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23 juillet 2011 6 23 /07 /juillet /2011 18:14
Du printemps arabe à l'été israelien?
 
Vendredi, 22 Juillet 2011 11:02

 

Chacun sait qu'Israel souffre d'inégalités criantes et scandaleuses: le passage brutal du socialisme kibboutznique à l'ultra-libéralisme high-tech en passant par d'importantes vagues d'immigration laissées pour compte n'ont rien arrangé. La moindre critique de l'état des choses est taxée de "gauchisme laique" par les fers de lance traditionnalistes du statu-quo. La répartition des richesses, des terres (à l'intérieur du pays d'avant 67) et des pouvoirs n'est toujours pas un sujet. La société israelienne a cependant besoin de toute urgence de réformes de fond avant que le crédo démocratique réel ne devienne un simple alibi.


Par Jacques Benillouche

 

 

Et si  le boulevard Rothschild devenait la place Tahrir de Tel-Aviv ? C’est certainement exagéré car la différence avec les révolutions arabes réside dans l’existence d’une démocratie vivace en Israël. Mais si on connait toujours l’origine des manifestations, nul n’est capable d’en déterminer l’issue.

Pour l’instant, le problème est pris à la légère par les dirigeants israéliens car les manifestations se déroulent sans violence et avec un certain esprit bon-enfant. Des tentes de camping ont été dressées sur l’esplanade centrale du boulevard pour protester contre les hausses inconsidérées de certains produits alimentaires et contre la flambée des prix de l’immobilier alors que les salaires stagnent. Les jeunes ne peuvent plus se loger et ils le font savoir à leur manière.

 

Excés du libéralisme

 

L’envers du décor d’un pays trop libéral est planté parce que la gauche est laminée et que l’opposition est atone. Les jeunes loups politiques, à l’instar des deux journalistes de gauche qui ont été élus députés, sont devenus inaudibles car, selon leurs détracteurs, ils ont reçu « leur hochet». Les espoirs d’une population excédée se sont envolés en même temps que les promesses d’obtenir rapidement de nouvelles mesures sociales. Les israéliens paient les conséquences de l’exercice solitaire du pouvoir par un gouvernement omnipuissant.

Les manifestants sont pour l’instant disciplinés car ils ont la culture des pays démocratiques: « Ceci est une bataille sociale et non politique »  insiste Roey Noiman, l’organisateur du Sit-in, qui explique la passivité du maire de Tel-Aviv par son appartenance au parti au gouvernement. Le pouvoir ne mesure pas encore l’inquiétude qui envahit les éléments actifs de la population, les jeunes qui sont le socle et l’avenir du pays mais qui se sentent abandonnés dans la jungle économique : « C'est un fait de base,  les jeunes israéliens finissent leur service militaire, paient des impôts, donnent tout à l'État  mais ils ne voient pour autant  aucun avenir » renchérit Noiman.

Il faut se reporter aux manifestations de 1971 des Panthères noires pour retrouver la même atmosphère de contestation qui avait cependant dégénéré en émeute. La jeunesse d’aujourd’hui se révolte moins contre le gouvernement accusé d’être passif que contre les monopoles financiers et industriels. Pour l’instant, il n’y a pas de contamination avec la révolte des pays arabes mais les mouvements sociaux, liés à l’augmentation des prix alimentaires, pourraient constituer l’étincelle qui risque de mettre le feu politique dans le pays.

 

Hausse générale des prix

 

La centrale syndicale israélienne Histadrout se bat pour obtenir l’annulation des hausses des produits de base. Tout a augmenté, le pain de 10%, l’essence de 13%, l’eau de 134%, les logements, les transports et les impôts indirects tandis que le Trésor n’a pas entériné l’accord conclu avec le patronat d’instaurer le salaire minimum à 4.300 shekels, soit 850 euros, alors que les prix ont atteint ceux d’Europe. Le secrétaire général de la Centrale, Ofer Eini a montré sa mauvaise humeur : « Une grande partie de l'opinion israélienne estime que la coupe est pleine, et le Premier ministre doit donc corriger le tir ». Il est rejoint par le patron des patrons Shraga Brosh qui critique le gouvernement : « au lieu de baisser le poids de la fiscalité, les taxes indirectes ont été alourdies, ce qui handicape le secteur privé notamment au moment où la crise mondiale va entraîner des augmentations de prix et rogner la compétitivité des entreprises ». Le gouverneur de la Banque d’Israël, Stanley Fisher, reste fidèle à l’orthodoxie financière en s’élevant contre les «mesures populistes parce qu’il faut préserver le cadre budgétaire ».

