Quatre priorités pour 2012 (3)
juillet 3rd, 2011
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À l’occasion de la campagne présidentielle, nous publierons plusieurs billets qui prendront position sur différents sujets, voire en faveur de tel ou tel candidat.
Notre opinion ne sera pas pour autant monolithique : selon le rédacteur (voir la signature à la fin de chaque billet), les points de vue pourront être différents, voire opposés. À travers vos commentaires et, pourquoi pas, la rédaction d’un article, nos colonnes vous sont également ouvertes. Notre objectif est que, suite à ce débat, vous disposiez de nouveaux éléments de réflexion pour forger votre opinion.
Deuxième priorité pour 2012, exposée dans le précédent billet (Quatre priorités pour 2012 – 2)
: sortir du nucléaire. Dans ce billet, nous avions expliqué ce qu’est la technologie de la fission nucléaire et pourquoi il est absolument vital d’en sortir, le plus vite possible de préférence. Nous ne traiterons pas ici la question de la responsabilité de ceux qui ont effectué des choix aussi suicidaires, qui nous ont fourré dans un pareil guêpier, afin de nous concentrer sur le «
comment
».
En sortir, comment et dans quelles conditions
?
10 ans, 20 ans, 30 ans
? On peut bien sûr en débattre mais, ce qui est incontournable, c’est que plus nous voulons sortir rapidement du nucléaire, plus cela coûtera cher, plus ce sera difficile. Ce qui ne signifie évidemment pas qu’il faut renoncer à cet objectif.
Cher car il va falloir, simultanément, payer le démantèlement des 58
réacteurs nucléaires existants tout en investissant massivement dans les autres énergies
: solaire – terrestre et spatial -, éolien, biomasse, géothermie… en sachant que ces énergies ne pourront pas immédiatement remplacer – en terme de mégawatts – ce que produit actuellement la fission nucléaire.
Difficile compte tenu de notre dépendance à l’égard de cette filière nucléaire. En France, la production d’électricité à base d’énergie nucléaire est de l’ordre de 410
milliards de kilowatts-heure (ou 410
térawatts-heure). À titre indicatif, il faudrait un million d’éoliennes de très bon rendement (4
mégawatts-heure chacune) ou un peu plus de 2
000
km² de panneaux solaires (sur la base d’un rendement annuel de 200
kilowatts-heure par m²), soit un carré de 45
kilomètres de côté, pour obtenir le même résultat.
Difficile car il faudra mettre en place des mesures d’économie d’énergie, visant notamment à limiter le «
gaspillage
» d’électricité, mesures qui vont totalement à l’encontre de la «
culture
» de consommation d’électricité sans limites qui prévaut depuis pratiquement un demi-siècle. Et puis, moins d’électricité consommée égale moins de bénéfices pour EDF
: il y aura donc nettement conflit entre l’intérêt de l’entreprise et celui de la collectivité. Ce type de conflit n’est certes pas nouveau mais une politique visant à limiter de façon plutôt drastique la consommation d’électricité ne fera que l’exacerber.
Ce sera donc tout sauf simple. Il faudra certainement, durant une période transitoire, relancer la construction de centrales à gaz à cycle combiné, ce qui suscitera de nouveaux débats et polémiques
: ces centrales sont sources de gaz à effet de serre… la solution comporte donc des inconvénients, d’une nature cependant bien moins grave que celle de la technologie de la fission nucléaire.
Une fois de plus, se pose ici la question du choix en politique, notamment dans le domaine de l’énergie, évoquée dans une précédente série de billets (voir références en fin d’article). Compte tenu de l’importance de l’enjeu, on peut – on doit - se poser la question de l’opportunité d’un référendum ou d’une consultation populaire sur le sujet.
Le débat sur l’opportunité d’un référendum n’est cependant pas si facile à trancher
:
• d’un côté, on ne peut pas effectuer des choix aussi importants à l’insu des citoyens, comme cela a été le cas avec le nucléaire sur le mode «
Ne vous en faites pas, tout va bien, grâce au nucléaire nous avons l’électricité la moins chère d’Europe
». On ne peut pas affirmer que la démocratie, c’est le pouvoir du peuple et refuser toute forme de démocratie directe
;
• d’un autre côté, les moyens de «
matraquage
» médiatique du lobby pro-nucléaire sont aujourd’hui démesurés si on les compare à ceux du «
camp d’en face
». Fukushima est déjà oublié pour la plupart de nos concitoyens (le Japon, c’est bien loin, n’est-ce pas
?) et la double perspective de voir d’une part le prix de l’électricité augmenter, d’autre part sa consommation limitée, alors que les dangers de la fission nucléaire sont soit méconnus, soit «
refoulés
» peuvent amener une société majoritairement narcissique (voir Culture narcissique et politique) et obsédée par le court terme à choisir le «
confort
» immédiat en application du principe «
après moi le déluge
»…
La sortie du nucléaire n’est donc pas qu’un choix technique mais aussi un «
choix de société
» dans la pleine acception du terme
: elle suppose et implique une majorité de citoyens «
matures
» qui aient la volonté de «
reprendre le pouvoir
» pour effectuer puis assumer des choix difficiles.
