Par Thierry Brugvin *
En novembre, la campagne annuelle « alimenterre », bas son plein. Elle nous rappelle, que des millions d’être humains ne mangent pas à leur faim et cela risque encore d’empirer avec la croissance de la population mondiale, qui a atteint les 7 milliards en novembre 2011. Début, 2011 une nouvelle crise alimentaire à sévit à l’échelle internationale en particulier en Algérie. En 2010, c’était dans la corne de l’Afrique, l’année 2008, fut celle de la crise économique et des émeutes de la faim dans les pays du Sud.
Mais ces crises alimentaires doivent aussi nous faire prendre conscience que l’alimentation est un enjeu géopolitique, un objet de spéculation pour les marchés financiers, une source de profit pour les transnationales et un enjeu de pouvoir pour les Etats dans les relations internationales.
Le développement des agrocarburants contribue à affamer les plus malnutris.
En 2009, il y avait 6,8 milliards d’habitants sur Terre et déjà 1,02 milliard de personnes en situation de malnutrition, selon un rapport de la FAO, soit 1,5 personne sur 10 sur la terre1. Selon Jean Ziegler, « la mortalité due à la sous-alimentation représentait 58 % de la mortalité totale en 2006. Dans le monde, environ 62 millions de personnes, toutes causes de décès confondues, meurent chaque année. En 2006, plus de 36 millions sont mortes de faim ou de maladies dues aux carences en micronutriments »2.
En 2011, le problème de la famine actuellement ne relève pas de carences dans la production, puisque l’agriculture produit suffisamment. La première cause de la malnutrition réside en réalité, principalement, dans un manque de solvabilité des plus pauvres, du fait d’une redistribution insuffisante des richesses. En effet, le BIT estimait, à 23%, la part de la population des pays à bas salaire qui était condamnée à survivre avec 1 dollar par jour3. La malnutrition s’explique ensuite par la spéculation sur les matières premières alimentaires, l’utilisation d’agrocarburants et le gaspillage de la nourriture. Selon la FAO et l’institut Suédois SIWI, plus de 50% de la production mondiale de la production mondiale annuelle de nourriture était gaspillée, en 20084. Les problèmes de famines dans le monde pourraient donc déjà être éradiqués, par le seul moyen d’une meilleure gestion de la distribution et de la solvabilité des consommateurs. La première cause de ce gaspillage réside, dans la grande distribution, car ses dirigeants préfèrent jeter à la poubelle la nourriture dont la date de péremption est dépassée, plutôt que de risquer un scandale sanitaire. La restauration collective contribue aussi à ce gaspillage, car une large partie de ce qui est produit n’est pas consommée. Enfin, les individus jettent aussi beaucoup de nourriture. Selon l’ADEME, en un an, chaque Français jette en moyenne 7 kg de produits encore emballés, non entamés.5
Concernant les pratiques de la restauration (notamment collective), France Nature environnement précise que le gaspillage s’explique « par la quantité de nourritures servies non ajustées aux besoins des clients, plats ne correspondant pas au goût des clients, gestion des stocks, organisation en cuisine centrale, etc. (…).Dans la région bruxelloise, par exemple : le gaspillage alimentaire est composé de 48% de produits entamés (problème de gestion des quantités achetées), dont en grosse majorité le pain, les pâtisseries, les biscuits, les fruits et légumes; 27% de produits périmés (problème de gestion des dates de péremption), surtout les fruits et les légumes puis les produits de viande, les produits laitiers et les plats cuisinés; 25% de restes cuisinés (…). Dans les pays les plus pauvres, la majorité des pertes a lieu avant d’atteindre le consommateur : 15 à 35% dans les champs et 10 à 15% au moment de la fabrication, du transport et du stockage. Dans les pays riches, la production est plus efficace, mais les citoyens jettent beaucoup d’aliments »6. Le gaspillage de céréales, de légumes et de viandes accroît non seulement le coût des denrées alimentaires, mais leur production inutile augmente aussi la consommation d’eau déjà insuffisante, l’empreinte écologique, le niveau de CO2, le réchauffement climatique…
Le combustible des automobiles au Nord contre la nourriture au Sud ?
Concernant la consommation journalière de pétrole, un Chinois en consomme de 0,5 à 1,1 litres, un américain de 11 à 12 litres, soit près de 12 fois plus7. Or, Jacques Diouf, le directeur de la FAO, précisait qu’il y avait déjà 100 millions de tonnes de céréales transformées en carburant en 20068. Jean Ziegler souligne qu’il faut 232 kg de maïs nécessaire pour faire un plein de cinquante litres d’éthanol. Cette quantité de maïs représente assez de calories pour faire vivre un enfant pendant un an9.
