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13 juillet 2011 3 13 /07 /juillet /2011 05:27

12/07/11

Joseph Stiglitz: Livre, analyses et prévisions
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153435413541.jpg12/07/2010 - La crise idéologique du capitalisme occidental

Il y a seulement quelques années, une idéologie à la mode - la croyance dans l'efficacité de l'économie de marché libre de toute entrave - a mené la planète au bord de la ruine. 

Même à son apogée, entre le début des années 1980 et 2007, le capitalisme américain orienté vers la dérégulation n'a permis qu'à une poignée de gens, les plus fortunés du pays le plus riche de la planète, de s'enrichir encore davantage. 


En réalité, durant les 30 ans de montée en puissance de cette idéologie, année après année, le revenu de la grande majorité des Américains a stagné ou baissé.

La croissance de l'économie américaine n'avait pas de caractère durable. Elle ne pouvait se prolonger qu'au moyen d'une consommation financée par une montagne de dettes toujours croissante, une grande partie du revenu national bénéficiant uniquement à une petite minorité.

Je faisais partie de ceux qui espéraient que la crise financière apprendrait aux Américains et à d'autres une leçon sur la nécessité de plus d'égalité, plus de régulation et un meilleur équilibre entre le marché et l'Etat. Malheureusement cela n'a pas été le cas. Bien au contraire, une résurgence des idées économiques de droite, suscitée comme toujours par des considérations idéologiques et la défense d'intérêts particuliers, menace à nouveau l'économie mondiale - ou à tout le moins l'économie de l'Europe et de l'Amérique où ces idées continuent à prospérer.

Aux USA, cette résurgence droitière qui nie les lois fondamentales des mathématiques et de l'économie menace d'entraîner le pays à la faillite. Si le Congrès décide de dépenses qui dépassent les revenus, le budget connaîtra un déficit, un déficit qu'il faudra financer. Plutôt que de comparer les programmes de dépenses publiques avec le coût d'une hausse d'impôt pour les financer, la droite veut agir sans discernement. Refuser toute hausse de la dette publique contraint à financer les dépenses exclusivement par la fiscalité.

Cela ne répond pas à la question de savoir quelles dépenses doivent être prioritaires. Si le payement des intérêts de la dette publique ne l'est pas, un défaut est inévitable. Par ailleurs une baisse des dépenses en ce moment, en pleine crise due à une idéologie qui soutient aveuglement  l'économie de marché, va prolonger le ralentissement.

Il y a 10 ans, au milieu d'un boom économique, les USA avaient un tel excédent qu'il pouvait pratiquement combler la dette publique. Des réductions d'impôt et des guerres inappropriées, une récession majeure et la hausse des dépenses de santé publique (alimentées en partie par l'administration Bush qui voulait donner toute liberté à l'industrie pharmaceutique pour fixer les prix, alors que l'argent public était en jeu) a rapidement transformé un large excédent en un déficit record en temps de paix.

Cette situation indique comment remédier au déficit américain : il faut remettre le pays au travail en stimulant l'économie, mettre fin à des guerres stupides, limiter les dépenses militaires, brider le prix des médicaments et enfin augmenter les impôts, au moins pour les plus riches. Mais la droite ne veut rien de tout çà et réclame au contraire davantage de baisses d'impôt pour les entreprises et les contribuables les plus riches, ainsi qu'une baisse des dépenses d'investissement et de protection sociale, ce qui mettrait en danger l'avenir de l'économie américaine et réduirait à rien ce qui reste du contrat social. En même temps le secteur financier américain exerce un maximum de pression pour échapper à toute réglementation, de manière à revenir à la situation antérieure alors même qu'elle conduit au désastre.

La situation est à peine meilleure en Europe. Alors que la Grèce et d'autres pays de l'UE sont confrontés à une crise de la dette, la solution en vogue consiste simplement à les pousser à adopter des mesures d'austérité et de privatisation auxquelles on a tant eu recours dans le passé, avec pour seul effet de rendre les pays concernés plus pauvres et plus vulnérables. Cette politique a échoué en Asie de l'Est, en Amérique latine et ailleurs et elle échouera aussi en Europe - d'ailleurs elle a déjà échoué en Irlande, en Lettonie et en Grèce.

Il existe une alternative : une stratégie de croissance soutenue par l'UE et le FMI. La croissance donnerait l'espoir que la Grèce remboursera sa dette, de ce fait les taux d'intérêt baisseront et l’Etat aura plus de latitude pour faire des investissements stimulant la croissance. La croissance en elle-même accroît les revenus fiscaux et réduit les dépenses sociales telles que les indemnités de chômage. Et la confiance retrouvée dope encore davantage la croissance.

Malheureusement les marchés financiers et les économistes de droite prennent le problème à l'envers : ils croient que l'austérité va générer la confiance et que la confiance va générer la croissance. En réalité l'austérité mine la croissance, ce qui affaiblit la position budgétaire de l’Etat ou à tout le moins se traduit par une amélioration bien moindre que celle promise par les partisans de l'austérité. Quoi qu'il en soit, la confiance est ébranlée, ce qui met en mouvement une spirale descendante.

Avons-nous besoin d'une autre expérience qui sera chère payée si nous appliquons  des idées qui ont déjà échoué à de multiples reprises ? Si l'Europe ou les USA ne parviennent pas à restaurer une croissance saine, cela aura des conséquences négatives pour toute l'économie mondiale. Si les deux échouent ce sera désastreux - même si les principaux pays émergents atteignent une croissance durable. Malheureusement si la sagesse ne l'emporte pas, c'est la direction vers laquelle se dirige le monde.

Project Syndicate



17/01/2010 - "L’austérité ne fait que retarder la solution des problèmes"

