20 novembre 2011 Posté par voltigeur Bonne question! Pourquoi les peuples ne se révoltent-ils pas ? Voilà un mystère dont les causes m’échappent. Depuis quelque temps, les pouvoirs politiques et financiers se moquent totalement des citoyens. Et comme si ces moqueries ne suffisaient pas, de plus, ils nous spolient à tour de bras, détruisant, un [...]
Le duumvirat
novembre 19th, 2011
Jacques
Jacques est le maire socialiste d’une commune de taille moyenne. Il a emporté la mairie en
1995, après des dizaines d’années de mandatures UMP (ou équivalent) dans sa ville. En
2004, il a été élu au Sénat, succédant à un sénateur âgé qui ne se représentait pas.
Il sait qu’il ne sera jamais ministre, ni même secrétaire d’État. Son ambition est locale
: il souhaite être réélu au Sénat en
2013 et conserver la mairie en
2014. Pour ce fils d’agriculteur, venu sur le tard en politique, c’est déjà une consécration.
Jacques sait que, la première fois qu’il a emporté la mairie, c’est grâce à l’augmentation du nombre de chômeurs dans sa ville, dont les gouvernements Balladur puis Juppé avaient été tenus responsables. S’il a été réélu en
2001, c’est de justesse alors que Jospin était Premier ministre. Par contre, en
2007, sa réélection s’est effectuée «
dans un fauteuil
», tant grâce à son bilan de bon gestionnaire que par rejet d’un «
Sarkozy bling-bling
» qui choquait les habitants.
Il ne le dit pas ouvertement mais, au fond de lui, il craint qu’Hollande ne décroche l’Élysée en
2012. Vu la situation économique et les plans de rigueur qui ne manqueront pas de se succéder, il risque de faire les frais, au plan local, d’une politique nationale qui pourrait se traduire par une «
vague bleue
» aux municipales.
et Odette…
Comme Jacques, Odette est maire socialiste d’une commune de taille moyenne. Le principal employeur de la commune est la centrale nucléaire, qui se trouve dans une ville voisine, à 10
kilomètres de là. À l’aide des subventions de la centrale, Odette a pu faire construire un gymnase dans sa ville et, toujours grâce à la même source, les anciens de la commune effectuent des voyages touristiques à des prix défiant toute concurrence.
Imaginons un instant qu’un accord PS/Verts décide de «
sortir du nucléaire
» le plus vite possible. Tollé dans la ville dont Odette est maire
! Celle-ci se trouve alors confrontée à un choix, sinon cornélien, du moins perdant/perdant
:
● par respect de la discipline du parti, et parce qu’elle vise une place de député ou sénateur qui implique une investiture nationale, elle soutient l’accord passé. Dans ce cas, elle risque fort de perdre la mairie aux prochaines municipales
;
● elle s’oppose à cet accord, et alors adieu Sénat ou Assemblée nationale, avec le risque supplémentaire de ne pas bénéficier de l’investiture socialiste aux prochaines municipales.
Odette n’a donc aucun intérêt à ce que ce type d’accord voit le jour. Elle s’accommode fort bien de vivre à l’ombre du «
lobby nucléaire
» qu’elle soutient de facto, même si elle ne se considère pas comme une égérie pro-nucléaire. Mais nécessité fait loi…
… incapables de «
penser autrement
»
Ne voyez pas dans ces deux exemples la volonté de «
tirer à boulets rouges
» sur le PS et/ou la candidature de François Hollande. Notre intention est de souligner que, dans la configuration politique actuelle (rapports de force entre pouvoirs locaux et pouvoir national, calendrier des élections, etc.)
:
● mis à part une petite cinquantaine de «
ténors
» qui se voient déjà ministre ou secrétaire d’État, l’immense majorité des élus locaux du PS n’a objectivement pas intérêt à ce que l’un des leurs accède à la Présidence de la République
;
● compte tenu de sa très forte implantation locale, le PS est, au niveau local, tout aussi dépendant de nombreux lobbies (agroalimentaire, automobile, défense, nucléaire, pharmacie…) que les parlementaires UMP au niveau national.
Cette double caractéristique explique en grande partie l’incapacité du PS à «
penser autrement
», son refus de prendre le pouvoir au niveau national pour mettre en œuvre des solutions radicalement différentes de celles de l’UMP. Ajoutez à cela que les responsables nationaux du PS sont en majorité issus de la même «
école de pensée
» (Sciences Po / ENA) que ceux du «
camp d’en face
» et l’on comprend mieux pourquoi le PS est devenu un parti «
centrisé
» (voir notre billet Une autre vision de la politique) dont les positions idéologiques n’ont cessé d’évoluer vers la droite au fil des années.
Le récent pataquès entre le PS et les Verts au sujet de l’EPR de Flamanville et du combustible nucléaire MOX est une conséquence logique de ce que nous venons d’exposer
: d’un côté un PS à très forte implantation locale, tout aussi dépendant des lobbies que son adversaire UMP et tout aussi peu désireux de changer les règles du jeu, de l’autre les Verts, parti beaucoup plus jeune et «
spontané
» qui s’oppose frontalement à un lobby en place et envisage un autre type de société. La divergence porte sur le fond, les alliances ne pourront être que de circonstance.
Pas étonnant…
Pas étonnant, dans ces circonstances, que Sarkozy soit le grand gagnant de cette confrontation Verts/PS. Se posant en «
Churchill français
», comme nous l’avions annoncé dès septembre dans Timeo Danaos, son ambition est relayée par des médias qui ressemblent de plus en plus à ceux dont Brejnev disposait du temps de la grandeur de l’URSS. La Une du Point paru le 17
novembre, reproduite à des milliers d’exemplaires sur les kiosques à journaux de France, en est un parfait exemple
: elle constitue autant d’affiches électorales pour le non-candidat Prince-Président.
Pas étonnant, dans ces circonstances, que la résignation soit aujourd’hui le sentiment qui prévaut en France. Le duumvirat de fait – à toi le pouvoir au niveau local, à moi le pouvoir au niveau national – annihile actuellement toute possibilité d’une «
autre solution
» face à une paupérisation croissante liée à une succession de «
crises
» (des subprimes, de la dette, de l’euro, des finances publiques, de la Sécurité sociale…) qui ne manquent ou ne manqueront pas de se succéder.
Pas étonnant si, dans ces circonstances, le soir du 22
avril 2012 pourrait bien nous réserver des surprises. Car, à vouloir tuer l’espoir d’un peuple, cette «
vertu d’esclaves
» comme l’écrivait Cioran, celui-ci pourrait bien envoyer balader l’establishment et la «
pensée convenue
», comme il le fit un certain 29
mai 2005.
Lundi
© La Lettre du Lundi 2011