Un rapport confidentiel de la Banque mondiale, obtenu par le Guardian, affirme que Don Mitchell, un économiste réputé de la Banque mondiale, « a calculé le prix d’un panier de denrées entre janvier 2002 et février 2008 et mesuré une hausse globale de 140%. Prenant en compte la ’’chaîne des conséquences’’, Mitchell estime que sur les 140% d’accroissement, 35% sont imputables à la hausse des prix de l’énergie, des engrais et à la faiblesse du dollar, et 75% aux agrocarburants. Le rapport ’’affirme que la production des biocarburants a désorganisé le marché des produits alimentaires de trois façons majeures. D’abord [la demande pour les biocarburants] détourne le blé vers l’éthanol et non vers l’alimentation. Ensuite, à l’heure actuelle, presque un tiers du maïs produit aux Etats-Unis sert à la production d’éthanol et environ la moitié des huiles végétales (colza, tournesol, etc.) sont utilisées pour le biodiesel. Et finalement, cette dynamique haussière a attiré la spéculation sur les céréales ’’ »10.
Jacques Berthelot estime que « les États-Unis sont indubitablement les principaux responsables de la flambée des prix agricoles et des émeutes de la faim actuelles, par les objectifs déments qu’ils se sont fixés pour la production de biocarburants et parce que, comme on l’a vu, ce sont les prix des grains des États-Unis qui font les prix mondiaux sur lesquels les autres pays exportateurs s’alignent »11. Cependant, les Européens ne sont pas en reste.
Les transnationales Européennes et Américaines ont demandé à leurs gouvernements de les subventionner pour la production d’agrocarburants, afin qu’ils deviennent rentables, concernant le soja, la betterave (transformés en biodiesel), les céréales ou la canne à sucre (sous forme d’éthanol). C’est pourquoi, depuis avril 2008, tous les carburants essence et diesel en Grande-Bretagne ont inclus 2,5% de biocarburants. L’UE a envisagé de relever cet objectif à 10% en 2020 »12.
En 2007, les biocarburants représentaient 2,6 % de l’ensemble des carburants utilisés dans les transports routiers en Europe13. Au nom de la sécurité énergétique, en mars 2007, lors du Conseil des ministres européens, il a été « décidé que les agrocarburants devraient représenter 5,75 % en 2010, puis au moins 10% de la consommation d’essence et de gazole des transports, dans chaque État membre (…). Mais, la France a choisi d’aller plus loin que ces objectifs européens »14. Par conséquent, chaque fois qu’un Européen fait un kilomètre en voiture, il brûle actuellement des agrocarburants qui auraient pu être utilisés pour l’alimentation des plus malnutris.
Dans son rapport prospectif sur l’alimentation pour les années 2007-2016, la FAO prévoit une augmentation de 20 à 50% du prix des denrées alimentaires. Selon l’IFPRL, « un institut spécialisé sur les questions d’alimentation et d’agriculture, qui a étudié plus directement l’impact du développement des agrocarburants sur les prix alimentaires, on peut s’attendre à des hausses significatives de nombreuses denrées alimentaires à l’horizon 2020, par exemple de 16 à 30% pour le blé selon les scénarios, ou encore de 54 à 135% pour le manioc, et de 23 à 41% pour le maïs, en raison du développement des agrocarburants »15.
Compte tenu du fait que les agrocarburants n’ont pas bonne presse chez les militants écologistes et les associations pour la justice sociale, ils sont abusivement dénommés biocarburants par ses promoteurs plutôt qu’agrocarburants. Or, ils n’ont rien de ’’bio’’, puisqu’ils poussent dopés aux engrais et aux pesticides. De plus, des entreprises, telles Sofiprotéol (et sa filiale Oléosud) ou des fondations, telles Farm réalisent des projets de développement d’agriculture vivrière. Ceci, dans le but de tenter de rendre plus acceptable, par l’opinion publique, le développement des agrocarburants. Ces derniers accroissent directement le prix des céréales dont dépendent les populations plus pauvres pour se nourrir. La fondation Farm mobilise aussi des mécènes (BASF agro, Syngenta, Tereos, Progosa), qui sont des géants agro-industriels ou pétrochimiques, qui cherchent à se racheter une image plus acceptable.
