Et voilà notre bon vieux Sarko en campagne électorale ! Il ne fait même pas semblant de jouer les vrais-faux candidats comme François Mitterrand en 1988. Comme toujours, notre Président y va franco de port, occupe tous les terrains, ne laisse de la place à son malheureux Premier ministre ou à son ministre du Travail que pour annoncer les mauvaises nouvelles. L’austérité et le chômage, c’est pour eux. A lui, le combat de rues, le terrain tous azimuts. Il court les catégories sociales au sprint. Paysans, ouvriers, employés de bureau, policiers, gendarmes, techniciens supérieurs, ingénieurs, techniciens de l’atome voient passer la fusée Sarko, ébahis et frustrés. Du grand classique, me direz-vous ? Affirmatif. Phénomène à peine croyable : la méthode, malgré une impopularité réelle, fonctionne toujours.
Car ce président a une arme redoutablequand il part au combat électoral, qu’il ne faut surtout pas négliger : l’injonction paradoxale. Appelons la "l’IP". L’expression rebute au début, mais on s’y fait. Ellle a été conceptualisée par Paul Watzalawick, sémiologue américain de l'école de Palo Alto (Californie). Petite explication de texte : une injonction paradoxale, une IP, consiste à interpeller l’adversaire par une provocation délibérée. Exemple : un dirigeant socialiste ou un magistrat s’interroge sur l’efficacité des bracelets électroniques sur certains délinquants. Nicolas Sarkozy lui lance alors : "Vous voulez que les tous les criminels soient livrés à eux-mêmes dans la rue ?" On pourrait ajouter "Ils pourraient agresser vos propres enfants ! C’est ça que vous voulez ?" Ou bien, comme dans le cas de l’accord du PS et des écologistes sur la réduction des réacteurs nucléaires, Nicolas Sarkozy part à l’abordage : "Vous mettez en danger l’indépendance nationale !" Traduisez : vous livrez la France à l’ennemi extérieur.
Dans tous les cas de figure, le malheureux "interpellé", victime d’IP, se retrouve en position défensive, et ne peut que s’embrouiller. Comment répondre à ce traquenard rhétorique ? Cas 1 : on bafouille que ce n’est pas ce qu’on a voulu dire et on rame désespérément pour revenir dans le jeu. Cas 2 : on fait l’impasse sur l’agression et on fait de la pédagogie. Dans les deux cas, l’homme vertueux est renvoyé dans les cordes et a perdu la main. En terme d’image, il est à la ramasse. On peut trouver mille exemples de cette technique de communication dont l’hôte de l’Elysée use et abuse avec une habileté dévastatrice.
Il ne l’a pas inventée, pourtant. Il a même chipée l’IP à un certain Bernard Tapie, pionnier, en France, de l’injonction paradoxale. Nanard est le maître du genre. Nicolas Sarkozy l’a beaucoup observé quand il paradait dans les émissions politiques à la télévision, dans les années 80, au profit de François Mitterrand. L’actuel président a pioché dans l’arsenal du génie du boniment. Et les socialistes, François Hollande en tête, ne trouvent pas la réponse à cette technique de joueur de bonneteau qui consiste à déplacer le débat là où on veut. Les caciques de l’UMP, mécaniquement, avec un zèle de soldats romains, appliquent la technique tapiesque sans retenue.
"Le problème de l’IP, précise Jean-Marc Lech, patron d’IPSOS, c’est que celui qui la maîtrise part d’une tête d’épingle et vous renvoie dans un buisson d’épingles. Il globalise un sujet technique pour en faire une question émotionnelle. Dans ce registre, les socialistes n’ont pas l’ADN pour contrarier ce qui est de la démagogie". Motif de ce retard à l’allumage des dirigeants du PS ? Ils sont trop petits profs, trop didactiques, pour ne pas dire trop naïfs… Ils font de la pédagogie pendant que leurs adversaires font de la démagogie. L'IP les terrasse par ippon, comme on dit au judo. Alors, comment riposter aux adeptes de l‘injonction paradoxale ? En les imitant ? Peut-être bien que oui…
Exemple à méditer par les think tanks chargés de la communication du candidat socialiste : quand la droite prétend que les responsables de la gauche vont mettre en danger l’indépendance énergétique de la France en réduisant le programme nucléaire, au lieu de répondre que telle n’est pas leur volonté, ils pourraient contre-attaquer en rétorquant au bazooka : "Quoi, vous voulez que tous les Français soient irradiés ?"
Serge Raffy – Le Nouvel Observateur