Marianne : Vous mettez en cause les politiques de rigueur adoptées par les pays européens. Angela Merkel, Nicolas Sarkozy et la Commission européenne présentent ces politiques comme indispensables pour les pays de la zone euro. Pensez-vous qu’une autre politique est possible avec la monnaie unique ?
Joseph Stiglitz : Certains pensent que l’austérité est le prix à payer, un mal passager mais nécessaire. Mais non. L’austérité ne fait que retarder la solution des problèmes.
Les économies seront plus faibles, les rentrées fiscales aussi, et le chômage sera plus élevé. La question politique se pose à des pays comme la Grèce, l’Espagne, l’Irlande d’assumer des taux de chômage de 20 %, voire de 30 %, sur une longue durée.
C’est intenable, sauf à prier que quelque chose arrive qui modifie la situation, une guerre par exemple ! En fait, par les tensions qu’elle génère, l’austérité est une menace pour les démocraties. Vous pouvez faire en sorte que l’économie croisse plus vite en investissant davantage. La Grande-Bretagne, la France et d’autres pays peuvent emprunter de quoi investir dans l’éducation, les infrastructures, la santé et les technologies. Ils obtiendront un retour sur investissement supérieur au coût de la dette. L’Allemagne a des excédents qui lui permettraient d’augmenter sa consommation, d’importer davantage et d’aider ainsi les autres pays européens. Une telle solidarité permettrait à l’euro de survivre, et soutiendrait les pays comme la Grèce et l’Irlande qui sont réellement contraints à l’austérité. Il existe donc une alternative économique. Mais ce n’est pas un problème économique, c’est un problème politique.
M. : Vous envisagez la sortie de certains pays de l’euro, en vous fondant sur l’expérience de l’Argentine dans les années 90. Mais l’Argentine, en dévaluant, a imposé au peuple argentin une austérité dramatique pendant plusieurs années. Quel responsable politique peut faire un tel pari économique ?
J.S. : L’Argentine est un bon exemple. Après avoir dévalué, et surtout restructuré sa dette, elle a payé le prix fort. Mais elle a connu ensuite six années de croissance, qui lui ont permis de réduire à 13 % un taux de pauvreté qui atteignait auparavant 40 % de la population. Le chômage est aujourd’hui inférieur à celui que connaissent les Etats-Unis. Tous les problèmes de l’Argentine n’ont pas été résolus, mais la situation est objectivement meilleure aujourd’hui qu’auparavant. En sortant de l’euro et en restructurant leur dette, la Grèce et l’Espagne retrouveraient leur compétitivité. Ces pays n’auraient évidemment plus accès aux marchés de capitaux. Mais c’est déjà le cas de la Grèce aujourd’hui. La pire des punitions, c’est ce qui leur arrive en ce moment…
M : Dans votre livre Le Triomphe de la cupidité, vous souhaitez qu’une autre vision de l’économie permette l’avènement d’une nouvelle société. Mais on a l’impression que rien n’avance et que les responsables politiques cherchent surtout à retrouver « le monde d’avant » 2007…
J.S. : Dans l’esprit de beaucoup de citoyens, la crise a ancré l’idée que l’ancien cadre conceptuel de l’économie ne fonctionne pas et qu’il faudrait en trouver un nouveau. Hélas, les gouvernants de certains pays demeurent dominés par leur système financier. Les idées orthodoxes, l’idéologie du libre marché ont repris le dessus. La volonté de régulation des marchés et de réduction des inégalités faiblit. La victoire des républicains aux élections de midterm et les compromis que passe le président Obama avec le Congrès paraissent condamner toute idée de rupture avec le règne du capitalisme financier.
M : Finalement, est-ce qu’on ne va pas assister à un nouveau « triomphe de la cupidité » ?
J.S. : Lors des élections de novembre 2010, de nombreux citoyens américains étaient en colère contre leur gouvernement, parce qu’il a préféré protéger les banques plutôt que les citoyens. Il y a donc eu un mouvement vers la droite, car les électeurs étaient déçus par Obama. Mais les citoyens n’adhèrent pas au Tea Party. Lorsqu’on leur demande qui est responsable de la crise, ils répondent : c’est Bush ! C’était donc un vote de protestation. Le compromis que passe le président Obama avec les républicains est très mauvais. C’est un renoncement à taxer les plus riches, le 1 % des citoyens qui concentrent 40 % de la richesse. Je crois qu’un moment politique important, favorable à une réforme de fond du capitalisme, a été raté. Les compromis vont retarder le retour de la croissance aux Etats-Unis, ce qui rendra les électeurs encore plus furieux. En 2012, la question sera alors : les citoyens iront-ils davantage encore vers la droite ? Personne ne le sait encore.
M : En 2011, la France préside le G20. Croyez-vous que Nicolas Sarkozy soit en mesure d’imposer ses vues pour un nouveau Bretton Woods - un nouveau système de régulation monétaire international à la Chine et aux Etats-Unis ?
J.S. : Le G20 est à un tournant. La crise avait provoqué la peur dans le monde entier et avait conduit les dirigeants à prendre des mesures très fortes : stimulation de la croissance, assistance aux pays en voie de développement, discussion sur une réforme de la finance… Mais, une fois que la peur s’est éloignée, la motivation s’est évaporée, chaque pays est retourné à ses propres problèmes, et chacun a établi un diagnostic différent. L’Europe et les Etats-Unis stagnent, mais les uns ont fait le choix de l’austérité, l’autre de la relance. Le monde diverge sur les solutions.
M : La Chine promet d’aider l’Union Européenne à affronter la crise de la dette, en achetant des emprunts d’Etat espagnols, grecs, portugais. Est-ce une bonne chose, la Chine est-elle capable de remplacer les Etats-Unis, d’ici à une vingtaine d’années ?
J.S. : L’influence de la Chine sera supérieure dans ce siècle à ce qu’elle était dans le précédent. Il n’y a aucun doute là-dessus. Il n’y a pas de doute non plus que ses réserves financières considérables vont accroître cette influence, comme l’avait fait le dollar avec les Etats-Unis pendant les cinquante dernières années. Mais l’influence des Etats-Unis provenait aussi de leurs idées, comme la démocratie et l’égalité. Le problème, c’est que l’économie américaine ne fonctionne plus et que nos idées se perdent. La démocratie est un bon principe selon lequel « un homme égale une voix ». Mais, hélas, aujourd’hui les banques disposent de 51 % des votes, car elles achètent les gouvernements. Les Etats-Unis et l’Europe retrouveront leur place dans le monde lorsqu’ils auront non seulement rebâti leurs économies, mais aussi renoué avec leurs idées fondatrices.
Propos recueillis par Marie-Eve Bourgois et Hervé Nathan - Marianne2
* Économiste, professeur à l’université de Columbia. Représentant célèbre du courant néokeynésien, il a reçu le prix Nobel d’économie en 2001. Son dernier livre, Le Triomphe de la cupidité (2008), vient d’être réédité en poche par Bab
06/01/2011 - "L'euro peut disparaître"
Selon le prix Nobel d'économie, la voie de l'austérité choisie par l'Europe, sous la pression des marchés, va retarder la sortie de crise.
Le fonds de soutien de la zone euro, décidé par les pays de l'Union européenne, "bien qu'essentiel (...), n'est qu'un palliatif temporaire pour les petits pays attaqués", affirme le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz dans le journal Libération daté de mercredi. Ce fonds doit prolonger au-delà de 2013 le système de secours provisoire doté de 750 milliards d'euros qui a été mis en place dans l'urgence en mai et qui est déjà intervenu pour soutenir la Grèce et l'Irlande.

Toutefois, "le péril demeure" pour la zone euro, selon M. Stiglitz. "L'incertitude reste la même qu'il y a six mois. On savait alors que l'Irlande allait connaître une crise violente. On savait que les réformes indispensables pour la viabilité à la long terme de la zone euro devaient être réalisées", ajoute-t-il. Et si "l'Espagne a eu la chance d'entrer dans la crise avec un excédent budgétaire et un faible pourcentage de dette par rapport à son produit intérieur brut" et que l'Italie, "très endettée, a pu limiter son déficit budgétaire", la situation "reste précaire", affirme l'économiste.