Les pays les plus riches et les grandes entreprises des pays industrialisés achètent des terres au détriment de l’agriculture vivrière locale.
Les locations (à très long terme) et ces achats de terre par des agro-industriels visent, à cultiver des agrocarburants ou les céréales qui manquent dans leur pays. À travers ces réformes foncières de nature néolibérale, il s’agit d’ouvrir le marché des terres agricoles aux entreprises occidentales notamment, afin que les plus riches puissent s’octroyer les ressources agricoles déficitaires dans les pays développés. L’ONU estimait en 2008, que 60 millions depersonnes sont menacées d’expropriation du fait de l’expansion des cultures destinées aux agrocarburants, dont cinq millions de ces personnes se trouvant en Indonésie16. En 2008, le rapport du Grain évaluait déjà, à 40 milliards d’ha,la surperficie des terres, qui avaient été achetées par des transnationales17. Des populations locales sont parfois expulsées, le prix des terres augmente, alors que les terres agricoles accessibles aux petits paysans manquent dans certains pays, tel au Brésil, où les mouvements des « paysans sans terre » militent contre cette situation.
A Madagascar, « le sud-coréen Daewoo Logistics s’est lancé dans la culture de maïs et la production d’huile de palme, où le groupe bénéficie d’une licence d’exploitation de terres immenses pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans. Un accord signé avec le gouvernement, en juillet 2008, lui accorde 1,3 millions d’hectares de terres, soit l’équivalent de la moitié des terres arables de la Grande Île. Les Sud-Coréens comptent, de ce fait, renforcer la sécurité alimentaire de leur pays, quatrième plus gros importateur de maïs »18. Alors que le pays ne produit pas suffisamment de denrées alimentaires pour se nourrir, la population s’insurge. Ainsi, en décembre 2008, le maire d’Antananarivo, Andry Rajoelina, appelle à une grève générale, contre le président de la République de Madagascar, Marc Ravalomanana. En mars 2009, Rajoelina chassera Ravalomanana du pouvoir, pour y prendre sa place. Généralement, ces achats de terres se font discrètement entre les pouvoirs publics et des transnationales, la population n’est pas informée et donc ne se révolte pas.
Manger moins de viande favoriserait la protection de la planète et favoriserait l’accès à la nourriture pour tous.
Or, actuellement, à la croissance des agrocarburants, s’ajoute la croissance de la consommation de protéines animales, avec le rapide développement des pays émergents (Chine, Inde, Brésil…), ce qui vient encore limiter le stock de protéines végétales disponibles. Mais, l’usage de ces dernières par rapport aux protéines animales, dans la redistribution des ressources alimentaires mondiales, semble sous-estimé par les populations des pays industrialisés et aussi par les organisations internationales. Comme le précise Pierre Parodi, les protéines végétales nécessitent sept fois moins de terre cultivée pour les produire que les protéines animales. Cela permet donc de produire sept fois plus de protéines sous forme de céréales, pour l’ensemble de l’humanité. De plus, il ajoute qu’il est tout à fait possible de se nourrir, sans aucun apport animal, lorsque les céréales sont associées aux légumineuses dans l’alimentation. Ces associations font d’ailleurs partie des traditions de nombreux peuples comme la semoule de couscous mélangée aux pois chiches en Afrique du Nord (Parodi, 1964 : 30).19
Néanmoins, même si ce mode d’alimentation est sain et nutritif, il peut être perçu comme une alimentation au rabais, si les Occidentaux ne l’adoptent pas eux-mêmes. Or, si le nombre de végétariens augmente dans les pays du Nord, il reste relativement peu important. Enfin, l’élevage intensif de bovins produit du méthane, car les vaches lorsqu’elles digèrent en renvoient dans l’atmosphère de grandes quantités. En Europe, cela représente près de 10% de l’ensemble gaz à effet de serre, selon l’Agence européenne pour l’environnement (2008). En France, les bovins rejettent, à eux seuls, 26 millions de tonnes de CO2 et le stockage de leurs déjections, 12 millions de tonnes, soit 38 millions. Soit, prêt de 3 fois plus que les 14 raffineries de pétrole qui émettent 13 millions de tonnes de CO2, selon la Caisse des dépôts20. Mais dans la mesure où les Occidentaux importent de la viande, les conséquences d’une consommation carnée sont plus importantes encore en terme d’émission de CO2. De plus, l’élevage s’opère parfois, au prix de large déforestation comme au Brésil, ce qui renforce encore le réchauffement climatique.