C’est donc, par voie de conséquence, la fin d’une certaine apathie collective (même s’il y a, heureusement, des individus qui font exception
!) qui consiste à laisser décider – sans trop les contester au préalable – les politiques et technocrates (notamment la «
caste des X-mines
» que dénonçait un commentateur dans le précédent billet) pour les critiquer ensuite, trop tard, trop mollement et, pourrait-on presque dire, trop facilement.
Objections et questions
Si on ne creuse pas trop le sujet, l’option de la fission nucléaire paraît, en définitive, plutôt confortable
: «
tant qu’une centrale ne part pas en vrille ou que l’on n’installe pas un centre de stockage de déchets nucléaires à côté de chez moi, je bénéficie d’une électricité pas trop chère. Et puis, il n’y a jamais eu de problème grave dans une centrale française, n’est-ce pas
? Quant aux déchets, on trouvera bien un jour le moyen de s’en débarrasser…
»
Voilà, à peine caricaturé, le type de «
réflexion
» basée sur un consensus mou, une acceptation facile, la peur de devoir renoncer à un confort immédiat, qui sert de soubassement à une argumentation pro-nucléaire ou «
a-nucléaire
» («
je ne suis pas pour, je ne suis pas contre, je n’y comprends pas grand’ chose, je m’en fous
»).
Fukushima a certes «
secoué le cocotier
» et amené un nombre plus important de citoyens à prendre conscience de la dangerosité extrême de la fission nucléaire mais, pour nombre de Français(es), le soufflé est déjà retombé ou, pour reprendre l’expression de notre commentateur déjà cité, «
le couvercle est retombé sur la lessiveuse
».
Cette «
pensée
» permet donc de maintenir une majorité apathique et silencieuse dans un état d’esprit mi-résigné, mi-anesthésié, afin que des «
arguments
» qui ne résistent pas à l’analyse soient acceptés sans contestation
:
• Le nucléaire, c’est pas cher
Qui sait
? Pas le gouvernement en tout cas, le Premier ministre ayant demandé en mai
2011, juste après la catastrophe de Fukushima, une expertise des «
coûts de la filière nucléaire, y compris ceux relatifs au démantèlement des installations et à l’assurance des sites
». Il souhaite disposer de ce rapport «
avant le 31
janvier 2012
». C’est l’aveu même pas voilé que le Premier ministre d’un Sarkozy ouvertement pro-nucléaire n’a aucune idée précise du coût de cette filière
!
Ce que l’on sait cependant, c’est que les nouveaux réacteurs s’avèrent en général plus chers que les précédents, que ce soit au niveau des prévisions ou – pire encore – de la réalisation
: les surcoûts observés sur le chantier de l’EPR en Finlande et en France sont à cet égard très significatifs.
On risque en fait de s’apercevoir, malgré le «
couvercle sur la lessiveuse
», que le nucléaire, c’est très cher, et que les milliards d’euros investis dans cette filière ont été bien mal employés, au détriment d’énergies renouvelables dont le coût de production décroît compte tenu d’améliorations technologiques (meilleur rendement des panneaux solaires, nouveaux matériaux pour les éoliennes, etc.).
• Le nucléaire, c’est l’indépendance énergétique de la France
Rappelons tout d’abord que 100
% de l’uranium utilisé dans les réacteurs nucléaires français est importé, principalement du Canada, du Kazakhstan et du Niger. Comme le pétrole, la matière première du nucléaire dépend entièrement des importations. Donc zéro pour l’indépendance énergétique.