Selon lui, "si l'Europe s'affaiblit encore, l'étau se resserrera. Et l'anxiété grandira" sur la capacité des pays attaqués à faire face à leurs dettes. Or, estime M. Stiglitz, "la voie de l'austérité choisie par l'Europe, sous la pression des marchés, va retarder la sortie de crise, affaiblir les maillons les plus vulnérables de la zone euro et de l'Union européenne". Selon lui, "l'idéologie du libre marché, qui a permis les bulles financières, lie les mains des politiques".
"Beaucoup de leaders européens n'ont pas compris qu'il fallait s'attaquer à la régulation du système et remettre l'énergie de la finance, qui ne connaît rien à l'économie, dans ce qu'elle doit faire", affirme-t-il. Et, met-il en garde, "l'euro, faute de politiques appropriées et d'institutions équilibrées (...), peut disparaître".
L'expansion
17/11/2010 - Le foreclosure-gate vu par Joseph Stiglitz
Le scandale des saisies immobilières qui ont eu lieu aux Etats-Unis révèle l’injustice criante de la loi s’appliquant aux propriétaires qui essaient de joindre les deux bouts.
Le Foreclosure Gate et la débâcle des prêts hypothécaires aux Etats-Unis soulèvent des questions sur l’«Etat de droit», ce gage suprême des sociétés civilisées et développées. Le principe de primauté du droit est censé protéger les faibles contre les puissants et assurer un traitement équitable à tout un chacun. En Amérique, dans le sillage de la crise des subprimes, aucune de ces garanties n’a été respectée.
L’Etat de droit concerne aussi la sécurité des droits de propriété: par exemple, si vous avez un crédit à rembourser, votre banque ne peut pas saisir votre maison sans suivre la procédure légale. Ces dernières semaines, pourtant, plusieurs familles américaines ont été expropriées alors même qu’elles n’avaient aucune dette envers leur banque!
Pour certaines institutions bancaires, il ne s’agit que de «dommages collatéraux»: des millions d’Américains doivent encore être chassés de leur foyer, en plus des 4 millions à qui c'est arrivé en 2008 et 2009. Et ce rythme des saisies immobilières augmenterait encore sans l'intervention du gouvernement américain.
 
Des saisies illégales!
Les raccourcis en matière de procédure, les documentations incomplètes et les fraudes endémiques qui ont accompagné l’émission par les banques de millions de créances douteuses pendant la bulle immobilière ont compliqué un processus d’assainissement devenu indispensable. De nombreux banquiers estiment que ce ne sont là que des détails mineurs. A leurs yeux, la plupart des gens qui sont expulsés de leur maison ne remboursent pas leur prêt hypothécaire et, dans la plupart des cas, ceux qui saisissent leur bien le font en toute légitimité.
Mais comment attendre des citoyens américains qu’ils croient en une justice approximative? On ne se permettrait pas de dire que la plupart des condamnés purgeant une peine de prison à perpétuité ont commis un crime à la mesure de cette sentence. Non, le système judiciaire américain est plus exigeant que cela! Et des garanties ont été imposées pour répondre à ces exigences.
Seulement, les banques veulent court-circuiter ces garanties procédurales. Et elles ne devraient pas être autorisées à le faire. Pour certains, toute cette histoire rappelle ce qui s’est passé en Russie, où on s’est servi du droit -en particulier la loi sur la faillite- comme d’un mécanisme légal pour remplacer un groupe de propriétaires par un autre. Les tribunaux ont été soudoyés, les documents falsifiés et tout s’est déroulé sans heurts.
Une nouvelle corruption à l’américaine
En Amérique, la vénalité est d’un autre niveau. Ce ne sont pas les juges qui sont corrompus à titre individuel, ce sont les lois mêmes, à travers les contributions de campagne et le lobbying. C’est ce qu’il est désormais convenu d’appeler la corruption, american style.
Il était de notoriété publique que les banques et les organismes de prêts hypothécaires se livraient à des pratiques agressives et exploitaient les couches les moins instruites et informées en matière de finance. Le but: vendre aux emprunteurs des prêts assortis à un maximum de frais et à des risques énormes (précisons que les banques n’avaient pas non plus l’intention d’épargner leurs clients plus calés en finance, comme en témoignent les titres émis par Goldman Sachs et voués à chuter). Mais les banques ont usé de leur influence politique pour empêcher les Etats de voter des lois interdisant les prêts pourris.
Lorsqu’il était évident qu’un emprunteur n’était plus capable de rembourser son prêt, les règles du jeu changeaient. La loi américaine sur la faillite a été amendée afin de prévoir une espèce de contrat de servitude partielle («partial indentured servitude»). Concrètement, si un particulier a des créances équivalentes à 100% de son salaire, la banque peut lui imposer de lui verser 25% de son revenu brut avant impôt pour le restant de ses jours. Car la banque est en droit d’ajouter, par exemple, 30% d’intérêts annuels aux dettes déjà existantes de cette personne. En fin de compte, un débiteur peut finir par devoir beaucoup plus à la banque que ce qu’elle devait recevoir initialement, et ce alors que le débiteur aurait, de fait, consacré un quart de son temps de travail à cette banque.
Les prêteurs avaient prévu leur coup
Lorsque cette nouvelle loi sur les faillites a été adoptée, personne n’a dénoncé le fait qu’elle entrait en conflit avec l’inviolabilité des contrats: à l’époque où les emprunteurs avaient contracté leur dette, la loi américaine sur les faillites, plus humaine -et plus rationnelle d’un point de vue économique- leur laissait une chance de nouveau départ si le remboursement de leur dette devenait trop lourd.
Dans ces circonstances, les prêteurs avaient tout intérêt à ne proposer des crédits qu’à ceux qui étaient en mesure de les rembourser. Seulement voilà, à l’époque, les organismes prêteurs savaient sans doute qu’ils pouvaient compter sur le soutien de l’administration républicaine. Ils allaient émettre des prêts à haut risque, puis modifier la loi et s’assurer de presser le citron des pauvres.
Une protection des débiteurs contre l’insolvabilité?
Aux Etats-Unis, un prêt hypothécaire sur quatre est «sous l’eau». Autrement dit, les sommes dues par les emprunteurs sont supérieures à la valeur du bien. De plus en plus d’analystes estiment que le seul moyen de gérer ce problème est de réduire la valeur du principal (la dette).
Il existe une législation spécifique relative aux faillites commerciales, le «Chapitre 11», qui permet aux entreprises de se restructurer rapidement en réduisant la valeur de le leur dette et d’en convertir une partie en actions. S’il est important de protéger les entreprises pour préserver les emplois et la croissance, il l’est tout autant de protéger et de préserver les familles et les communautés humaines. L’Amérique aurait grand besoin d’un «Chapitre 11 pour particuliers».
Les sociétés de prêt ont fustigé une telle loi qui, selon elles, violerait le droit immobilier. Naturellement, tout amendement apporté à une loi bénéficie à certains et porte préjudice à d’autres. Lorsque la loi sur les faillites de 2005 fut votée, les prêteurs en étaient les bénéficiaires; ils ne se sont pas souciés de savoir si cette loi écornerait les droits des débiteurs.
Une justice pour les puissants
Des inégalités croissantes, associées à un système pernicieux de financement des campagnes, risquent de décrédibiliser complètement le système judiciaire américain. Certains ont beau continuer de parler d’«Etat de droit», à l’heure actuelle, la loi ne protège pas les faibles contre les puissants. Au contraire, ces derniers peuvent exploiter les faibles en toute impunité.
Dans l’Amérique d’aujourd’hui, la noble revendication d’une «justice pour tous» est en train d’être supplantée par une ignoble «justice pour ceux qui en ont les moyens». C'est-à-dire pour une minorité décroissante.
Joseph E. Stiglitz
Traduit par Micha Cziffra Slate
13/10/2010 - "Seul un démantèlement des grandes banques peut prévenir un nouveau «sauvetage de banques"