Le néolibéralisme mondialisé favorise la concurrence des transnationales agricoles au détriment des pays les plus fragiles.
Marx explique, que la pauvreté, l’exploitation des travailleurs permet leur domination et leur aliénation, qui limitent leur capacité à se former et donc leur capacité à tenir leur rôle de citoyen, c’est à dire à défendre la démocratie. Avant, de trouver d’éventuelles causes, relevant de l’illégalité, il faut en effet, chercher les causes de la pauvreté des pays en développement dans l’analyse marxiste notamment. Cette dernière explique les inégalités principalement par le rôle des infrastructures économiques, des rapports sociaux de production, les inégalités des termes de l’échange, la division internationale du travail entre le centre et la périphérie (Emmanuel, 1969)21, renforcé par une ouverture « forcée » des marchés nationaux au nom du néolibéralisme, en particulier par l’OMC, appuyé par les institutions de Bretton-Woods. Le capitalisme libéral mondialisé est fondé en particulier sur l’avantage comparatif et la division internationale du travail, en particulier l’échange de produits primaires en provenance des pays en voie de développement contre des produits manufacturés exportés par les pays développés (Ricardo)22. Ces politiques néolibérales permettent aux transnationales agricoles d’écouler leurs produits agricoles dans les PED. Or, elles sont fortement industrialisées et subventionnées par leurs Etats. C’est pourquoi la concurrence est inégale. Ainsi en écoulant par exemple, du blé, des ailes de poulet ou du lait à très bas prix, elles font disparaître les petits paysans locaux qui ne peuvent assumer la concurrence. Le chômage s’accroît et le pays perd son autonomie alimentaire. De même la privatisation des services publics sous la pression de l’OMC et de la Banque Mondiale, permet aux transnationales du Nord, de racheter à bas prix les entreprises publiques. Le pays perd alors son autonomie au plan économique.
A l’inverse certains courants, cherchent à développer l’autonomie locale et nationale, avant d’échanger et donc à exercer une « relocalisation sélective » de la production favorable à la fois à la baisse de la pollution liée aux transports, mais surtout une autonomie économique, alimentaire, technologique, conditions d’un développement souverain, donc autonome.
Ainsi, en répondant aux besoins des populations, en stimulant par exemple la production des cultures vivrières, en permettant l’éducation de base, en répondant aux besoins locaux avant de suivre la demande internationale, le pays devient ainsi plus autonome et peut assurer sa croissance à long terme. Mais, pousser trop loin ces trois principes du développement poussent vers certains excès. Trop de « self reliance » conduit à l’autarcie sclérosante, l’exacerbation de l’identité culturelle pousse vers un nationalisme destructeur et la satisfaction des besoins essentiels devient à nouveau un moyen de conserver les privilèges des plus riches, avec un système à deux vitesses. La vigilance et le discernement restent donc nécessaires, lorsque l’on s’appuie sur ces trois piliers du développement.
Le monopole du contrôle des semences devient une arme alimentaire et commerciale.
Bill Gates investit des millions dans une chambre forte une île perdue dans l’Arctique « Il investit des dizaines de millions avec la Fondation Rockefeller, Monsanto Corporation, la Fondation Syngenta et le gouvernement de Norvège, entre autres, dans ce qui est appelé ’’arche de Noé végétale’’. Officiellement, le projet est appelé chambre forte à semences mondiales de Svalbard, sur l’île norvégienne de Spitsbergen. La chambre forte (…) contiendra jusqu’à trois millions de variétés différentes de semences du monde entier, « de sorte que la diversité végétale puisse être préservée pour l’avenir, » selon le gouvernement norvégien. (…) Quel avenir, prévu par les sponsors de l’arche de Noé végétale, menacerait la disponibilité actuelle des semences, leur quasi totalité étant déjà bien à l’abri dans des chambres fortes aux quatre coins du monde ? Le premier point remarquable est qui parraine l’arche de Noé végétale. Ceux qui s’unissent aux Norvégiens sont, comme noté, la Fondation Bill & Melinda Gates ; le géant étasunien de l’agro-alimentaire DuPont/Pioneer Hi-Bred, l’un des plus grands propriétaires de brevets d’organismes génétiquement modifiés (OGM), de semences de plantes et de produits apparentés de l’agrochimie ; Syngenta, à travers sa fondation, la principale compagnie suisse de semences OGM et de produits de l’agrochimie ; la Fondation Rockefeller, le groupe privé qui a créé la révolution génétique, avec