En automne 2001 on avait l’impression que la menace du terrorisme, préjudiciable pour tous, était capable de prédominer sur les contradictions historiques, géopolitiques et idéologiques. La Russie menait une guerre sanglante en Tchétchénie en subissant la pression de l’Occident et espérait que les États-Unis verraient sous un autre angle le réseau clandestin en Itchkérie. En principe, ce fut le cas. Et bien que les doubles standards n’aient pas disparu, après le 11 septembre le soutien moral de l’Occident apporté aux "combattants de la liberté" n’a plus retrouvé son niveau des années 1990.
Ce facteur supplémentaire a probablement permis à la Russie de remporter la victoire militaire en Tchétchénie. Toutefois, hormis cet aspect, le 9/11 n’a pas rapproché, et ne pouvait pas rapprocher la Russie et les États-Unis.
L’attentat d’Al-Qaïda a délié les mains aux États-Unis. La nation éduquée dans la conviction de son invulnérabilité (au moins sur son propre territoire) a soudainement compris que la menace pouvait provenir de toute part et être totalement injustifiée, du point de vue des Américains. Cela signifie que dans le but d’assurer sa sécurité, il est nécessaire de prendre des mesures à une échelle mondiale, en combinant la transformation sociopolitique (la promotion de la démocratie) et les représailles, de préférence les "attaques préventives." En d’autres termes, le leadership américain, dont on parlait après la guerre froide, s’est fixé un objectif concret : la sécurité des États-Unis. Celui qui ne partage pas ce but avec les États-Unis devient automatiquement un complice du mal.
Fin 2001-premier semestre 2002, Moscou a pris des mesures qu’il considérait comme des concessions géopolitiques significatives au profit de Washington, allant de la coopération en Asie centrale, où les bases américaines sont apparues, à la fermeture des sites militaires russes à Cuba et au Vietnam. Mais cela n’a pas entraîné de démarches réciproques. Dans les questions stratégiques, la bonne volonté et le compromis sont toujours le résultat d’une négociation difficile, et jamais une mesure de courtoisie en retour. D’autant plus qu’une partie du gouvernement américain, avant tout le président lui-même, estimait sincèrement que soutenir les États-Unis dans cette situation était la réaction naturelle de tout pays normal qui ne nécessitait aucune récompense.
En d’autres termes, au moment où on pensait qu’il existait une opportunité d’améliorer les relations bilatérales, les dispositions des pays étaient pratiquement opposées. Les États-Unis n’étaient pas prêts du tout à faire des concessions, au maximum à entamer la discussion des conditions, selon lesquelles tel ou tel État remplit son rôle dans la stratégie américaine. Quant à la Russie, qui avait seulement commencé à se remettre des cataclysmes des années 1990, elle cherchait à améliorer son statut autonome sur la scène internationale.
La divergence des politiques est devenue rapidement claire. Fin 2001 déjà il s’est avéré que même dans le contexte de la coalition antiterroriste qui venait d’être créée les États-Unis n’avaient pas l’intention d’amputer leur propre ordre du jour. L’administration a annoncé la sortie des États-Unis du Traité sur la défense antimissile (ABM) qui avait toujours servi de pierre angulaire de la stabilité stratégique nucléaire. Ensuite tout a commencé à se succéder comme dans un kaléidoscope : l’Irak, la Géorgie, l’Ukraine...
Washington n’avait toujours pas compris que la réaction de plus en plus dure de la Russie n’était pas le "regain de la mentalité impériale", mais qu’elle était due au sentiment que Moscou s’était simplement laissé duper. En réponse aux efforts de Poutine pour créer un nouveau modèle de relations, les États-Unis, tel que cela a été perçu par la Russie, ont commencé à "pressurer" Moscou sur tous les axes. Le discours prononcé par Poutine à Munich en février 2007 a été un adieu public aux illusions de 2001, et la guerre dans le Caucase en août 2008 est la conséquence directe de cette prétendue opportunité. En constatant l’impossibilité de s’entendre avec les États-Unis, la Russie a une nouvelle fois compris que Washington ne respectait que la force.
L’ancien directeur de la CIA George Tenet a écrit dans ses mémoires que la coopération russo-américaine dans la lutte contre le terrorisme largement promue après le 11 septembre ne s’est jamais concrétisée : "nos rencontres avec les collègues russes demeuraient un jeu d’espions contre des espions. L’amitié entre la Russie et les États-Unis basée sur un ennemi commun est une manœuvre qui a échoué. Ce n’est pas un hasard si par la suite tout est redevenu comme avant : on a repris les thèmes éternels hérités de la guerre froide, d’où la nouvelle "détente" cette fois appelé "redémarrage." Aujourd’hui, la Russie et les États-Unis sont à un carrefour. Mais dans le monde actuel, où tout est extrêmement embrouillé, peu de gens se posent la question de savoir s’il existe une chance que ces deux pays empruntent la même route.