Lors d’une interview avec la Radio suisse alémanique (DRS), Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie, s’est exprimé – à l’occasion d’une visite effectuée en Suisse – au sujet de la régulation du marché financier et au sujet de la conduite à adopter face aux grandes banques.
Beat Soltermann (Radio DRS): Monsieur le Professeur, depuis le point culminant de la crise financière, de nouvelles lois ont été décidées, qui sont même en partie déjà en vigueur. Je pense là aux prescriptions sur les fonds propres réglementaires pour les banques partout dans le monde, aux nouvelles règles valables pour les marchés financiers aux Etats-Unis, ou aux prescriptions plus strictes sur le commerce dangereux avec des produits dérivés au sein de l’UE. Que pensez-vous de ces nouvelles réglementations?


Joseph Stiglitz: La plupart de ces nou­velles réglementations vont dans la bonne direction. Et je me réjouis que des idées écono­miques correctes soient à la base de la plupart de ces réglementations. En ce qui concerne les Etats-Unis, il faut que je précise que les nou­velles prescriptions impliquent un grand nombre d’exceptions. Un exemple: Depuis peu, il existe une autorité pour la protection des consommateurs, qui veille à ce que les banques ne puissent plus aussi facilement arnaquer les clients pauvres ou incultes avec des produits bancaires. Mais quant il s’agit de crédits pour l’achat de voitures, cette autorité n’a pas voix au chapitre. Et il faut savoir que les crédits pour voitures sont en deuxième position de ce genre de crédit aux USA. Il n’y a aucune justification économique pour une telle exception. La seule explication est que les lobby­istes ont fait du bon travail.
Et que pensez-vous d’une régulation concernant les institutions financières qui sont trop grandes pour faire faillite?
C’est réellement un problème important qui n’est pas encore résolu. Les banques qui sont trop grandes ne sont pas seulement trop grandes pour qu’on les laisse tomber, elles sont aussi trop puissantes pour être régulées. Bien que beaucoup d’économistes sont de l’avis qu’il faut faire quelque chose à ce sujet, à peu près rien n’a été fait jusqu’à présent.
Le sujet des trop grandes banques est bien sûr un sujet brûlant également en Suisse. Avec le CS et l’UBS nous avons deux grandes banques, dans un pays relativement petit, et une commission d’experts du Conseil fédéral devrait – jusqu’à la fin du mois – présenter une solution dans cette affaire. Quelle serait votre solution à vous?
Au fond, il n’existe pas de raisons sérieuses qui parlent en faveur de l’existence de grandes banques. Il n’existe aucune preuve scientifique qu’elles soient plus efficaces. Mais il y a des preuves qu’elles obtiennent de l’argent à des conditions beaucoup plus favorables puisqu’il faut les sauver en cas de besoin. Ce n’est pas fair-play. Et elles sont trop grandes pour être gérées proprement. C’est pourquoi il faut démanteler les grandes banques.
Et comment voulez-vous vous y prendre?
Il y a deux possibilités: la première, c’est se concentrer sur un domaine d’activité. La plupart des banques américaines sont ac­tives dans un grand nombre de domaines à la fois: les crédits accordés aux compagnies, les entrées en bourse, la gestion de fortunes, le commerce des fonds hautement spéculatifs. Toute une série de domaines d’activités. Il nous faudrait dire: «Chère banque, choisis ton domaine et cède le reste à une nouvelle firme ou offre-le à une firme existante.» Cela permettrait de mieux gérer les banques et de diminuer les risques. Une autre possibilité serait de taxer les banques d’un impôt élevé. Mais ce n’est pas une bonne solution. A mon avis, cela ne va pas assez loin, car les patrons des banques ne changeraient pas de comportement suite à cette taxe. Ils veulent rester directeurs de très grandes banques. Cela leur est égal qu’en fin de compte les actionnaires et les créanciers individuels obtiennent un peu moins de dividendes.
Et pour la Suisse? Que feriez-vous des deux grandes banques si, par exemple, vous étiez le roi de la Suisse?
Exactement la même chose, se concentrer sur un seul domaine d’activité. Et si les banques sont toujours trop grandes, continuer à les diviser. Les banques suisses ont une réputation de première qualité. Pendant plusieurs années, elles ont fait un excellent travail. Il serait dommage de risquer la bonne réputation de toutes les banques, uniquement à cause de problèmes engendrés par les très grandes banques.
Joseph Stiglitz, en vous écoutant on a l’impression que ce sont uniquement des me­sures très strictes qui peuvent empêcher qu’on ne doive pas prochainement sauver une nou­velle grand banque avec des milliards payés par les contribuables.
Laissez-moi le dire clairement: Aux Etats-Unis, le gouvernement dit actuellement: «Ne vous faites pas de soucis à cause des grandes banques. Si elles tombent en faillite, nous les liquiderons.» Et le gouvernement parle de plans de première nécessité et de lois sévères. Mais nous, nous savons exactement ce qui se passera lors de la prochaine crise. Alors on sauvera de nouveau les banques, et en même temps les banquiers et leurs actionnaires. C’est pourquoi une des grandes leçons à tirer de la crise financière est la suivante: si les grandes banques ne voient qu’une chance, celle d’être sauvées par l’Etat en cas de nécessité, pour éviter le pire, alors elles se comporteront de manière imprudente. Il faut placer les banquiers face à leurs responsabilités. Toutes les mesures aptes à atteindre ce but doivent être prises.


12/10/2010 - La FED a-t-elle encore une utilité?

Avec des taux d'intérêt proches de zéro, la Réserve fédérale américaine ainsi que d'autres banques centrales tentent de prouver leur bien-fondé. Leur dernière arme, les politiques monétaires non conventionnelles (« quantitative easing »), pourrait s'avérer tout aussi inefficace pour raviver l'économie américaine. Mais, pis encore, cet assouplissement monétaire quantitatif coûtera cher aux contribuables.
John Maynard Keynes contestait l'efficacité de la politique monétaire durant la dépression des années 1930. Les banques centrales réussissent mieux à contenir l'exubérance irrationnelle des marchés lors d'une bulle -en limitant la disponibilité du crédit ou en augmentant les taux d'intérêt -qu'à relancer l'investissement en période de récession. C'est pour cela qu'une bonne politique monétaire doit empêcher la formation de bulles.