plus de 100 millions de dollars de semences depuis les années 70 ; le CGIAR, le réseau mondial créé par la Fondation Rockefeller pour promouvoir son idéal de pureté génétique à travers la conversion de l’agriculture (…). En 1971, l’IRRI de la Fondation Rockefeller, à créer avec la fondation Ford, le CGIAR (…). Pour garantir un impact maximum, le CGIAR a impliqué l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), le Programme des Nations Unies pour le Développement et la Banque Mondiale. Ainsi, à travers l’influence soigneusement planifiée de ses ressources initiales, au début des années 70 la Fondation Rockefeller était à même de façonner la politique agricole mondiale. Et elle ne s’en est pas privé (…). La Révolution Verte visait à résoudre à grande échelle le problème de la faim dans le monde, au Mexique, en Inde et dans d’autres pays choisis où travaillait Rockefeller (…). En réalité, comme il est apparu des années plus tard, la Révolution Verte était une brillante manigance de la famille Rockefeller pour développer un agro-alimentaire mondialisé qu’elle pourrait ensuite monopoliser, tout comme elle l’avait fait dans le monde de l’industrie pétrolière en commençant un demi-siècle auparavant. Comme Henry Kissinger l’avait déclaré dans les années 70 : ’’Si vous contrôlez le pétrole vous contrôlez le pays ; si vous contrôlez l’alimentation, vous contrôlez la population’’(…). Les OGM nommés terminator force les agriculteurs à retourner chaque année chez Monsanto ou d’autres semenciers OGM pour obtenir de nouvelles semences de riz, de soja, de maïs, de blé, de toutes les principales cultures dont ils ont besoin pour nourrir la population. Si c’était largement adopté dans le monde, on pourrait peut-être en une dizaine d’années faire de la majorité des producteurs de nourriture du monde de nouveaux serfs féodaux, asservis à trois ou quatre géants semenciers comme Monsanto, DuPont ou Dow Chemical. Ces compagnies privées (…) n’ont guère d’antécédent sans taches en termes de gestion de la vie humaine. Elles ont développé et multiplié des innovations du style dioxine, PCB, Agent Orange (…) utilisé au Vietnam notamment 23 » explique Engdhal.
L’eugénisme et le contrôle de l’alimentation sont parfois conçus comme un instrument au service du malthusianisme.
Or, le contrôle alimentaire est un instrument de la « discipline des corps , telle que la qualifie Foucault dans Surveiller et Punir (1975)24 . Cette dernière prend des formes variées : l’organisations du travail dans l’entreprise, la surveillance des prisonniers, le respect de la discipline par les soldats vis-à-vis de leur hiérarchie… la discipline des populations en représente le volet global.
En effet, une part de l’élite blanche mondiale, considère qu’un des grands dangers, vis à vis de son pouvoir, réside dans « l’arme démographique », c’est à dire la puissance conférée, par la masse des individus. En effet, c’est une menace militaire (une armée de millions d’hommes), mais aussi une menace sur les ressources (alimentaires, matières premières…) puisque leur consommation potentielle, peut entrer en concurrence avec celle des plus riches.
Kissinger a présenté en 1974 des moyens visant à contrôler le nombre de la population des PED,. Dans le Rapport Kissinger » (1974) on peut lire que les pays du Nord sont menacés par les pays du Sud, car bien qu’ils soient pauvres, ils sont beaucoup plus peuplés. D’où, la nécessité impérieuse de contenir, c’est-à-dire brider la croissance démographique du Sud, afin que le pouvoir des pays industrialisés ne soient pas un jour menacé par « l’arme démographique ». Le rapport du National Security Council, préparé en 1974, sous la direction d’Henry Kissinger, fut déclassifié en 1980 et tenu secret jusqu’en 1989. Kissinger y mentionnait ceci : «Serons-nous contraints de faire des choix sur les pays que nous devrons raisonnablement aider, et si c’est le cas, les efforts de contrôle de la population devraient-ils être un critère pour une telle aide ? (…) Les Etats-Unis sont-ils prêts à accepter un rationnement de la nourriture, pour aider les gens qui ne peuvent/veulent contrôler leur taux de reproduction de population ? (…) Il est vital que les dirigeants des pays les moins développés ne voient pas, dans la volonté de développer et de renforcer un engagement de leur part [pour la réduction de population], une politique des pays industrialisés pour maintenir leur pouvoir ou pour détourner les ressources naturelles en faveur des pays ‘riches’. Une telle perception pourrait créer de sérieuses répercussions défavorables au projet de stabilité des populations » (Kissinger, 1974 : 82)26.
