Cocorico : depuis le début de la crise de l'euro je dis que la Banque centrale européenne pourrait arrêter immédiatement la crise en rachetant de manière illimitée les obligations souveraines des pays en difficultés. Hier, Mario Draghi s'est enfin rendu à l'évidence et a prononcé ce fatidique mot d'”illimité” qui fait tant peur. Les marchés ont répondu en conséquence : les marchés actions s'envolent, et les taux souverains s'effondrent.
(Il reste d'ailleurs à voir si ces achats seront vraiment “illimités”, puisque M. Draghi a aussi précisé qu'ils seraient “stérilisés”, c'est-à-dire compensés par des retraits de liquidités du système monétaire ; or, si la BCE peut acheter à l'infini, elle ne peut pas stériliser à l'infini...)
C'est une bonne nouvelle, mais hier il a fait autre chose d'encore plus important, et de beaucoup plus grave.
En effet, il a aussi dit que ces achats seraient "conditionnés". Conditionnés à quoi ? Au final, conditionnés au bon vouloir de Mario Draghi.
M. Draghi a eu beau expliquer pendant sa conférence de presse que les conditions seront fixées par les instances européennes et le FMI, au bout du bout, c'est lui qui décide de ce que fait la BCE ou pas. Et ces "conditions" restent extrêmement vague.
Si quiconque doute qu'il s'agit bel et bien d'un coup d'Etat de la Banque centrale, qu'il se rappelle de l'éjection brutale du gouvernement (désastreux, mais élu démocratiquement) de Silvio Berlusconi, sur fond d'envol des taux souverains italiens face à l'inaction de la BCE, et de son remplacement par un gouvernement technocratique.
Le mécanisme de M. Draghi est bien pensé : il précise que la BCE n'achètera que des obligations à court terme. Autrement dit, s'il retire la perfusion, les Etats pourront se trouver sans financement du jour au lendemain.
La BCE se retrouve donc, en pratique, aux commandes des gouvernements de la périphérie de la zone euro : faites ce que je vous dis, sinon...
Sur le court terme, la décision de la BCE est très bonne pour la zone euro. Elle devrait calmer la situation de la dette. Mais il ne s'agit rien de moins qu'un déni de démocratie, puisque ces gouvernements seront au final dépendants de la BCE, qui elle même n'est responsable devant personne, pas même les instances (déjà peu démocratiques) de l'Union européenne.
Et s'il s'agit aujourd'hui des gouvernements périphériques de la zone euro, rien ne garantit que d'autres gouvernements, y compris le gouvernement français, ne se retrouvent sous la férule de Francfort.
Aujourd'hui, la BCE insiste (de manière très contestable) sur l'orthodoxie budgétaire. Mais demain, elle aura peut-être des idées sur le marché du travail, le temps de travail, la fiscalité et beaucoup d'autres mesures qu'elle pourrait vouloir imposer aux pays, pour leur propre bien, bien sûr.
Peut-être qu'un jour Mario Draghi dira, comme Dark Vador dans L'Empire contre-attaque : “Je change notre accord. Priez que je ne le change pas encore.”
http://www.atlantico.fr/decryptage/mario-draghi-coup-etat-bce-derriere-sauvetage-zone-euro-pascal-emmanuel-gobry-474984.html