Mais la Fed, en défendant les intérêts de Wall Street, a échoué. Et, aujourd'hui, elle tente de redorer son blason. Au mieux, la politique monétaire de ces dernières années a permis d'éviter que la chute de Lehman Brothers ne conduise à la catastrophe. Mais personne ne peut prétendre que l'abaissement des taux d'intérêt à court terme ait réellement relancé l'investissement. La Fed et la Banque centrale européenne suivent apparemment des politiques monétaires traditionnelles, qui veulent qu'une banque centrale baisse ses taux d'intérêt pour relancer l'économie. Et, si la baisse des taux à court terme des bons du Trésor américain à presque zéro n'a pas fonctionné, on espère que la baisse des taux à long terme va effectivement relancer l'économie. Les chances de succès sont quasi nulles.
En d'autres termes, le « quantitative easing » ne parviendra pas vraiment à stimuler directement l'activité.
Cela pourrait aider cependant de deux manières. La première dans le cadre de la stratégie américaine de dévaluation concurrentielle. Officiellement, l'Amérique parle toujours des vertus d'un dollar fort, mais la baisse des taux d'intérêt affaiblit le dollar. Que l'on considère cela comme de la manipulation de monnaie ou comme un effet secondaire accidentel de la faiblesse des taux d'intérêt n'a pas d'importance. Le fait est qu'un dollar plus faible donne aux Etats-Unis un avantage concurrentiel dans ses échanges commerciaux.
Et, dans la mesure où les investisseurs recherchent en dehors des Etats-Unis des rendements plus intéressants, les monnaies des pays émergents partout dans le monde se sont appréciées, avec le risque que cet afflux de capitaux délaissant le dollar génèrent des bulles spéculatives ou déclenchent une inflation dans ces pays. Le Brésil s'en est violemment inquiété.
La réponse logique des banques centrales des pays émergents serait d'augmenter les taux d'intérêt -ce qui augmenterait d'autant plus la valeur de leur monnaie. La politique américaine entraîne donc une double malédiction : affaiblissement du dollar et réévaluation des monnaies des grands pays émergents.
Un second effet possible de la détente quantitative pourrait être de faire baisser le taux des prêts hypothécaires, ce qui permettrait de soutenir les prix de l'immobilier. Donc, la détente quantitative pourrait avoir quelques effets positifs, même s'ils sont probablement très faibles.
Mais les coûts potentiels sont énormes. La Fed a racheté plus de mille milliards de dollars de prêts hypothécaires, dont la valeur s'effondrera lorsque la croissance repartira.
Le gouvernement peut prétendre qu'il n'a pas subi de perte majeure, parce que, contrairement aux banques, il n'est obligé d'évaluer ses comptes à la valeur du marché. Mais personne n'est dupe - même si la Fed garde les obligations jusqu'à maturité. Pour faire en sorte de ne pas reconnaître les pertes, la Fed pourrait se convaincre de ne recourir qu'à des outils de politique monétaire jamais testés, incertains et coûteux - comme de payer des taux d'intérêt élevés sur ses réserves pour persuader les banques de ne pas prêter.
C'est une bonne chose que la Fed tente de faire amende honorable pour ses lamentables erreurs d'avant-crise. Malheureusement, rien n'indique qu'elle ait modifié son raisonnement. Les erreurs passées de la Fed ont été extrêmement coûteuses. Les nouvelles le seront aussi, même si la Fed tente désespérément d'en cacher le prix.
Source Les Echos


04/10/2010 - "L'avenir de l'euro est sombre sans réformes"

L'avenir de l'euro est sombre si l'Europe n'en fait pas davantage pour aider ses membres en proie à de graves crises, estime Joseph Stiglitz, ancien économiste en chef de la Banque mondiale et Prix Nobel d'économie.
Selon un extrait tiré de la postface de son livre "Freefall", publié dimanche par le Sunday Telegraph, il a également déclaré que ce n'était qu'une question de temps avant que l'Espagne ne soit la cible de spéculateurs.
"La zone euro a besoin d'une meilleure coopération économique, pas une coopération qui se contente de veiller à l'application des règles budgétaires mais une coopération qui garantit que (...) quand un pays est soumis à un choc, les autres lui viennent en aide", poursuit Joseph Stiglitz.


"L'Europe a crée un fonds de solidarité pour aider les nouveaux entrants dans l'Union européenne mais a échoué à créer un fonds de solidarité destiné à aider un membre de la zone euro soumis à des difficultés. Sans un fonds de ce type, les perspectives de l'euro ne sont guère réjouissantes", ajoute-t-il.
D'après Joseph Stiglitz, l'euro pâtit d'un manque de soutien institutionnel, ajoutant que la devise pouvait être sauvée si l'Allemagne sortait de la zone euro ou si celle-ci était divisée en deux régions.


23/09/2010 - Il ne faut pas écouter les financiers
Il n’y a pas si longtemps nous pouvions dire: «Nous sommes tous devenus keynésiens». Le secteur financier et son idéologie favorable à l’économie de marché avaient conduit le monde au bord de la ruine, il était évident que le marché n’est pas auto-correcteur, la dérégulation était un sombre échec.
Les faucons de la lutte contre le déficit proclament que l’Etat doit donner la priorité à l’élimination du déficit, de préférence en diminuant les dépenses. La réduction du déficit doit restaurer la confiance, ce qui fait revenir les investissements et en conséquence la croissance. Mais aussi logique que soit ce raisonnement, l’histoire l’a infirmé à plusieurs reprises.