La stratégie Malthusienne néolibérale s’oppose aux politiques sociales en matière de démographie. En 2009, il y a 1,2 milliards de personnes qui souffrent de malnutrition dans le monde et 6 millions de morts dus à la malnutrition dans le monde chaque année27, soit près d’un dixième de la population française, ou l’équivalent du nombre des personnes juives assassinées dans les camps nazis en 1939-45, tous les ans… Dans la mesure, ou l’humanité disposent encore de suffisamment de nourriture disponible sur la terre, ces décès peuvent être considérés comme un choix politique de les laisser mourir. En effet, en 2008, les gouvernements des pays les plus industrialisés ont mis en place des plans de sauvetage des banques et des sociétés d’assurance qui représentent ensemble plus de 20 fois la somme de 80 milliards de dollars nécessaires selon l’ONU pour satisfaire les besoins essentiels de la population mondiale28.
Selon le FNUAP, si le taux de natalité mondiale descendait à 4/1000, le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté pourrait descendre de 2,4 % (FNUAP 2002)29. Cette prévision n’a de valeur que s’il n’y avait bien sur, pas de changement de politique économique. Car, c’est d’abord les choix relatifs à la répartition des richesses, bien avant la question de la démographie, qui permet de faire varier le nombre de personne vivant sous le seuil de pauvreté.
Plus, la population mondiale, va continuer à croître, plus il y a un risque que cette situation s’aggrave. En 1994, on estimait « qu’au rythme actuel rythme de 1,6% par an, une grandeur double en 44 ans. S’il devait se maintenir, les 5,63 milliards d’hommes deviendraient 11,3 milliards en 2038, 22,5 milliards en 2082, etc30.. En 2009, les démographes estimaient, qu’en 2050, la population mondiale devrait atteindre les 9 milliards d’individus (AFP, 2009)31. L’O.N.U. prévoit que la population mondiale serait « seulement » de 8,3 milliards en 2025. Une stabilisation aux alentours de 11 à 12 milliards à la fin du XXIe siècle est son hypothèse » centrale (Population et société, 1994)32.
Or, on observe différentes attitudes face à la croissance de la population mondiale. Certains experts estiment qu’à 9 milliards, voir jusqu’à 11 milliards, la terre pourrait nourrir toute l’humanité. D’autres estiment au contraire qu’il serait préférable de revenir à un nombre très restreint et ce d’autant plus que les ressources non renouvelables tendent à disparaître.
Il existe finalement deux grandes stratégies, pour réduire la natalité mondiale afin de nourrir plus facilement l’ensemble des terriens..
Les stratégies mathusiennes néolibérales visant à agir contre le développement de la natalité à travers divers procédés (contraception, planning familiale…), sans redistribuer les richesses. Les plus extrêmes préconisent même des solutions qui se rapproche des thèses eugénistes, tel que l’absence de soins de santé pour les plus pauvres ou la « suppression » des individus et ce qu’ils considèrent comme les « races » inférieures. Dans les PED par exemple, l’absence de prise en charge des traitements du SIDA aboutit à cette situation. Or, le laisser-faire du malthusianisme néolibéral, réside finalement dans le choix politique des nations les plus riches, consistant à ne pas organiser un financement mondial de la santé.
A l’inverse, les politiques sociales qui visent redistribution des revenus, afin de favoriser l’éducation, l’émancipation des femmes, la lutte contre la discrimination à l’égard des femmes et leur autonomie personnelle, professionnelle et leur retraite. En effet, les démographes tel Emmanuel Todd, observent que plus les femmes sont instruites, moins elles mettent au monde un nombre important d’enfants. Cela s’explique notamment par une meilleure connaissance des systèmes de contraception la capacité à les intégrer et une plus grande autonomie de la femme, vis à vis de son époux et de la tradition. Mais, réunir ces conditions cela suppose aussi: des emplois et des revenus suffisants, des terres accessibles pour leur permettre de vivre de leurs revenus. Ces ressources permettant aux parents d’envoyer les enfants à l’école, afin de s’instruire afin de s’émanciper. De même la création d’un système de retraite par répartition limite la natalité. Sinon les parents font beaucoup d’enfants, afin qu’ils y en survivent suffisamment pour les aider durant leurs vieux jours.
