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7 mai 2009 4 07 /05 /mai /2009 04:01

L’expérience de la gauche révolutionnaire en Europe

mardi 17 janvier 2006 par Pierre ROUSSET


1968 - Au milieu des années soixante, une nouvelle gauche révolutionnaire pluraliste s’est constituée en Europe. Son caractère radical peut facilement se comprendre compte tenu du contexte de l’époque dominé par les guerres d’Indochine, avec la résistance du peuple vietnamien à une escalade militaire américaine sans précédent. L’année 1968 a symbolisé le caractère mondial des luttes avec l’offensive du Têt au Vietnam, le Printemps de Prague en Tchécoslovaquie, les barricades étudiantes et la grève générale en France, le soulèvement étudiant à Mexico. La vague de radicalisation n’a pas concerné seulement les étudiants, mais aussi la classe ouvrière : en mai 1968, les barricades étudiantes ont ouvert la voie à la plus grande grève ouvrière qu’ait connu le pays.


Les jeunes se radicalisent


La radicalisation de la jeunesse des années soixante s’est exprimée en Europe en termes très politiques et non seulement « culturels » (« Woodstock ») comme on le prétend souvent. Dans de nombreux pays européens, les références dominantes chez les jeunes radicalisés étaient le socialisme, le communisme et le marxisme. Au nom du marxisme, ils contestaient la social-démocratie et les PC pro-Moscou, en dénonçant leur réformisme. La « nouvelle gauche » a donné naissance à un certain nombre de courants nouveaux.


Les militants au quotidien


Nous appartenions tous à la nouvelle gauche. Régulièrement, certains d’entre nous étions emprisonnés. Nos organisations pouvaient être interdites. Nous avions des liens avec des organisations clandestines et nous devions prendre des dispositions pour ne pas les mettre en danger. Nous organisions des comités de soldats clandestins. Chaque semaine, il y avait des batailles avec les groupes fascistes. Nos locaux devaient être gardés en permanence. Nous n’étions pas engagés dans des actions armées, mais nous étudiions les expériences des révolutions armées passées de façon à nous préparer à ce qui devait arriver à l’avenir. Certains de nos camarades, de la même génération en Amérique latine, étaient engagés dans des actions armées ; il se sont fait écraser et nous avons dû les aider à s’échapper quand cela était encore possible. Ma génération militante est entrée dans la politique à une époque « d’esprit révolutionnaire ».. Cela permet de comprendre les problèmes auxquels nous fûmes confrontés, quand l’histoire a suivi un autre cours que celui que nous attendions.


Les impacts


La gauche révolutionnaire des années 1960-1970 a subi quatre tests, qui ont mis à l’épreuve ses capacités à perdurer. Un long et sévère processus de sélection s’est mis en oeuvre.

  1. Premier test : des étudiants à la classe ouvrière. Le premier problème s’est présenté juste après Mai 1968. La nouvelle gauche révolutionnaire était essentiellement étudiante. Pour durer, il fallait qu’elle s’enracine dans la classe ouvrière et cela n’avait rien de simple. Assez peu d’organisations ont réussi à le faire.
  1. Deuxième test : passer des perspectives à court terme aux perspectives à long terme. A la fin des années 1960, la plupart d’entre-nous pensait que la lutte de classe allait s’intensifier de façon décisive. Il y avait de nombreuses raisons pour le penser. Mais, au milieu des années 1970, il devint évident que l’histoire ne suivrait pas le cours prévu. La situation avait tendance à se « normaliser » en Europe. Même si elles ont mis du temps à le faire, certaines organisations ont pu s’adapter à cette situation, d’autres non..
  1. Troisième test : réévaluer les stratégies. Aucune des composantes de la « nouvelle gauche » ne pouvait survivre sans une substantielle réévaluation de sa vision, de son programme et de sa stratégie.
  1. Quatrième test : la survie pure et simple. À partir du milieu des années 1980, la gauche révolutionnaire devait faire face à la nouvelle situation ouverte par la désintégration du bloc soviétique et la mondialisation capitaliste qui l’a suivie. La bourgeoisie était très à l’offensive. La situation a commencé à s’améliorer au milieu des années 1990, avec les premiers signes de la révolte anti-mondialisation. Mais entre-temps, nous avons subi un repli (perte d’adhérents) et un certain nombre d’organisations ont disparu.

Au final, la gauche révolutionnaire s’est retrouvée très affaiblie dans le milieu des années 1990. La plupart des militants des années 1960-1970 ne sont plus impliqués ou seulement marginalement dans la politique. Mais pour des dizaines de milliers d’autres, quelque chose est resté de l’expérience passée. Des centaines ou des milliers de cadres expérimentés continuent à jouer un rôle significatif dans l’organisation de masse, en particulier dans le développement des « nouveaux » mouvements sociaux.


Pragmatisme ou activisme ?