Quand le président américain Herbert Hoover a essayé cette recette, cela a contribué à faire de la chute de la Bourse de 1929 la Grande dépression. Lorsque le FMI a fait la même chose en Asie de l’Est en 1997, le ralentissement s’est transformé en récession, et la récession en dépression.
Le raisonnement qui sous-tend ces épisodes se fonde sur une analogie erronée. Un ménage dont la dette est supérieure à sa capacité de remboursement doit réduire ses dépenses. Mais lorsqu’un Etat fait de même, la production et les revenus diminuent, le chômage augmente et sa capacité de remboursement peut diminuer. Ce qui est vrai au niveau d’une famille, ne l’est pas au niveau d’un pays.
Il existe un argument plus sophistiqué en faveur de la priorité à la lutte contre le déficit : la hausse des dépenses de l’Etat entraîne celle des taux d’intérêt, ce qui fait fuir l’investissement privé. En période de plein emploi c’est un souci légitime, mais pas maintenant. Les taux d’intérêt à long terme étant extraordinairement bas, aucun économiste sérieux n’avance actuellement cet argument.
Risque de nouvelle récession
En Europe, notamment en Allemagne et dans certaines régions des USA, le déficit budgétaire et la dette de l’Etat augmentent et il en est de même des appels à davantage d’austérité. De nombreux pays semblent se diriger dans cette direction, mais étant donné la fragilité du redémarrage, le résultat sera désastreux. La croissance diminuera, l’Europe et/ou l’Amérique pourraient même retomber dans la récession. Les dépenses en faveur de la relance ­– l’épouvantail favori des faucons de la lutte anti-déficit – ne sont pas la cause de la majeure partie du déficit et de la dette. Elle résulte des «stabilisateurs automatiques» – les baisses d’impôt et de l’accroissement des dépenses qui accompagnent automatiquement les fluctuations économiques. Aussi, à l’image de l’austérité qui mine la croissance, la réduction de la dette sera au mieux marginale.
D’autres mesures doivent être prises. Ainsi l’Etat pourrait soutenir les banques qui prêtent aux petites et moyennes entreprises, car elles sont la principale source de création d’emploi – ou créer de nouvelles institutions financières destinées à cela, plutôt que d’aider les grandes banques qui font de l’argent avec les produits dérivés et adoptent des pratiques abusives en ce qui concerne les cartes de crédit.
Des citoyens à bout de patience
Le marché financier est parvenu à instituer un système qui le conforte dans son fonctionnement: avec un marché des capitaux entièrement libre, un petit pays peut à moment donné être inondé sous un flux de capitaux pour devoir immédiatement après faire face à des taux d’intérêt élevés ou bien à une fermeture du robinet financier. Dans cette situation, les petits pays n’ont pas le choix, ils doivent subir le diktat du marché financier face à l’austérité pour éviter la fuite des capitaux.
Mais le marché financier est un maître capricieux et tyrannique. Le lendemain du jour où l’Espagne a annoncé son programme d’austérité, ses obligations chutaient. Le problème n’était pas dû à un manque de confiance dans les promesses du gouvernement, mais la certitude qu’il allait s’y tenir et que ça allait réduire la croissance et augmenter le chômage qui avait déjà atteint le taux intolérable de 20%. Autrement dit, après avoir entraîné le monde au bord de l’effondrement économique, le marché financier dit maintenant à des pays comme la Grèce et l’Espagne: malheur à vous si vous diminuez les dépenses, et malheur à vous si vous ne les diminuez pas!
La finance n’est qu’un moyen, elle ne constitue pas un objectif; elle est censée servir les intérêts du reste de la société, et non l’inverse. Il ne sera pas facile de faire entendre raison au marché financier, mais on peut et on doit y parvenir avec une combinaison d’impôts et de régulation - et si nécessaire avec l’intervention de l’Etat pour colmater certaines brèches, ainsi qu’il le fait déjà en ce qui concerne le crédit aux petites et moyennes entreprises.
Il n’est pas étonnant que le marché ne veuille pas entendre raison. Il apprécie la manière dont les choses ont fonctionné jusqu’à présent. Pourquoi en serait-il autrement? Dans les démocraties corrompues il a les moyens de s’opposer au changement. Heureusement, les citoyens européens et américains sont à bout de patience. Le processus de régulation des marchés est lancé, mais il reste beaucoup à faire.
Où sont les vraies économies?
Les économies keynésiennes fonctionnent bien: si ce n’étaient les mesures de relance et les stabilisateurs automatiques, la récession aurait été plus grave et plus longue et le chômage plus important. Cela ne veut pas dire qu’il faut se désintéresser du niveau de la dette, mais c’est la dette à long terme (souligné par l’auteur) qui compte.
C’est une recette keynésienne toute simple: mettre fin aux dépenses improductives comme les guerres en Afghanistan et en Irak et les plans de sauvetage inconditionnel des banques qui ne relancent pas leurs prêts - au profit d’investissements plus rentables. Deuxièmement, encourager les dépenses et promouvoir l’équité et l’efficacité en favorisant les entreprises qui réinvestissent en diminuant leur fiscalité, tout en augmentant celle des autres. Ou alors augmenter les impôts sur les bénéfices issus de la spéculation (par exemple dans l’immobilier) et sur les émissions de carbone et les sources d’énergie les plus polluantes, tout en diminuant les impôts des faibles revenus.
Finances: innovations scélérates
Les «innovations» de la finance moderne n’ont pas amélioré l’efficacité à long terme, n’ont pas dopé la croissance ou apporté davantage de richesse au bénéfice de tous. En réalité elles ont été conçues pour contourner les normes comptables et échapper aux impôts nécessaires pour financer les investissements publics en matière d’infrastructure et de technologie (comme Internet) qui sous-tendent la croissance réelle et non la croissance fantôme que promeut le secteur financier.
Le secteur financier a pontifié non seulement sur la manière de créer une économie dynamique, mais aussi sur la manière de faire face à une récession (dont d’après lui seul l’Etat est la cause, et en aucun cas le marché). Chaque fois qu’une économie entre en récession, les revenus chutent et les dépenses (par exemple les indemnités chômage) augmentent, tandis que les déficits se creusent.
Deux livres à succès
«Le triomphe de la cupidité», qui vient de sortir en français, est déjà un grand succès de librairie. Il a été traduit aussi en espagnol, allemand et japonais. Il va sans doute constituer une référence dans la pensée économique, même si ceux qui s’y réfèrent finissent pas oublier l’origine. Ce qui serait le principal signe du succès.
Stiglitz stigmatise les politiques économiques centrées sur le libre marché, l’obsession du court terme, les déréglementations, la libre circulation des capitaux, responsables des pires dérives du système financier… L’auteur critique le « mythe pervers» de l’autorégulation et les élites qui s’aveuglent en pensant que la financière n’aura que des répercussions économiques. Il s’agit, affirme Joseph Stiglitz, «de la faillite d’un système conjuguée à une grave crise morale». Il faut, dit-il dans ce livre comme dans les ses chronique publiées dans L’Economiste, «repenser le monde, de réformer une science économique» qui s’est fourvoyée, entraînant dans son sillage l’accroissement des inégalités, la montée de la pauvreté ou l’aggravation de la crise environnementale.
«La richesse des nations et le bien-être des individus», sorti à l’automne 2009, est aussi connu que «Le triomphe de la cupidité», mais sans doute moins lu. En fait il s’agit d’un collectif, présidé par Jean-Paul Fitoussi, et commandé par le président français. Ce dernier cherchait des outils de mesures différents de ceux qui sont généralement utilisés pour mesurer la croissance. Sarkozy espérait aussi que la crise serait l’occasion de redistribuer les cartes socio-économiques. Le nom du Pr. Fitoussi, qui est le patron de l ’Observatoire français des conjonctures économiques, lequel joue un rôle important auprès du gouvernement français, s’est trouvé marginalisé par la célébrité mondiale de Stiglitz, alors que la présence de ce dernier n’est pas déterminant pour l’ouvrage. Les analyses de Fitoussi comme celle d’Amartya Sen, autre prix Nobel, sont plus novatrices, plus fouillées.
Project Syndicate et L'économiste

19/09/2010 - "Dans une récession mondiale telle que celle d’aujourd’hui, l'austérité ne peut pas marcher"
Hedwige Chevrillon : Il y a tout juste deux ans, la banque américaine Lehman Brothers s'effondrait et entraînait cette grave crise économique et financière : est-ce que l'on a tiré les leçons de cette crise en termes de gouvernance économique et en termes de gouvernance financière? Pour commencer, peut être : est-on sortis de la récession ou craignez-vous toujours une sortie de crise en "W" en "double-dip" ?
Joseph Stiglitz : Il est clair que nous ne sommes pas sortis de la récession. Techniquement on parle de récession lorsqu’il y a deux trimestres, ou plus, de croissance négative. Mais en ce qui concerne le ralentissement, ce que la plupart des gens ressentent de par le monde, c’est que si le taux de chômage reste élevé, alors le ralentissement continue et en ce sens nous sommes très loin d’une sortie de crise.