Contrôler les institutions de protection de la santé et de l’alimentation permet de favoriser les intérêts du capitalisme pharmaceutique.
En 1906, est signé le Food and Drug Act, puis en 1927 est créé la Food, Drug, and Insecticide Administration. Elle est renommée, en 1930, du nom de Food and Drug Administration – (FDA : Administration de l’alimentation et des médicaments). Le vétérinaire Burroughs qui travaillait pour la FDA affirme que « le dossier fourni par Monsanto (à la FDA) était aussi haut que moi […] Or, le règlement de la FDA nous impose de ne pas dépasser un délai de cent quatre-vingts jours pour analyser les données (…). En fait, c’est une technique des entreprises pour décourager un examen minutieux : elles envoient des tonnes de papiers,en espérant que vous vous contenterez de les survoler (…). Burroughs, quand il a vu que des « données manquaient », demande à l’entreprise de « revoir sa copie » (…). « Il est d’abord suivi dans sa requête par la FDA, avant de se trouver « mis sur la touche » (…). « On m’a bloqué l’accès aux données que j’avais moi-même demandées, jusqu’à ce que je sois complètement dépossédé du dossier. Et puis, le 3 novembre 1989, mon chef m’a raccompagné à la porte, c’était fini pour moi [licencié] (…) pour incompétence». « L’agence a sciemment fermé les yeux, sur les données dérangeantes, parce qu’elle voulait protéger les intérêts de la société, en favorisant au plus vite la mise sur le marché de l’hormone transgénique…» 33.
Alfred N. Richards préside l’Académie Nationale des Sciences à Washington. Or, il est un des administrateurs et des actionnaires principaux de Merck et Co, un des piliers du capitalisme pharmaceutique34. Par conséquent, on relève à nouveau un conflit d’intérêts entre les intérêts privés et publics, qui se révèle défavorable à l’intérêt général, et défavorable aux médecines naturelles, telles que la phytothérapie, ou l’homéopathie.
L’OMS a créé, en 1963, la Commission du Codex Alimentarius. Elle a pour fonction de définir des normes alimentaires (normalisation) en vue d’assurer la sécurité alimentaire et les échanges internationaux. Les directives ont donc un impact majeur, sur le commerce alimentaire et la concurrence, entre les industriels du secteur alimentaire et pharmaceutique. « La Commission du Codex ayant adopté, lors de sa session de juillet 1995, à l’initiative de certains pays anglo-saxons, des limites maximales de résidus pour cinq hormones naturelles interdites dans la Communauté, les Etats-Unis et le Canada attaquèrent, devant l’OMC, les mesures communautaires interdisant l’importation des viandes d’animaux traités avec ces hormones. En août 1997, l’OMC donna tort à la Communauté en estimant que la réglementation communautaire était non fondée et discriminatoire »35. En représailles, « depuis le 29 juillet 1999, les Etats-Unis imposent des droits de douane de 100% sur des produits gastronomiques européens représentant une valeur globale de 116.8 millions US dollars »36. On voit donc, à travers cet exemple, que les enjeux financiers sont énormes, autour du Codex alimentarius et plus généralement de la législation internationale, notamment à l’OMC.
Le 13 mars 2002, le parlement européen a adopté des lois conformes au codex alimentarius, qui favorise la pharmacopée chimique au détriment des thérapies naturelles et des suppléments alimentaires. Le lobbying habituel des représentants des transnationales envers les députés européens a donc été efficace. Bien que la commission européenne ait reçu une pétition signée par 438 millions de personnes qui protestaient contre cette nouvelle directive européenne, elle a néanmoins été adoptée. Cette dernière est entrée en application depuis juillet 2005 et vise progressivement à faire disparaître les médecines naturelles, telle l’acupuncture.
Codex alimentarius, qui devrait être un moyen de protection de la santé, se montre en réalité très laxiste concernant les pesticides, les hormones, et les antibiotiques dans la nourriture. Par exemple, l’aflatoxine est une des substances les plus cancérigènes pour l’être humain. Elle est issue d’une moisissure produite dans les denrées mal récoltées et mal stockées, qui est notamment présente dans le lait, les arachides, les amandes et d’autres nourritures. En 2008, le Codex Alimentarius a défini un taux maximal d’aflatoxines totales de 10 µg/kg dans les amandes, noisettes et pistaches prêtes à la consommation, ce qui représente un taux supérieur à celui actuellement en vigueur dans l’UE fixé dans le règlement (CE) n°1881/2006 de la Commission, qui limite le taux d’aflatoxines à 4 µg/kg totales37. Le taux maximum d’aflatoxines est donc de 60% supérieur dans le Codex. En effet, l’imposition d’un niveau maximum de 4 µg/kg d’aflatoxines limiterait le commerce international, donc les profits des transnationales.
