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Connaissez-vous Gini
?, le premier billet publié par La Lettre du Lundi en janvier
2009, portait déjà sur ce thème
: la répartition de la richesse. Depuis la fin des Trente Glorieuses, les années Reagan et Thatcher, les écarts de richesse entre individus n’ont cessé d’augmenter dans les pays occidentaux, laminant la classe moyenne qui s’était constituée dans les années 1950-1970.
Nous avons abordé cette question de la répartition de la richesse dans de très nombreux billets, notamment dans L’homme de l’année où l’intervention du sénateur Sanders, qui ne concernait a priori que les États-Unis, résumait de facto la situation qui prévaut ou qui se dessine dans de nombreux pays, dont la France.
La présidence de Nicolas Sarkozy n’a fait qu’accentuer le phénomène
: depuis le vote de la loi TEPA, on n’en finirait pas d’égrener les mesures qui ont contribué à concentrer la richesse dans un nombre de mains toujours plus restreint.
Redistribuer la richesse
Redistribuer la richesse
: telle est la troisième priorité que nous proposons pour 2012. Qu’est-ce que cela signifie
? Pourquoi un tel objectif
? Comment l’atteindre
? Autant de questions que nous traiterons successivement.
Pour délimiter le cadre de cette proposition, commençons par une définition «
en creux
». Redistribuer la richesse entre les individus (nous ne traiterons pas ici de la richesse des entreprises), ce n’est pas – en tout cas pas seulement – augmenter les salaires ou les retraites, imposer plus lourdement les bonus des traders ou taxer plus fortement tel type de transaction ou telle activité. C’est avant tout se fixer un objectif de répartition de la richesse entre les individus dans notre pays, sur la base du coefficient de Gini, par exemple.
Il y a deux ans et demi, lorsque fut rédigé le billet Connaissez-vous Gini
?, les derniers chiffres publiés indiquaient que ce coefficient était de 0,327 en France. Les sources alors utilisées n’ont pas actualisé ce coefficient depuis cette date. Il est donc impossible de connaître avec précision son évolution depuis
2009.
Rappelons que le coefficient de Gini permet de mesurer les inégalités de revenus à l’intérieur d’une population donnée. Son calcul est basé sur l’écart entre les revenus dans le groupe considéré
: sur une échelle de
0 à
1, plus le chiffre est élevé, plus les inégalités de revenus sont fortes. De façon purement théorique, si le coefficient de Gini est égal à
0, l’ensemble de la population dispose de revenus strictement identiques
; à l’opposé, s’il est égal à
1, un seul individu concentre l’ensemble des revenus de la population.
Grâce à ce coefficient, on peut notamment comparer les inégalités de revenus entre pays mais aussi, à l’intérieur d’un même pays, mesurer l’évolution des inégalités de revenus dans le temps.
Quel objectif voulons-nous atteindre
? Si l’on estime – nous en expliquerons plus loin les raisons – qu’un coefficient de Gini bas est un impératif pour la France, il faut alors avoir pour ambition de se situer parmi les
4 ou 5
pays du monde où ce coefficient est le plus faible.
Sur un total de 141
nations analysées, la France se situe actuellement à la 26e
place au «
palmarès de l’égalité
», le Danemark, le Japon et la Suède occupant les premières places avec un coefficient de Gini inférieur à
0,25. C’est l’objectif qu’il nous faut viser.
Pourquoi
?
L’argument va peut être paraître suranné, vieillot, voire ridicule dans le contexte actuel
: la politique, dans sa meilleure acception du terme, c’est la recherche du bonheur pour le plus grand nombre. Philosophie utilitariste certes mais qui a l’avantage majeur de rappeler quelques principes oubliés, ou dissimulés, dans une société qui recherche avant tout le plaisir immédiat et personnel. Nous ne discuterons pas ici de la relation entre richesse et bonheur mais, si l’on estime que les deux sont suffisamment liés ou que l’un est un préalable fréquent à l’autre, le bonheur du plus grand nombre, c’est alors la richesse pour le plus grand nombre.
Un autre argument doit être avancé
: en règle générale, les nations ayant un coefficient de Gini bas sont des démocraties «
respectables
». Après les trois pays déjà cités, la Norvège, la République tchèque, la Slovaquie et la Finlande complètent le palmarès
; à l’inverse, les pays où le coefficient de Gini est le plus élevé – donc les inégalités les plus fortes – sont la Namibie, les Comores, le Botswana, Haïti, l’Angola… que l’on ne peut guère définir comme des parangons de démocratie.