En ce qui concerne le "double-dip", il est quasi certain, et presque tous les prévisionnistes sont d’accord pour le dire, que la croissance va ralentir. Mais on ne sait pas si la croissance va ralentir jusqu’à zéro ou si elle va ralentir jusqu’à un taux beaucoup plus bas qu’elle ne l’était cette année, enfin pour la première partie de l’année. En tous cas il va y avoir un ralentissement de la croissance.
Aux États Unis, ce qui est clair c’est que même les prévisions optimistes indiquent que la croissance sera trop faible pour créer les nouveaux emplois indispensables aux nouveaux entrants sur le marché du travail, sans parler d’emplois pour les millions d’Américains qui ont perdu leur emploi depuis le début de la crise en décembre 2007, il y a trois ans.
Vous avez dit que les gouvernements européens ont fait le mauvais choix en mettant en place des plans d'austérité. Vous avez dit que cela va accentuer la récession et que surtout cela va ralentir la croissance économique. Mais que faut-il faire lorsque l'on voit les déficits publics de nos États ?
Les pays qui ont choisi le chemin de l’austérité ont vu leur PIB baisser, ils s’en sont très mal sortis. Vous savez, cette expérience a été tentée maintes fois et l’issue de cette austérité c’est presque toujours un ralentissement de la croissance… Et ce qui est triste c’est qu’à cause de cette baisse de croissance, les recettes fiscales diminuent et à cause de ça, même les tentatives régionales de remise en ordre des finances sont sapées. En fait il n’y a que quelques cas rares où, parfois, l’austérité a été mise en place dans un pays avec un voisin en plein boum, et les exportations bouchaient le trou. Mais lorsque vous avez une récession mondiale telle que celle d’aujourd’hui, ça ne peut pas marcher.
Vous êtes contre ces plans mais il y a d'énormes déficits en Europe, aux Etats-Unis : que faire ?
Là maintenant, il faudrait se concentrer sur la question : comment on dépense l’argent. Il faut continuer à stimuler l’économie mais comme nous sommes inquiets pour l’avenir, on doit dépenser plus pour générer des investissements qui vont à la fois créer des emplois aujourd’hui et favoriser la croissance à l’avenir.
Donc si on dépense pour la technologie, l’éducation, les infrastructures, alors, même la dette nationale à long terme sera plus faible, parce que ces secteurs génèrent plus de croissance à court terme grâce à la relance, ce qui signifie plus de recettes fiscales. Et parce que le retour sur investissement mène à plus de croissance à long terme, cela entraîne encore une fois plus de recettes fiscales. On doit donc voir plus loin lorsque l’on réfléchit au problème du déficit.
Selon vous, il ne faut donc pas avoir comme horizon les déficits publics mais il faut au contraire stimuler encore l'économie. Mais ça coûte cher.
C’est différent selon les pays. En fait, aujourd’hui aux Etats-Unis, le coût du financement du déficit n’est pas élevé : il n’a jamais été aussi bas ! Le coût des dépenses à court terme est proche de zéro et à long terme ça représente seulement 2,5 %. Donc, en fait, c’est un moment rêvé pour faire des investissements à long terme.
Et c’est vrai pour la plupart des pays européens. Bien sûr quelques-uns sont en grande difficulté financière, ça ne s’applique pas à eux et ils pourraient ne pas avoir beaucoup de choix mais la plupart des pays européens peuvent faire des choix.
Comme je vous le disais, la plupart des pays européens, dont la France, ont le choix. Et si ils réorganisent le mix "impôts-dépenses", ils pourront avoir à la fois plus d’impulsion et améliorer leur position financière à long terme. C’est pourquoi je continue à répéter : voyez plus loin que le bout de votre nez, pensez à long terme, et comment vous pouvez améliorer la position fiscale du pays à long terme…
Cela veut dire que vous pouvez être amené à réduire les dépenses de certains domaines mais les augmenter dans d’autres domaines qui ont de plus grands retours sur investissement à long terme. Donc le mix est aussi important que la somme dépensée.
Vous dites que la mondialisation économique est allée beaucoup plus vite que la mondialisation politique : mais estimez-vous notamment par exemple que le G20 a été une bonne réponse à cette mondialisation politique ?
Pour une réponse politique à une crise économique, ça a été une amélioration majeure par rapport au G8. Mais comme le rapport de la commission des experts internationaux le souligne, il y a 172 pays qui ne sont pas dans le G20. Le G20 manque de légitimité politique. Il n’est pas représentatif. Les voix des pays les plus pauvres ne sont pas entendues. Donc c’est un pas dans la bonne direction par rapport au G8 mais je crois que nous devons nous diriger vers le genre d’idée suggérée dans le rapport : un conseil de coordination économique mondial.
Et ce sont les Nations unies qui pourraient jouer ce rôle ?
Je crois que les Nations Unies pourraient avoir un rôle important dans ce domaine. C’est l’organisation internationale qui a une légitimité politique. Le fait que certains de ses défauts ont été reconnus ne veut pas dire que nous devons l’abandonner mais au contraire travailler pour l’améliorer. Et je crois qu’il y a des possibilités : que ce soit le G20 réformé ou la création d’un conseil de coordination économique mondial. Je crois qu’il y a différentes solutions au sein de diverses institutions qui peuvent être votées sous l’égide de l’ONU. Je crois que cela renforcerait sa légitimité.
Vous avez été l'un des pourfendeurs du FMI, vous avez été économiste à la Banque mondiale : estimez-vous que le FMI a joué un rôle plus positif notamment avec Dominique Strauss-Kahn à sa tête ?
Il est clair que le FMI a changé de façon notable ces dernières années avec Dominique Strauss-Kahn à sa tête. On en a eu plusieurs exemples : son insistance sur l’importance de plans de relance mis en place par les gouvernements, des politiques keynésiennes que le FMI était réticent à soutenir auparavant, mais aussi son insistance à vérifier que l’économie est de nouveau sur pied en regardant le taux de chômage, donc concentré sur le marché du travail et pas sur les marchés financiers.
Évidemment avec ces critères, que ce soit l’Europe ou les États-unis il est clair qu’aucun des deux n’est remis de la crise. Mais pour de nombreux pays c’est l’avenir qui inquiète : si le FMI change si facilement avec un nouveau président, si il venait à partir, comment savoir si le prochain président ne reviendra pas aux pratiques d’avant ? Et ça soulève une grande inquiétude sur les déficiences de la gouvernance du FMI.
Donc Professeur Stiglitz vous dites à Dominique Strauss-Kahn : "restez à Washington" ? Vous savez que c'est un débat en France…
Le FMI est conscient qu’il serait bon que les pays, plutôt que de construire leurs propres réserves de change, se tournent vers lui, parce que faire des réserves cela mène à une demande économique mondiale inadéquate. Mais les pays sont en train de dire : "on ne peut pas se fier à vous ! Même si on vous fait confiance aujourd’hui, si il y a une crise dans quinze ans, on ne sait pas qui sera à la tête du FMI et quelle politique il suivra !" Donc c’est un problème à plus long terme que les questions politiques qui se posent en ce moment.
Vous publiez donc le rapport Stiglitz "pour une vraie réforme du système monétaire et financier international". Deux questions pour finir : tout d'abord, qu'est-ce que vous attendez du G20 présidé par Nicolas Sarkozy ?
J’espère qu’ils seront capables de faire des progrès sur ces problèmes de gouvernance mondiale, de réforme du système monétaire international, sur l’importance des rapports. Qu’ils seront capable de faire des progrès sur certaines des lacunes du cadre de régulation financière. J’espère qu’ils arriveront à atteindre un consensus plus large sur les dangers d’une austérité prématurée mais vu ce qui s’est passé à Toronto, je ne suis pas très optimiste quant à la tournure que cela va prendre. Donc je pense que les rôles les plus constructifs qu’il puisse jouer sont sur les sujets de gouvernance mondiale et la réforme du système monétaire mondial.