En plus de l’égoïsme d’une production agricole au service des profits avant d’être au service des peuples, les transnationales et les Etats dominants ont bien compris tout le pouvoir économique et politique offert par l’arme alimentaire et ils n’hésitent pas à en user. Seul les peuples conscients de ces stratégies sont à même de tenter de les faire cesser.
* Thierry Brugvin (Thierry.brugvin@free.fr) est sociologue et auteur notamment du livre Les mécanismes illégaux du pouvoir, ThebookEdition, 2009.
3 BIT, L’heure de l’égalité au travail, Rapport global en vertu du suivi de la déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail, Conférence internationale du travail, 91 session, Genève, 2003 a.
4 LUNDQVIST, J., C. DE FRAITURE AND D. MOLDEN. Saving Water: From Field to Fork – Curbing Losses and Wastage in the Food Chain. SIWI Policy Brief. SIWI, 2008
6 FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT, Pôle Industrie Produits Service, Réseau déchets, Gaspillage alimentaire ? Comment agir ? Mars 2010
8 DIOUF Jacques, directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, FAO, juillet 2007
10CHAKRABORTTY Aditya, Secret report: biofuel caused food crisis Internal World Bank study delivers blow to plant energy drive, The Guardian, 3 juillet, 2008.
11 BERTHELOT Jacques « Démêler le vrai du faux dans la flambée des prix agricoles mondiaux » du 15 juillet 2008, p. 32, http://www.cadtm.org/IMG/pdf/Berthelotlevraidufauxdanslaflambeedesprixagricolesmondiaux.pdf
12CHAKRABORTTY Aditya, Secret report: biofuel caused food crisis Internal World Bank study delivers blow to plant energy drive, The Guardian, 3 juillet, 2008.
14 DEFI POUR LA TERRE, Les Agrocarburants, http://www.defipourlaterre.org/fraise/pdf/PFUE-agrocarburant.pdf
15 IFPRI International Food Policy Research Institute (IFPRI), in Défi pour la terre, Les agrocarburants, 2010.
17 GRAIN, Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière, Octobre 2008.
19 PARODI Pierre, Efficacité des moyens pauvres dans l’aide au tiers monde, l’Arche, La Borie Noble, 1964, p30.
20Caisse des dépôts, Agriculture et réduction des émissions de gaz à effet de serre, notes d’études n°6, sept. 2005.
21Emmanuel Arrighi, 1969, L’échange inégal. Essai sur les antagonismes dans les rapports économiques internationaux, Maspero.
23 ENGDAHLF. William, « L’« arche de Noé végétale » en Arctique », Mondialisation.ca, 15 février 2008, F. William Engdahl est auteur de Seeds of Destruction, the Hidden Agenda of Genetic Manipulationde Seeds of Destruction, the Hidden Agenda of Genetic Manipulation (graines de destruction, les projets secrets du génie génétique) qui vient d’être publié par Global Research
25MALTHUS Thomas Robert, 1798, Essai sur le principe de population en tant qu’il influe sur le progrès de la société Londres, 1ère éd. traduite par Eric Vilquin. Paris, I.N.E.D., 1980 parSchooyans, 2000.
26 KISSINGER H., December 10, 1974, The Kissinger Report, NSSM 200, National Security Study Memorandum, Implications of Worldwide Population Growth For U.S. Security and Overseas Interests, Declassified on december 31, 1980.
27 ENCYCLO-ECOLO, 2009, Population mondiale, http://www.encyclo-ecolo.com/Population_mondiale
28 TOUSSAINT Eric, 2009, Pistes alternatives pour financer un développement humain durable et socialement juste, http://www.cadtm.org/IMG/pdf/Pistes_alternatives_EricT_CTB_CF_2008-2.pdf
30 POPULATION ET SOCIETE, oct 1994, Bulletin Mensuel d’Information de l’Institut National d’Études Démographiques, INED, n° 294.
33 ROBIN Marie-Monique, Le Monde selon Monsanto, , L’affaire de l’hormone de croissance bovine: la Food and Drug Administration sous influence (chap. 5), 2008, p.102 à 105.