Un fonctionnement démocratique «
sain
» semble donc étroitement lié à une répartition de la richesse aussi égalitaire que possible entre les citoyens. Les chiffres apportent là une preuve concrète à un argument de bon sens
: quand la richesse se concentre, le pouvoir se concentre à son tour dans les mêmes mains. Répartir la richesse, c’est donc améliorer le fonctionnement de la démocratie.
Le dernier argument qui peut être avancé en faveur d’un tel objectif, c’est celui du rôle que la France souhaite – ou peut – jouer dans le monde au XXIe
siècle.
Au XVIIe
siècle, elle a assis sa «
grandeur
» sur les conquêtes guerrières d’un Louis
XIV. Au XVIIIe, ce sont les idées liées à la Révolution française qui lui ont permis d’être considérée comme une nation à l’avant-garde, le pays des droits de l’homme. Au XIXe
siècle, la tragique aventure des guerres napoléoniennes marqua le retour à une vision certes classique mais en définitive vaine et éphémère de la notion de «
puissance
». Au XXe, il fallut attendre la politique étrangère audacieuse d’un de
Gaulle, mélange d’ouverture vers le Tiers-monde, de non-alignement sur les États-Unis et de détention de l’arme nucléaire, pour que la France retrouve un «
rang
» dans le monde.
Et au XXIe
? En rompant avec la politique étrangère d’inspiration gaulliste et en rendant hommage – tel un vassal à son suzerain – à l’Amérique de Bush dès le début de son quinquennat, Nicolas Sarkozy a «
banalisé
» la France. Si l’on ne considère ici que le plan économique, il l’a alignée sur un modèle américano-chinois qui fait du nombre de milliardaires que comprend chaque pays un indicateur infiniment plus médiatisé que le coefficient de Gini
! Les conservateurs du Tea Party américain et les ploutocrates du Parti communiste chinois (qui n’est plus qu’un Rotary club dont les murs sont tendus de tissu rouge) ont un même objectif de société inégalitaire où les médias et la propagande sont chargés de garantir la docilité des citoyens.
Si la France peut jouer un rôle, c’est en se posant en contre-modèle de ce type de société qui ne peut générer que tensions internes, misère pour le plus grand nombre (ne nous y trompons pas, le développement d’une classe moyenne chinoise ne sera qu’un feu de paille compte tenu de la nature ultra-capitaliste du système) et, en définitive, recherche dans l’exutoire de la guerre le moyen de consolider le pouvoir de l’aristocratie au pouvoir, en désignant au bon peuple une cible pour focaliser sa haine, son ressentiment et ses frustrations.
En affirmant et en montrant qu’il existe un autre modèle économique que l’adoration du veau d’or, la France renouerait alors avec une tradition qui remonte au siècle des Lumières, représenterait une alternative à un modèle inique, comme ce fut le cas à la fin du XVIIIe
siècle.
Comment
?
Le moyen principal d’atteindre un tel objectif, c’est bien sûr la fiscalité, tant celle qui porte sur les revenus que celle qui taxe le capital.
En ce qui concerne les revenus (salaires et autres revenus, du type dividendes, stock-options, etc.), la première question que nous sommes amenés à nous poser est celle de l’écart souhaitable – si l’on souhaite maintenir une cohésion sociale suffisante – qui devrait exister entre les revenus les plus élevés et les plus bas.
Rappelons que cet écart est aujourd’hui de l’ordre de
1 à
150 entre les smicards et les patrons du CAC
40 qui perçoivent en moyenne 2,5
millions d’euros par an, le record pour
2010 étant détenu par Michel Rollier, le patron de Michelin, avec 4,5
millions annuels (soit 274
fois le SMIC). M.
Rollier gagne donc, en une année, 6,5
fois ce qu’un smicard percevra durant une vie active de 42
ans…
Une enquête réalisée en avril
2011 auprès de patrons de PME (donc pas vraiment un public d’ultra-gauche…) par IPSOS et le journal La Tribune, montre que le rapport entre le plus bas et le plus haut salaire est inférieur à 1 à
5 dans 79
% des PME interrogées, à 1 à
10 dans 13
% d’entre elles et à 1 à
15 dans 2
% (6
% des dirigeants questionnés n’ont pas répondu). Un rapport de 1 à
20 est donc très rare et ne concerne de facto que les patrons et cadres dirigeants des grandes et très grandes entreprises, traders et autres stars «
pipolisées
».
