
Triomphe sur toute la ligne pour Benjamin Netanyahou : lors de sa visite en France, il a obtenu du président français un alignement inédit sur la position israélienne dans le dossier israélo-palestinien. Et la trahison de ses engagements de campagne sur la reconnaissance internationale de la Palestine.
Si les dirigeants palestiniens attendaient de François Hollande un soutien plus concret que celui apporté à leur cause par Nicolas Sarkozy, ils ont dû être cruellement déçus au lendemain de la visite à Paris de Benjamin Netanyahou. Sur deux points cruciaux aux yeux des Palestiniens - le gel de la colonisation et la reconnaissance internationale de la Palestine -, le président français a tenu des propos qui ont visiblement plu au premier ministre israélien et qui ont provoqué désillusion et amertume à Ramallah. Voici pourquoi.
Le gel de la colonisation
Contrairement à ce qu’affirment les dirigeants israéliens, il ne s’agit pas là d’une exigence nouvelle, propre aux Palestiniens et destinée à masquer leur refus de négocier. L’arrêt de la colonisation n’était pas mentionné dans la "Déclaration de principe" de 1993 (le règlement de la question des colonies était renvoyé aux conversations sur le statut final) mais constituait l’une des recommandations du rapport Mitchell, rendu public en mai 2001.
Ce document préconisait en fait un "gel de l’extension des colonies juives de peuplement" et recommandait parallèlement l’incarcération des terroristes palestiniens. Le tout devant contribuer à la "restauration de la confiance" entre les deux parties. Le gel de la colonisation constitue surtout l’une des revendications essentielles de la Feuille de route, présentée en avril 2003 par le Quartette (Etats-Unis, Nations unies, Russie, Union européenne) et toujours en vigueur. Il est aussi l’une des recommandations constantes de l’Union européenne, rappelée à de multiples reprise depuis dix ans. Il est en effet tenu pour indispensable à la mise en place d’une solution à deux Etats.
281.000 colons en 1993, 550.000 aujourd’hui
Si les Palestiniens en ont fait une condition à la reprise des négociations avec Israël, c’est que depuis 1993, les colonies n’ont cessé de se multiplier et de s’étendre en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Tous les gouvernements israéliens qui se sont succédés depuis la signature des accords d’Oslo ont poursuivi - toutes étiquettes politiques confondues - cette politique de colonisation. Evalué à 281.000 en 1993, le nombre de colons israéliens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est dépasse aujourd’hui 550.000. Et cette expansion des colonies, accompagnée d’un accroissement parallèle des réserves foncières et d’un développement du réseau routier, a transformé la Cisjordanie en un archipel de mini-cantons palestiniens séparés par des routes ou des zones sous contrôle israélien.
Illégale au regard du droit international, jugée "illégitime" par Barack Obama dans son discours du Caire, critiquée auparavant par la secrétaire d’Etat de George Bush, Condoleezza Rice, la colonisation est aujourd’hui considérée par nombre de chancelleries comme l’un des principaux obstacles à la création d’un etat palestinien viable. Son caractère illégal est régulièrement rappelé par l’Union européenne.
Officiellement, le gouvernement israélien s’est engagé à en geler le développement lors de la conférence d’Annapolis en 2007. Il a ensuite proclamé, en novembre 2009, un moratoire limité sur les "nouvelles constructions". Ce qui n’a pas empêché la population israélienne des colonies de s’accroître - selon le Bureau israélien des statistiques, de 65.000 personnes entre 2007 et aujourd’hui.
La multiplication des faits accomplis
Parallèlement, la construction du mur et de la barrière de séparation qui annexent de fait les plus grands blocs de colonies et l’écrasante majorité des colons au territoire israélien ont confirmé que la poursuite et le développement de la colonisation constituent pour le gouvernement israélien un choix stratégique majeur.
C’est encore plus vrai depuis l’arrivée au pouvoir de Benjamin Netanyahou qui s’appuie, à la Knesset, sur la majorité la plus à droite de toute l’histoire d’Israël. Une majorité nationaliste et conservatrice au sein de laquelle les colons et leurs partisans pèsent d’un poids décisif. Et l’accord récemment conclu entre Netanyahou et son ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman, pour rapprocher leurs deux formations en vue des élections législatives de janvier, vient de déplacer encore plus vers l’extrême-droite le centre de gravité de la coalition gouvernementale israélienne.
Fort de ce soutien intérieur et de la passivité - voire de la connivence - de ses interlocuteurs étrangers, le gouvernement israélien peut multiplier impunément les faits accomplis et les déclarations provocatrices, comme il l’a fait en annonçant, pendant la visite du vice-président américain Joe Biden à Jérusalem, en mars 2010, la construction de 1.600 logements à Jérusalem-Est. Ou comme il vient de le faire en annonçant la construction de 1500 nouveaux logements à Jérusalem-Est, quelques jours avant la visite de Benjamin Netanyahou à Paris.
Le soutien de l’Union européenne aux colonies
Sur la question de la colonisation, François Hollande a admis qu’il avait des "divergences" avec Netanyahou, car il souhaitait "la voir arrêtée". Mais il n’a pas relevé que la poursuite de la colonisation mettait en péril la solution à deux Etats qu’en principe, la France continue de préconiser et de soutenir pour résoudre la question palestinienne. Il n’a pas rappelé non plus à son interlocuteur israélien que la colonisation viole le droit international et se poursuit en contradiction avec des engagements souscrits par le gouvernement israélien.