Le « péché originel » de notre génération militante, était fait d’une combinaison de « programmatisme » et « d’activisme ». Notre « programmatisme » était l’héritage des deux générations qui nous avaient précédées : alors que nous étions peu nombreux avec peu d’implantation sociale, nous avions hérité d’un programme complet pour la révolution mondiale. On peut dire que nous avions une très grosse tête et de toutes petites jambes. Les choses étaient rendues encore plus complexes par le fait que nous étions aussi des jeunes de notre temps et de notre milieu, exprimant fortement l’activisme à court terme de la radicalisation étudiante. Bien que petites, nos jambes couraient trop vite pour être corsetées par notre grosse tête !


La révolution russe revisitée


Une réévaluation se fait souvent lorsque que l’écart entre des formules théoriques éculées et l’analyse politique ou historique concrète ne peut plus être ignoré. C’est ce qui est arrivé à nos « modèles » de révolutions. La révolution russe de 1917 était supposée nous offrir un schéma clair de ce que devaient être les révolutions dans les pays impérialistes. Le problème, c’est que ce « modèle » n’a jamais existé. La structure sociale en Russie et sa dynamique d’évolution étaient assez différentes de celles des pays d’Europe occidentale. Plutôt que de s’étendre des villes vers la campagne, le processus révolutionnaire a combiné des soulèvements urbains, paysans et nationaux impliquant des femmes, des ouvriers et des paysans. Une des questions stratégiques les plus complexes (comment armer le peuple) a trouvé ainsi une réponse spécifique, parce que le contexte de la révolution russe était celui de la première guerre mondiale et de la décomposition d’une immense armée sur pied de guerre. Il y a de nombreuses leçons à tirer de la révolution russe. Mais comment peut-on parler d’un modèle alors que la forme qu’à prise la révolution a été si profondément marquée par le contexte de la guerre mondiale ?


La révolution chinoise revisitée


La même question peut être posée sur la façon dont les courants maoïstes ont fabriqué un modèle à partir de la révolution chinoise. Les maoïstes ont tendance à se référer à la troisième révolution chinoise (disons de la Longue marche à la victoire de 1949). En fait, une des principales clés permettant de comprendre la forme concrète prise par la révolution chinoise est le lien entre ces deux périodes. L’Armée rouge s’est construite à partir de soulèvements populaires de masse et de vastes rébellions dans l’armée, pas à partir de la propagande de petits groupes armés se transformant lentement en force de guérilla : dès sa naissance l’armée comptait 300 000 combattants ! Et la Longue marche a été la tentative d’en sauver l’essentiel après les défaites écrasantes de 1927-1930. Il y a aussi beaucoup de leçons à tirer de la révolution chinoise. Mais comment peut-on faire un modèle d’une expérience aussi spécifique ?


Leçons tirées des mouvements de femmes et écologistes


Les réévaluations ont souvent lieu aussi quand une organisation est confrontée au développement de nouveaux terrains ou formes de luttes. Pour ma génération, ce fut le cas en particulier des mouvements féministes et écologiques. Peu d’entre nous ont été impliqués dès l’origine dans l’émergence des mouvements écologistes. Un assez grand nombre de nos camarades femmes étaient par contre très impliquées dans la nouvelle vague de luttes des femmes et ceci à tous niveaux, aussi bien politique que dans l’élaboration théorique. Malgré tout, l’organisation en tant que telle (dirigée par des hommes) a été confrontée à ces nouveaux développements plutôt que d’en être une composante organique dès le départ. Le mouvement des femmes et le mouvement écologique nous ont obligés à revoir les liens qu’il pouvait y avoir entre société de classe et patriarcat ; entre les modes de production, les sociétés humaines et la nature.


La politique peut-elle être fondée sur des prédictions ?


Maintes et maintes fois, nous avons fondé notre politique sur une prédiction qui, maintes et maintes fois, s’est révélée fausse. La plus connue concerne la génération précédente : l’arrivée de la troisième guerre mondiale. Un tel pronostic, fait au moment de la guerre de Corée, n’avait rien de ridicule. Le problème, c’est que nous avons pris des décisions marquées en fonction de cette prédiction et que cette politique a été maintenue bien longtemps après qu’il fut devenu évident que cette troisième guerre n’était plus à l’ordre du jour. Nous avons progressivement remplacé « l’art de la prédiction » par ce que nous avons appelé dans les années 1980 « l’empirisme conscient ». « Empirisme » car le but était de se rendre compte le plus tôt possible des nouvelles tendances émergentes pour permettre à l’organisation de réagir rapidement et d’en tirer le meilleur profit. « Conscient » car le programme et la théorie sont d’un grand secours pour « déchiffrer » les réalités sociales. Tout cela n’est donc pas dit pour minimiser l’importance du programme et de la théorie mais pour souligner que la politique est basée sur des réalités existantes et changeantes et que la connaissance est elle-même aussi empirique.


