante".

Mélenchon écrit : "Depuis l’élection européenne de 2009, je m’oppose à ce projet porté par les eurocrates libéraux et protégé par le silence des élites". Il est vrai qu'il fut le seul homme politique français à médiatiser le sujet au moment de la campagne européenne, mais avec une discrétion tout de même surprenante. Une intervention rapide, le 21 avril 2009 au micro de Jean-Jacques Bourdin sur BFM TV, et ce fut à peu près tout. La première ébauche du projet remonte pourtant à 1990, soit près de vingt ans avant les élections de 2009... (pour les détails, voir mon article du 4 mai 2009)

En vingt ans, ce sujet - pourtant fondamental - n'a jamais fait l'objet d'une réelle médiatisation, et certains journalistes ont même confessé, en 2009, n'en avoir jamais entendu parler. Ces jours-ci, des opposants inquiets se sont manifestés, ici ou , tandis que le magazine Challenge nous annonçait que la France était "favorable à une zone de libre échange transatlantique", six mois après nous avoir déjà présenté le projet dans une enquête, certes tardive, la vaste zone de libre-échange devant devenir une réalité dès la mi-2014, mais mieux vaut tard que jamais. 

France : nouvelle direction

Le gouvernement, par l'intermédiaire de Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, vient donc tout juste de lancer une consultation auprès des entreprises françaises sur ce projet porté par Bruxelles, Washington et Berlin, et poussé par de multiples lobbys comme le Centre for European strategy, le think tank New Direction (parrainé par Margaret Thatcher) ou le Center for transatlantic relations. Selon la ministre, "un tel accord transatlantique serait particulièrement ambitieux. A eux deux, l'UE et les Etats-Unis représentent 40% du PIB mondial, 25% des exportations et 32% des importations." La consultation nationale, ouverte jusqu'au 1er mars, est accessible sur le site du ministère.

Les dirigeants français ont fait volte-face sur cette question, sans jamais s'en expliquer. En juillet 1995, Christine Chauvet, secrétaire d’Etat au Commerce extérieur dans le gouvernement d'Alain Juppé, avait affirmé "l’opposition française au projet de zone de libre-échange entre l’Europe et les Etats-Unis, défendu par l’administration américaine. « Ne soyons pas naïfs, a-t-elle déclaré au cours d’une conférence de presse, cette initiative de libre-échange transatlantique est un des aspects de l’offensive commerciale américaine. » Selon Christine Chauvet, ce projet tire son origine dans le fait que « les Etats-Unis n’arrivent pas à résorber leur déficit commercial avec les pays asiatiques et qu’ils cherchent en conséquence de nouveaux débouchés en Europe »." Côté socialiste, on s'est longtemps opposé au projet, jusqu'à l’adoption, le 28 mai 2008, de la « Résolution du Parlement européen sur les relations transatlantiques ».

Le monde a certes changé, et ce qui paraissait mauvais hier, peut bien paraître adapté aujourd'hui. On aimerait seulement que les gens qui nous gouvernent nous l'expliquent eux-mêmes, car ni François Hollande, ni Nicolas Sarkozy avant lui, n'ont été élus sur ce projet. L'actuel locataire de l'Elysée a même placé Arnaud Montebourg, chantre de la démondialisation et du protectionnisme, en première ligne dans la lutte contre la désindustrialisation du pays ; ce qui n'empêche pas la France d'envisager maintenant "la libéralisation totale de l'accès aux marchés", qu'il s'agisse de biens, de services ou d'investissements, pour reprendre les mots de Ron Kirk, le représentant du Commerce américain chargé du dossier.

L'oligarchie en a rêvé, le PS l'a fait

Dans un récent article, le député québecois Amir Khadir (désigné le politicien le plus populaire au Québec) nous rappelle que le Grand Marché Transatlantique constitue le rêve des "grands groupes financiers et industriels". D'ailleurs, en octobre dernier, c'est le député UMP Olivier Dassault qui, dans Le Monde, se faisait le promoteur de ce grand chantier : "C'est ensemble qu'Américains et Européens trouveront une solution à la crise [...]. La solution pourrait être la création d'une véritable zone de libre-échange regroupant l'Union européenne et les Etats-Unis, voire l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena). Ce projet consisterait à tenter une synthèse de ce que chacun a de meilleur : la capacité d'innovation américaine alliée à celle des Etats européens d'offrir à leurs citoyens des conditions de vie et de développement personnel de très grande qualité. Un subtil dosage entre le dynamisme américain et l'humanisme européen. Nous avons besoin de la capacité américaine de tirer vers le haut les économies du reste de la planète. A nous ensuite de nous adapter pour profiter de ce nouveau cercle vertueux !"