On se souvient du "too big to fail" pour les banques (trop gros pour faire faillite) : est-ce que vous estimez que ce que le Comité de Bâle a décidé est suffisant pour éviter une autre crise ?
Ils n’ont pas vraiment répondu à la question du « too big to fail », les Etats-Unis non plus d’ailleurs. Ce qu’ils ont fait à Bale, c’est fournir un peu plus de fonds propres et ils ont échelonné sa mise en place effective jusqu’en 2019. Donc c’est un pas dans la bonne direction mais il est clair qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir.
Que reste-t-il à faire ?
Je pense que d’un pays à l’autre ce qu’il reste à faire est différent. Ce qui est intéressant c’est que, selon les pays, on n'a pas mis l’accent sur les mêmes choses : aux Etats-Unis, on s’intéresse aux banques « too big to fail », aux bonus, aux taxes sur les banques… Dans la nouvelle loi il y a beaucoup de bonnes dispositions mais aussi d’énormes exonérations et exceptions. Il y a par exemple une commission de sécurité des produits financiers pour protéger les consommateurs mais il y a vraiment de grosses exceptions. On doit donc essayer de rendre ces principes plus universels.
BFM
23/08/2010 - Livre - Le triomphe de la cupidité

9782918597056.jpgJoseph Stiglitz propose une synthèse, centrée sur les Etats-Unis. Pour lui, la cause est financière : « Il y avait une bulle, et elle a éclaté, en apportant la dévastation dans son sillage. Cette bulle était alimentée par des prêts douteux des banques, qui acceptaient pour nantissement des actifs dont la valeur était gonflée par la bulle. Des innovations récentes ont permis aux banques de cacher une bonne partie de leurs prêts pourris, de les retirer de leur bilan, et d’accroître ainsi leur effet de levier, ce qui a rendu
la bulle encore plus grosse et le chaos quand elle a éclaté encore plus grave ».

« La crise n’est pas un cataclysme qui serait ‘arrivé’ aux marchés financiers ; elle est de fabrication humaine : Wall Street se l’est lui-même infligée, à lui et au reste de la société. » Il dénonce le rôle d’Alan Greenspan, mis en place par Ronald Reagan pour favoriser une déréglementation à laquelle Paul Volcker était moins favorable. Il dénonce la course trimestrielle aux profits et la titrisation, qui permet surtout aux banques d’empocher de juteuses commissions et qui a relâché l’évaluation des prêts du fait qu’ils sont ensuite sortis des comptes.
Joseph Stiglitz décrit un monde financier mal conçu où les différentes incitations poussent tous les acteurs à adopter un mauvais comportement. Les prêts hypothécaires étaient conçus de manière à maximiser les gains des banques et la titrisation leur permettait de ne pas vraiment faire attention au risque de remboursement. Enfin, les modèles étaient mal étudiés pour prévoir les risques de risque puisque selon ceux couramment utilisés, « le type de krach boursier qui s’est produit le 19 octobre 1987 ne pouvait survenir qu’une fois toutes les 20 milliards d’années »…
L’auteur en profite pour dénoncer les excès d’un système inégalitaire puisque le revenu réel médian des ménages a baissé de près de 4% de 2000 à 2008 (alors que le prix de l’immobilier s’envolait et que le PIB par habitant a cru de 10%), preuve que seule une petite minorité en profitait. La croissance était alimentée par le crédit, les extractions hypothécaires des ménages pouvant représenter jusqu’à 7% du PIB en une année. Et cette inégalité se retrouve dans les aides aux banques alors que les ménages surendettés voient leur maison saisie : « Les spéculateurs sont mieux traités que les travailleurs ».
Joseph Stiglitz a la dent dure avec le précédent président, dont il rappelle toutes les déclarations infirmées par la réalité. Son analyse détaillée du TAARP (le plan de sauvetage des banques) fait froid dans le dos : 150 milliards de dollars pour acheter les votes du Congrès, les 180 milliards pour AIG. Il affirme même que les contribuables ont été « volés ». Il dénonce le fonds de rachat d’actifs toxiques, financé à 92% par l’Etat, qui en supporte les pertes mais ne recevra que 50% des profits (le reste allant au secteur privé, qui, en plus, peut se délester de ses actifs les plus pourris).
Mais il n’est guère moins dur avec Barack Obama, dont il qualifie la stratégie de « navigation à vue ». Pour lui, « il est frappant que le président Obama, qui avait fait campagne en promettant le changement auquel on peut croire, n’ait que légèrement redisposé les fauteuils sur le pont du Titanic ». Il dénonce le deux poids deux mesures d’une administration pour laquelle « les contrats des cadres supérieurs d’AIG étaient sacro-saints, mais les accords salariaux des ouvriers des entreprises automobiles qui recevaient de l’aide devaient être renégociés ».
Il souligne aussi les avantages que Goldman Sachs a tirés du sauvetage d’AIG (13 milliards de dollars) ou les milliards de bonus distribuées par des entreprises qui n’avaient pourtant dû leur survie qu’à l’aide de l’Etat. En un sens, il dénonce le gouvernement des banques, qui tirent profit de leur taille pour imposer la collectivisation de leur perte alors qu’elles conservent bien les profits. Il dénonce également les cadeaux de la Fed à l’ensemble du système bancaire. Il souligne enfin que cela correspond à la logique des plans de sauvetage du FMI, qui protègent toujours les créanciers occidentaux…
Joseph Stiglitz jette toute son autorité dans une analyse impitoyable qui montre la responsabilité des banques, qui ont engrangé d’immenses profits avant d’être sauvées par l’Etat alors que les citoyens ont triplement perdu : leur maison, la facture du TAARP et parfois leur emploi.
Source - Marianne2
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http://minuit-1.blogspot.com/2011/07/joseph-stiglitz-livre-analyses-et.html#more
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