Certes le chômage est faible en Israël mais au prix de rémunérations très basses puisque les demandeurs d’emploi, qui ne bénéficient d’allocations que durant trois mois, sont astreints à accepter tout travail. Les écarts de salaires sont  tels que la classe moyenne se rétrécit et que la pauvreté touche de plus en plus de secteurs de la population et pas uniquement les religieux orthodoxes et les arabes israéliens. Les jeunes ont rejoint cette catégorie car ils n’ont plus les moyens de se loger.

 

Crise du logement

 

Les prix des logements ont atteint des sommets justifiés par l’excédent de la demande. L’afflux des investisseurs étrangers forts de leur euro, qui sentent l’aubaine d’une plus-value rapide, crée une surchauffe dans le secteur. Un appartement à Tel-Aviv voisine le million d’euros et certains autres dépassent les prix du XVIème arrondissement de Paris. Par ailleurs l’immobilier flambe car les populations juives à l'étranger, inquiètes de la montée de l’islamisme, tendent à anticiper l’abandon de leur pays en investissant en Israël dans l’immobilier.  

Les américains du nord et du sud  constituent aujourd’hui la grande masse de ceux qui s’installent définitivement en Israël quitte à  continuer leur activité professionnelle dans leur pays d’origine durant la semaine et à rejoindre leur famille durant le week-end.

Les monopoles agro-alimentaires font la loi et les jeunes et les bas-salaires en souffrent.  Israël s’était préparée à une guerre d’un nouveau style,  « la guerre du Cottage ». Ce mythique fromage blanc a personnifié la colère populaire contre la hausse constante des prix des produits laitiers.

Cette hausse a d’ailleurs influé sur l’indice des prix du mois de mai, qui a été plus élevé que prévu : +0,5%. Le ministre des Finances, Dr. Youval Steinitz, a indiqué « que la lutte contre les monopoles de producteurs laitiers sera la même que celle qu’il mène contre les grands trusts monopolistiques du gaz, qui veulent s’enrichir sur le compte des consommateurs ». Mais il n’a rien fait de concret et seul un boycott des consommateurs a eu raison de la hausse de prix inconsidérée.

Les manifestants ont décidé de marquer leur mauvaise humeur en campant devant le domicile du ministre de la défense, Ehud Barak, dans la tour la plus huppée du centre de Tel-Aviv. Son appartement a été évalué au prix exorbitant de 7 millions de dollars. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou s’est joint aux protestations contre la hausse de l’immobilier et la pénurie de logements mais il n’a pris aucune mesure législative pour imposer un quota de logements sociaux.

Il accuse au contraire la « bureaucratie scandaleuse » qui enlise le marché. : « Nous sommes un petit pays, il y a une forte demande de logements et pas suffisamment d’appartements, car nous avons deux procédures bureaucratiques insensées. Il faut énormément de temps pour planifier et commercialiser des logements ». Or, il dispose d’une large majorité à la Knesset et d’un pouvoir sans partage pour légiférer mais la volonté manque. Au lieu de frapper sur la table et de prendre des mesures, il accuse les autres d'être la cause du malaise.

 

Politique volontaire

 

Certains se demandent s’il ne s’agit pas d’une politique délibérée et sournoise du gouvernement qui veut pousser les israéliens à s’installer dans les territoires pour consolider les implantations où les constructions ont repris. Pour 100.000 dollars il est possible d’acquérir une maison individuelle à 35 kms de Tel-Aviv, dans la grande banlieue de Jérusalem ou au delà de la «ligne verte », à Nilin par exemple, traversée par une nouvelle ligne de train.

Les manifestants du boulevard Rothschild refusent d’attirer la pitié et donnent l’impression d’être heureux puisqu’ils écrivent ce slogan sur leurs panneaux : « heureuse révolution ».  Le mot révolution a ainsi fait des émules et il a été lancé par des manifestants qui veulent s’inspirer des mouvements espagnols en s’opposant en silence. Les jeunes affluent de toutes les parties du pays pour gonfler la « ville des tentes ». 

L’Union Nationale des Etudiants s’est jointe à la protestation en menaçant de l’étendre aux campus des universités. D’autres villes ont pris le relais pour répandre les protestations dans tout le pays. Le président des étudiants a été ferme dans ses propos : « Nous nous préparons à une lutte longue et déterminée contre un gouvernement qui nous a abandonnés. Nous ne renoncerons pas tant que le droit au logement de tous les jeunes israéliens ne sera pas garanti ».

Il se profile en Israël un vent de mai 1968  puisque plusieurs secteurs se joignent aux jeunes. Les derniers à se mettre en grève sont les médecins qui refusent de pratiquer les interventions dans tous les hôpitaux. Le pays réputé pour son dynamisme économique et pour la qualité de son high-tech est aujourd’hui en panne sociale. Ses jeunes réclament des mesures immédiates que le gouvernement ne semble pas en mesure d’offrir. A trop attendre, le boulevard de Rothschild risque alors d’être débaptisé en place Tahrir d’Israël.


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