Une alliance commerciale transatlantique serait ainsi, selon l'UMP et le PS, le meilleur remède à la crise. Et aussi le seul moyen de résister aux puissances que sont devenus la Chine, l'Inde, le Brésil, ou la Russie. Alors que les Brics optent pour le protectionnisme, l'Europe et les Etats-Unis semblent décidés à prendre le chemin inverse, et à ouvrir davantage leurs frontières. C'est un combat au moins autant idéologique que commercial ; il suffit de lire les propos très manichéens de l'économiste Pedro Schwartz, membre du think tank New Direction, pour s'en convaincre : "Ce n'est pas le moment de battre en retraite pour les amis du libre-échange - oserais-je dire, pour les amis de l'humanité. C'est l'heure de montrer au reste du monde combien la richesse peut provenir de l'approfondissement des relations économiques et commerciales entre les nations".

Des colibris et des hommes

Avant d'être les amis du genre humain, nos dirigeants pourraient commencer par être les amis de leurs propres peuples, en ne les tenant pas dans l'ignorance, en ne les mettant pas face au fait accompli, et en leur demandant leur avis sur l'immense construction de ce bloc euro-américain unifié. Mais depuis quand les oligarques seraient-ils les amis des masses qu'ils dominent et exploitent ? Face au Talon de fer, la masse ne peut compter que sur elle-même. Et c'est là qu'il est difficile d'être optimiste. Car si le projet de loi sur le "mariage pour tous" a fait descendre dans la rue - pour ou contre - plus d'un million de Français, pas un n'avait fait cet effort après le coup d'Etat du traité de Lisbonne. Les deux sujets ont certes leur importance, mais tandis que le premier a l'avantage d'être à la portée de tout le monde et de mobiliser de l'émotion (merveilleux sujet de diversion !), le second est plus ardu et ne fait guère appel qu'à de la réflexion. Il est à parier que le projet de Grand Marché Transatlantique, lorsqu'il finira par être connu du plus grand nombre, laissera le peuple froid. Aucun débat n'aura eu lieu, le peuple n'aura pas eu à se prononcer. Le changement aura eu lieu. Sans lui. Contre lui, peut-être même.

Un sondage réalisé par l'IPSOS, le CEVIPOF, et la Fondation Jean Jaurès, paru dans Le Monde le 25 janvier 2013, nous apprend, entre autres choses, que les Français rejettent en bloc l’Europe, s’insurgent contre la mondialisation, et n’accordent plus aucun crédit aux politiques, ni aux médias. "L’écart entre le discours répété en boucle par les hommes politiques, journalistes, experts, etc… et l’attente des Français est devenu proprement sidérant. Il s’agit d’un véritable déni de réalité de la part des élites qui ont fait sécession d’avec le reste du pays", commente cette étude. On ne s'étonnera donc pas que les élites en question ne s'empressent pas de consulter le peuple. Déni de démocratie ? Certes, et le peuple ne s'y trompe pas : 72% des sondés estiment que « le système démocratique fonctionne plutôt mal en France », 62% pensent que les hommes et femmes politiques sont « corrompus pour la plupart », 82% qu’ils « agissent principalement pour leurs intérêts personnels » et 87% - là est l'inquiétant - sont d’avis que l’« on a besoin d’un vrai chef en France pour remettre de l’ordre ». Face à l'échec, non pas tant de la "démocratie" (qui n'existe pas), que de l'oligarchie élective qui est la nôtre, les Français rêvent, nous dit-on, d'un chef, dont ils espèrent sans doute qu'il sera vertueux. Si l'on prend ce sondage au sérieux, il témoigne d'une très grande immaturité politique des Français, qui attendent qu'un homme providentiel vienne les sauver - au lieu de miser sur eux-mêmes, et sur la démocratie qu'il leur reste à construire.

Surveiller les gouvernements et les oligarchies, les dénoncer et les interpeller, sans relâche, et s'informer mutuellement, via le Net, c'est le début de la démocratie. Faire chacun sa part, même si elle paraît minime et insuffisante, pour qu'un jour peut-être les colibris viennent à bout de l'incendie.

 



Sur le même thème

http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/de-sofia-a-san-francisco-le-grand-130149

 

 

La légende du colibri, par Pierre Rabhi from Mouvement Colibris on Vimeo.

(Cliquez au milieu, vous aurez la vidéo, note d'eva)

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