L’« histoire ouverte »


Notre vision de l’histoire a également changé. Nous avons appris de la génération précédente (mais aussi de Marx !) à critiquer la « conception linéaire » de l’histoire et la pensée dominante sur cette question. Mais, d’une certaine manière, même si nous ne le disions pas, je pense que nous considérions que le caractère pluri-linéaire de l’histoire était un fait du passé. Les sociétés humaines ont suivi plusieurs voies de développement, comme l’a montré la discussion sur les modes de production, et la voie européenne n’était pas universelle. Mais l’impérialisme et l’unification mondiale du marché capitaliste ne nous faisaient-elles pas entrer dans une nouvelle ère ? Nous avons intégré la notion plus large d’« histoire ouverte » où le futur n’est pas donné, où, dans les périodes de crise, des « carrefours historiques » ouvrent un certain nombre (limité) de possibilités, où de fortes contraintes existent (socio-économiques, écologiques), mais où aussi les luttes sociales jouent leur rôle en déterminant laquelle de ces possibilités deviendra une réalité, où les révolutionnaires recherchent de telles possibilités plutôt qu’une « nécessité » historique abstraite. En lien avec cette vision de l’histoire, enrichie par nos réflexions sur le féminisme et l’écologie, nous avons également intégré une critique de la conception traditionnelle du « progrès » ainsi que des valeurs imposées par les relations capitalistes de production et de pouvoir.


Les dix dernières années


Ma génération de militants a continué à façonner la politique jusqu’au milieu des années quatre-vingt dix (ce qui a soulevé une irritation croissante chez ceux qui sont entrés en activité durant les années 1980). Un changement radical de génération s’est produit depuis le milieu des années quatre-vingt dix. Les différences sont nombreuses. Politiquement, cette génération n’a pas vécu la période de la guerre froide, elle est la fille de la désintégration du bloc post-soviétique et de la globalisation capitaliste. Ses références ne sont pas les nôtres : les événements allant des révolutions russe à la cubaine et à la vietnamienne, sont pour elle des faits historiques et ne font pas partie de sa propre histoire (imaginée) et de son identité comme cela a été le cas pour nous. Sauf pour une toute petite minorité, les « étiquettes » idéologiques traditionnelles ont perdu leur pertinence (toujours relative).


Traiter de la question des stratégies


Depuis le début, ma génération s’est plongée dans les débats sur les stratégies. Les anciennes et les nouvelles organisations confrontaient entre elles leurs points de vue sur cette question et pas seulement sur la politique quotidienne. Nous commencions souvent notre engagement politique en prenant partie dans ces discussions. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les lignes concrètes de démarcation opèrent à un autre niveau que celui de la stratégie proprement dite : devons-nous nous opposer à la mondialisation ou seulement lui donner une teinte sociale ? Devons-nous entrer dans un gouvernement de centre-gauche ou construire un pôle de gauche radical indépendant ? Cela ne signifie pas qu’une réévaluation est aujourd’hui impensable en ce qui concerne la stratégie. Avec le développement du mouvement altermondialiste, il est possible de repenser certains éléments de la stratégie. Mais pour rouvrir complètement le débat sur les stratégies, des questions telles que la propriété et l’État doivent être frontalement abordées. La question de la propriété a commencé à être globalement traitée, en particulier avec des questions comme les « biens communs » et les services publics. Mais le problème est beaucoup plus difficile en ce qui concerne la question de l’État et de la violence.


Une période de refondation


À cause de la profondeur de la crise touchant la référence au socialisme, nous connaissons une période de refondation d’un projet radical en Europe. Cela est sûrement vrai aussi pour un certain nombre d’autres régions du monde (par exemple l’Amérique Latine). Il est clair que nombre d’anciennes vérités sont encore valides aujourd’hui. Le capitalisme est toujours bien là, ce qui signifie que sa critique marxiste reste tout à fait d’actualité. Mais un processus de refondation est plus profond, plus complexe, qu’un processus de reconstruction. Les anciennes vérités doivent être réassimilées par des voies nouvelles. Notre chance est que la montée des mouvements anti-libéraux, anti-mondialisation capitaliste et anti-guerre nous aide à faire les deux choses : reconstruire et repenser. Cela représente pour les nouvelles générations une « expérience fondatrice » commune et planétaire. Elle est riche, car elle est socialement plus largement enracinée que la radicalisation des années 1960. De nouvelles relations, plus égalitaires, entre les partis et les mouvements sociaux sont en train d’être testées. De nouvelles façons de rassembler des luttes populaires diverses sont expérimentées.


Pierre Rousset est membre de la LCR en France et également conseiller pour la Gauche Unie qui regroupe au sein du Parlement européen les élus de plusieurs partis d’extrême-gauche en Europe.


http://www.mobilisation.org/article61.html


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