Le silence de François Hollande sur cette question est d’autant plus assourdissant qu’il coïncide avec la publication du rapport accablant de 22 ONG occidentales présentes et actives dans les territoires occupés. Préfacé par l’ancien commissaire européen aux Relations extérieures, Hans van den Broek, ce document de 20 pages établit que l’Union européenne importe massivement depuis près de 20 ans des marchandises - produits agricoles et industriels - estampillées "Made in Israël" mais provenant des colonies israéliennes.
En agissant ainsi, l’UE apporte son soutien aux colonies israéliennes et facilite leur développement. Elle contribue ainsi à une stratégie qui permet au gouvernement israélien de contrôler - à travers les colonies - près de 40% du territoire d’un potentiel Etat palestinien. Elle renforce, à sa façon, une présence israélienne qui empêche la reprise de négociations entre les deux parties.
La reconnaissance internationale de la Palestine
Si les dirigeants palestiniens ont tenté en vain, l’année dernière, et vont tenter de nouveau dans quelques semaines, d’obtenir, devant l’Assemblée générale des Nations unies, l’admission de la Palestine comme "Etat non-membre", ce n’est pas dans le but de remporter un succès diplomatique d’ailleurs symbolique et de peu de poids, face aux attentes concrètes et de plus en plus impatientes de leur peuple.
Cette stratégie avait pour objectif de sortir de l’impasse dans laquelle les négociations israélo-palestiniennes directes, avec ou sans médiation ou parrainage des Etats-Unis, ont enfermé le processus de paix. Placés devant le fait accompli territorial de la colonisation et de la construction de la barrière de séparation, mais aussi confrontés aux réticences de Washington, à l’impuissance de l’Union européenne et à la duplicité des pays arabes, les négociateurs palestiniens ont fini par accepter l’idée qu’ils n’avaient plus qu’une option, puisque la lutte armée demeure exclue : en finir avec les face-à-face à huis clos, les négociations secrètes et ouvrir le dossier israélo-palestinien devant le forum des nations. En commençant par obtenir leur admission aux Nations unies.
"Je soutiendrai la reconnaissance internationale…"
Dans son programme pour l’élection présidentielle, "Le changement, c’est maintenant", François Hollande semblait avoir mesuré l’urgence d’une reprise du dialogue et compris l’importance, pour les Palestiniens, de cette reconnaissance internationale. "Je prendrai", lisait-on dans la proposition n°59, "des initiatives pour favoriser, par de nouvelles négociations, la paix et la sécurité entre Israël et la Palestine. Je soutiendrai la reconnaissance internationale de l’Etat palestinien".
En juin 2011, le PS avait publié une déclaration appelant "la France et l’Europe à reconnaître l’Etat palestinien pour avancer vers la paix et la réconciliation entre les peuples israélien et palestinien". "La communauté internationale", précisait le document, "doit convoquer au plus tôt une conférence de paix sur le Proche-Orient afin de fixer les paramètres de l’accord de paix israélo-palestinien et les engagements de la communauté internationale en matière de sécurité, d’aide économique et de coopération avec la région." En clair, le parti du candidat François Hollande prenait ses distances avec la position israélienne, qui repose sur la reprise des négociations bilatérales sans conditions.
Quelques mois de pouvoir plus tard, c’est un tout autre langage que le président français tenait devant le premier ministre israélien. "La France", a déclaré la semaine dernière François Hollande lors de la conférence de presse commune avec Benjamin Netanyahou, "souhaite la reprise - sans condition - des négociations entre Israéliens et Palestiniens. Avec le même objectif, celui que nous poursuivons depuis des années, pour ne pas dire depuis des décennies, c'est-à-dire deux Etats : l’Etat d’Israël avec la sécurité qui doit lui être garantie et l’Etat palestinien qui doit pouvoir vivre. […] Je sais qu’il y a des élections dans quelques semaines en Israël. Il y a aussi la tentation pour l’Autorité palestinienne d’aller chercher, à l’Assemblée générale des Nations unies ce qu’elle n’obtient pas dans la négociation. Seule la négociation pourra déboucher sur une solution définitive à la situation de la Palestine."
Occasions manquées
Oublié, comme on voit, l’engagement de soutenir "la reconnaissance internationale de l’Etat palestinien". Oubliée la nécessité de "fixer les paramètres de l’accord de paix". Sur ces deux points, le président français colle désormais à la politique israélienne.
François Hollande avait pourtant l’occasion, en recevant le premier ministre israélien, de faire entendre une voix divergente dans le consensus complice des capitales européennes. Il avait aussi l’occasion de dire à Benjamin Netanyahou, surtout après leur visite commune à Toulouse, que l’attachement de la France à la protection des juifs de France et à la sécurité d’Israël lui donnait le droit d’attendre d’Israël un respect scrupuleux du droit international, des résolutions des Nations unies et des accords conclus par les gouvernements précédents. Il n’a pas su saisir ces occasions. Serait-il, selon la formule appliquée autrefois à Yasser Arafat par un ministre des Affaires étrangères israélien l’un de ces hommes "qui ne ratent jamais une occasion de rater une occasion" ?
http://renebackmann.blogs.nouvelobs.com/archive/2012/11/05/france-palestine-la-volte-face-de-francois-hollande.html
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