Sous le titre "Toujours plus" (d'Europe?), le dernier éditorial du mensuel Bastille République Nations pose clairement la nature de la "construction européenne" (parler de déconstruction républicaine ou de construction antisociale serait plus juste).
Source : http://www.brn-presse.fr/
Un dernier effort, et on y est.
Telle est l’invite récurrente adressée aux peuples depuis le début d’une « aventure européenne » qui prétendait apporter bien être, sécurité et prospérité.
Le traité de Rome (1958) n’ayant pas abouti à ce bonheur annoncé, l’explication tombait sous le sens : pas assez d’Europe.
Fut alors lancé le « marché unique », effectif en 1993. Les résultats ne s’avérant guère probants (du moins pour les peuples), le discours communautaire avança l’explication : un marché unique ne peut bien fonctionner sans monnaie unique.
L’oubli fut réparé par le traité de Maëstricht. La devise européenne allait enfin concrétiser les bienfaits tant attendus. Las, onze ans après son lancement, le succès est tellement éclatant que d’aucuns évoquent désormais la « fin de l’euro ». Dès lors, à Bruxelles, on s’est soudain frappé le front : « on avait juste oublié de vous signaler que monnaie unique impose gouvernance économique unique ». On en est là.
Au point que la très libérale agence Breakingviews moquait récemment (08/05/10) le « processus de décision – ou plutôt d’indécision – européen » en ironisant sur les dirigeants de l’UE face à la crise : « leurs efforts obstinés pour l’aggraver ont été couronnés d’un succès éclatant ». Remarque d’autant plus cruelle que le traité de Lisbonne avait précisément été imposé, en violation des verdicts populaires, pour « rendre l’Union européenne enfin plus efficace ».
En réalité, celle-ci n’est pas incapable de résoudre la crise : c’est son essence même qui a créé les conditions de cette dernière, puis l’aiguise désormais.
Depuis l’origine, la communauté a été conçue pour promouvoir « la compétitivité des entreprises », formule codée qui signifie : favoriser les intérêts des grands groupes industriels et financiers en pesant sur le monde du travail – ses rémunérations, ses conquêtes sociales. Or s’attaquer au travail, seule source réelle de création de valeur, provoque forcément des déséquilibres majeurs (sous-consommation, endettement…).
Deuxièmement, la vague de déréglementation n’a pas épargné les marchés financiers. Il est piquant, aujourd’hui, de voir Bruxelles accuser les méchants spéculateurs, quand tout a été sciemment organisé pour laisser libre champ à ces derniers.
Troisièmement, la monnaie unique tend à faire rentrer dans le même moule des pays aux économies très différentes, et à priver chacun de leviers essentiels : taux de change, taux d’intérêt... La montée en flèche de l’euro a littéralement étouffé la croissance (en plombant les exportations et en favorisant les importations).
Quatrièmement, le dogme de la liberté de circulation des capitaux, combiné au rejet du protectionnisme, a brutalement exposé les économies européennes à la mondialisation… et permis l’importation quasi-immédiate de la crise dite des « subprimes » née aux Etats-Unis il y a deux ans.
Aujourd’hui, les prétendus pompiers jouent les pyromanes. En imposant des plans d’austérité sans précédent, et en tentant de prendre directement en main les politiques budgétaires des Etats-membres, l’UE crée les conditions d’une récession dont on ne mesure peut-être pas encore l’ampleur.
En France, pour le PS comme pour l’UMP, hors de l’Europe, point de salut.
Défendant le vote des députés socialistes en faveur des vingt milliards apportés à Athènes, François Hollande déclarait ainsi récemment : « je soutiens l’euro, nous ne sommes pas là dans un débat droite-gauche mais dans un débat européen ». Le commissaire Barnier, proche de Nicolas Sarkozy, affirmait pour sa part que « l’Europe n’est pas une option, elle est une nécessité vitale ».
Comme en écho, Olivier Besancenot martèle qu’« aucun des problèmes posés ne trouve sa réponse dans les frontières nationales » (Le Monde, 14/05/10). Caroline Fourest – tendance Charlie Hebdo – s’inquiète de son côté qu’émerge « une rage populiste, potentiellement nationaliste ou meurtrière » (Le Monde, 08/05/10). Quant au PCF, il s’est proclamé « euroconstructif » depuis 1999, avec le succès populaire que l’on sait.
Rarement fuite en avant vers le mur aura été aussi consensuelle parmi la classe politique. Au sein du peuple, il en va très différemment. Cinq ans après le refus de la constitution européenne, le ressentiment contre le viol de ce verdict n’a pas faibli, a fortiori au regard des brillante conséquences actuelles. Il peut resurgir à la prochaine occasion.
Qui pourrait bien ne pas tarder.
PIERRE LÉVY