On pourrait donc estimer qu’au-delà d’un revenu (toutes sources confondues) de 330
000
euros par an, soit 20
fois le SMIC, le taux d’imposition doit être fortement dissuasif, jusqu’à 90
%. Combien de personnes seront concernées
? Difficile de connaître les chiffres avec précision mais assurément nettement moins de 0,1
% des salariés français, donc moins d’un salarié sur mille.
Quid du capital
? Au-delà de quel montant doit-on envisager de le taxer de façon suffisamment forte pour décourager d’en accumuler toujours plus, comme un Bernard Arnault, à la tête de 29
milliards d’euros (de quoi rémunérer, charges sociales comprises, 28
000
smicards pendant toute leur vie professionnelle), qui a multiplié sa fortune par
3,3 ces sept dernières années
?
1
million, 10
millions, 100
millions, 1
milliard
? Lançons-nous à l’eau
: nous proposons d’imposer le capital au-delà d’un million, comme c’est actuellement le cas avec l’ISF (quoique Sarkozy et l’UMP viennent de relever le plafond de 800
000 à 1
300
000
euros) mais, au-delà de 100
millions, le rabot doit enlever tellement de copeaux qu’il devient inutile de vouloir amasser «
toujours plus
».
On va objecter que la frange la plus riche de la population fuira la France, qu’on découragera ainsi l’esprit d’entreprendre. C’est tout confondre et tout mettre dans le même sac.
Il y aura exode des plus riches
? Sans doute, et alors
? Ils «
pompent
» aujourd’hui la richesse de la nation sans rien lui apporter en retour, à part des plans de délocalisation et des investissements offshore. Et puis, cet exode pourrait bien avoir un effet bénéfique
: on éloignera ainsi les plus fortunés du pouvoir politique.
Aujourd’hui, des dîners du Siècle aux déjeuners au Jules Verne, responsables politiques et aristocratie de l’argent se côtoient quotidiennement et, pour nombre de politiques, la «
vraie économie
», ce sont ces gens-là qu’ils fréquentent tous les jours ou presque, pas le patron de PME auquel on rend visite lors d’une campagne électorale «
pour la galerie et les photographes
», comme on va au zoo. Cet exode de l’aristocratie aèrera les allées du pouvoir en diversifiant de facto les interlocuteurs de nos politiques.
Quant à l’argument, «
on va décourager l’entrepreneuriat
», rien n’est plus faux. Pour le véritable créateur d’entreprise (excluons donc les pseudo-entrepreneurs qui n’ont qu’un rôle d’investisseur et une mentalité de contrôleur de gestion), la réalisation de soi, la volonté de conquête, la liberté de créer et l’indépendance sont des éléments déterminants. L’entrepreneur agit bien sûr aussi par calcul et appât du gain mais, lorsqu’il se jette à l’eau, la pensée que sa (très éventuelle) future fortune serait rabotée sérieusement si elle dépassait les 100
millions d’euros ne saurait constituer un frein sérieux à l’esprit d’entreprendre.
Le principal obstacle
Redistribuer la richesse en France apparaît donc comme une nécessité de «
salubrité publique
», pour reprendre une autre expression vieillotte, fort en usage au XIXe
siècle. Le principal obstacle n’est cependant pas d’ordre technique mais «
psychologico-politique
», pourrait-on dire.
Depuis 40
ans, la nouvelle aristocratie que constituent ces 0,1
% ou 0,01
% de Français les plus riches, dont nous proposons de rogner très sérieusement fortune et privilèges, a favorisé, encouragé et popularisé le «
syndrome du larbin
» qui aboutit à «
prendre systématiquement la défense des classes les plus favorisées au détriment de celles dont (on) est issu
».
Dans un pays dont la devise est «
liberté, égalité, fraternité
», les médias nous présentent comme un exploit le fait que Bernard Arnault soit, en
2011, passé de la 7e à la 4e
place du classement mondial des milliardaires… Voilà donc une République où l’on nous montre en exemple la réussite aristocratique
! C’est donc dans les esprits que se jouera la bataille de la redistribution de la richesse car, au-delà des arguments techniques, il faudra oser – symboliquement et fiscalement – mettre des têtes au bout d’une pique.
Lundi
© La Lettre du Lundi 2011
http://lalettredulundi.fr/2011/07/11/quatre-priorites-pour-2012-4/
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