Rappelons ensuite que l’énergie nucléaire ne produit que de l’électricité. En France, où la consommation de cette dernière est fortement encouragée depuis plus de 30
ans par le couple EDF-Areva, elle est supérieure à la moyenne européenne et représente 23
% de la consommation totale d’énergie, le nucléaire étant source de 18
% de cette même consommation totale. Même en faisant abstraction du fait que nos centrales nucléaires «
roulent
» à l’uranium étranger, l’argument «
indépendance énergétique
» perd là encore 82
% de sa force…
Derrière cet argument d’indépendance énergétique, le lobby nucléaire essaie en fait de faire croire qu’il existe un lien direct entre développement de la filière nucléaire et fin de la dépendance au pétrole. Mais, comme le notent avec beaucoup de justesse Les Cahiers de Global Chance (n°
29), «
le choix nucléaire de la France n’est fondamentalement pas un choix énergétique. Il trouve son origine dans la politique de reconstruction menée après la Seconde guerre mondiale, qui a fait du nucléaire un levier essentiel pour redonner à la France sa “grandeur”. Il est alors essentiellement question d’applications militaires et de génie industriel. La politique énergétique n’est devenue que vingt ans plus tard, à la faveur des chocs pétroliers, le vecteur privilégié du maintien de cet attribut national. Dès lors, et jusqu’à aujourd’hui, c’est la stratégie énergétique qui s’est adaptée aux exigences du nucléaire, et jamais le contraire.
»
Ne confondons donc pas les enjeux et les priorités
: d’une part la place de la France parmi les grandes puissances et sa détention de l’arme nucléaire (c’est un autre débat que nous n’aborderons pas dans ce billet), d’autre part 58
réacteurs nucléaires en activité qui n’assurent en rien une quelconque indépendance énergétique à notre pays.
• Le nucléaire, en France, c’est sûr, nous avons les meilleures normes de sécurité au monde
Pas tant que cela quand on commence à y regarder de près
: en 20
ans, de 1986 à 2006, les centrales françaises ont enregistré 10
786
incidents significatifs – largement plus d’un par jour – dont 1
615 classés au niveau
1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires), 59 au niveau
2 et un au niveau
3. Cette multiplication d’incidents montre que l’on est très loin d’une fiabilité absolue et d’une technique maîtrisée à 100
% à tous les instants.
Il est cependant exact qu’aucun accident grave ne s’est encore déroulé en France. Cependant, plusieurs facteurs de risques vont se conjuguer dans les prochaines années
:
– le vieillissement du parc nucléaire français
: l’âge moyen des centrales en fonctionnement est de 20
ans
;
– la volonté de «
maîtriser les coûts
», qui va immanquablement se traduire par une baisse globale de la qualité des opérations de maintenance et par un recours plus important à la sous-traitance sélectionnée sur le seul critère du prix. Comme dans le BTP, les «
arrangements
» avec le respect des normes vont se multiplier
;
– le départ à la retraite des ingénieurs et ouvriers spécialisés embauchés dans les années
1970, qui ont assuré le fonctionnement des réacteurs nucléaires depuis 30 ou 40
ans. La filière nucléaire n’attirant guère les étudiants, la pénurie de main d’œuvre qualifiée qui se dessine et la perte d’expérience qui va résulter de la transition de générations sont autant de facteurs d’aggravation des risques.
• Sans le nucléaire, on retourne à la bougie
Si on sort du cadre franco-français, on s’aperçoit que, dans le monde, le nucléaire produit moins d’énergie que la seule hydro-électricité et quatre fois moins que l’ensemble des énergies renouvelables, si l’on inclut la biomasse. Globalement, le nucléaire ne représente que 3
% de l’énergie consommée dans le monde… mais concentre près de 100
% des risques liés à la production d’énergie.
Née à Hiroshima, la technologie de la fission nucléaire a ensuite essayé de se «
civiliser
» à grand renfort de slogans du type «
l’atome propre
» et autres billevesées. Mais, dès qu’on creuse un peu le sujet, on s’aperçoit vite que «
le nucléaire est une technologie du passé sans avenir
», pour reprendre le titre d’un excellent article de Bernard Laponche paru dans La Tribune (26
avril 2011).
Sous-produit de la guerre froide et d’un monde – aujourd’hui disparu – basé sur l’équilibre de la terreur, les atouts auto-proclamés de la technologie de la fission nucléaire ne sont plus qu’illusions
: illusion d’une énergie bon marché, illusion d’indépendance énergétique, illusion de sécurité et de fiabilité… La seule réalité, c’est celle d’un risque totalement disproportionné, d’une inadaptation avérée aux enjeux énergétiques du XXIe
siècle.
Lundi
© La Lettre du Lundi
Pour plus de détails, nous vous suggérons de consulter le site Internet Global chance, très complet et remarquablement argumenté sur le sujet.
Liste des billets consacrés à l’absence de prospective en politique et à ses conséquences dans le domaine de l’énergie :
Les chênes qu’on abat
Le bout de l’impasse
Sortir de l’impasse (1)
Sortir de l’impasse (2)
Sortir de l’impasse(3)
No future
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