Extrait de l’ouvrage LA GUERRE SECRETE DU PETROLE, de Pierre Fontaine, écrit il y a une quarantaine d’années.
L’automobile faisait ses débuts en France et les constructeurs ne savaient pas encore quel carburant convenait exactement aux véhicules motorisés. Aussi, dès 1903, une course fut-elle organisée sous le nom de « Circuit des carburants ». Ce circuit réunissait des automobiles utilisant, les unes l’essence de pétrole, les autres l’alcool. Le jury était présidé par le marquis de Dion et comprenait diverses personnalités dont M. Chaix, alors quelque chose comme secrétaire général de « l’Association du pétrole ».
Une course pleine d’émotions et de teufs-teufs sonores. L’ambiance était excellente et les spectateurs, peu nombreux, se passionnaient pour la compétition des voitures alors hautes sur roues. Une automobile de la marque Dietrich triompha confortablement avec plusieurs kilomètres d’avance. Cette voiture avait un moteur qui utilisait uniquement l’alcool pur comme carburant.
Un drame commençait.
« … M. de Dion-Bouton applaudit à tout rompre à la victoire de la Dietrich. M. Chaix fronça les sourcils. Alors M. de Dion baissa son panache, se troubla et se tut. M. Chaix fit un signe et, docile, le noble marquis vint aux ordres de M. Chaix.
Frémissantes, les automobiles attendaient les couronnes ; les moteurs explosaient de triomphe, l’orgueil était à l’échappement libre. La Dietrich connaissait une heure de gloire inouïe. Déjà, des drapeaux tricolores pavoisaient, comme il convient, la victorieuse.
C’est alors que, morne, tremblant et blême, M. de Dion se dressa devant l’assemblée et déclara disqualifiée, par lui, président du jury, lui, marquis de Dion, ladite Dietrich : l’alcool employé dans le moteur n’étant pas un produit homogène.
Il y eut un moment d’étonnement et de stupeur !
M. le marquis de Dion courba la tête. M. Chaix était rayonnant.
Depuis, au Salon de l’Automobile, le marquis de Dion a avoué qu’il était au vif regret de s’être laissé influencer par M. Chaix, l’homme des pétroliers.
‘‘J’étais obligé d’en passer par là, déclara le marquis de Dion. M. Chaix commandite de cinq millions la société De Dion-Bouton. Or, M. Chaix plaidait la cause de l’essence au nom des pétroliers et menaçait de retirer ses fonds de mon affaire si je déclarais valable la course fournie par la Dietrich…’’ » […]
Ce truquage de 1903 allait avoir des conséquences extraordinaires avec le développement dans le monde entier des moteurs à carburant liquide. II faut reconnaître aux pétroliers une politique à longue échéance. […] Voilà pour quelles raisons l’alcool, que tout le monde peut produire en partant de n’importe quels végétaux, ne put jamais concurrencer avantageusement le pétrole. C’est ce qu’on appelle : les batailles secrètes du pétrole, lesquelles impliquent des fonds secrets considérables nécessaires aux achats de complicité et de conscience. […]
Imaginez que la France où un groupe de pays pacifiques proclame que le pétrole a cessé de l’intéresser puisque ses carburants sont puisés dans la mer ou dans les roches pétroligènes. Les anglo-saxons seraient obligés d’abandonner leur superbe, les Soviétiques devraient renoncer à leurs pipelines géants, préparant la dernière phase de la guerre du pétrole, et chacun serait contraint de réviser toutes ses positions. La paix respirerait mieux.
Utopie ! Oui, je le sais. Le pétrole ne valant plus que pour la pétrochimie, sa valeur s’effondrerait des trois quarts. La panique régnerait dans les bourses, le régime capitaliste devrait se réviser. Entre le sacrifice d’argent et le sacrifice de vies humaines, la bêtise des hommes préfère l’atomisation. […]
[Au cours de la Première Guerre mondiale] Rockefeller avait détourné ses tankers du chemin des ports français et la France n’eut plus, un certain moment, que quatre jours d’avance de carburant. Le maître de la Standard était furieux que les Britanniques occupent la Mésopotamie turque dont le pétrole devait permettre aux pétroliers britanniques de damer le pion aux pétroliers américains après la guerre. Aussi J.D. Rockefeller jouait-il carrément la carte allemande en privant de ravitaillement les alliés ; la victoire de l’Allemagne l’eût débarrassé définitivement de la concurrence anglaise. On sait que Georges Clemenceau rétablit la situation in extremis en intervenant auprès du président Wilson, intervention résumée par le fameux slogan (faux du point de vue historique) : « Une goutte de pétrole vaut une goutte de sang ». Surveillé, le vieux Rockefeller dut reprendre ses livraisons de pétrole vers la France. […]
Le député Margaine vous parle :
« … Pour comprendre comment nous avons été amenés à réclamer le monopole, il faut rappeler comment le trust pétrolifère (sic) s’est installé en France. En 1903, nous importions 85 % de pétrole brut et 15 % de pétrole ‘‘fini’’. En 1903, les anglo-saxons obtenaient (note du gouvernement français, bien entendu) la révision des droits de douane, afin d’introduire plus facilement leurs produits ‘‘finis’’. Le résultat ne se fit pas attendre. En 1913, les proportions étaient renversées. Nous introduisions 85 % de produits ‘‘finis’’ et 15 % de produits bruts. Puis, en 1918, le pourcentage d’importations de pétrole brut tombait même de 15 % à 0 ».
Ouvrons une parenthèse pour fixer l’opération favorisée par le gouvernement français. L’importation de pétrole brut nécessite le raffinage en terre française, donc création d’industries, emploi de main-d’œuvre locale. En favorisant les importations de produits ‘‘finis’’, les gouvernants français permettaient aux trusts étrangers de travailler à plein rendement dans leurs raffineries nationales et sans frais de nouvelles installations à amortir. Le raffinage étant l’opération industrielle la plus rentable du pétrole, il est facile de discerner la part royale faite aux trusts par « la révision des droits de douane ».
Le député Margaine continue :
« Non content d’avoir tué l’industrie française du pétrole raffiné, le trust anglo-saxon a projeté d’éliminer toutes les maisons françaises qui importent les produits finis ». […]
La stérilisation de l’industrie des produits finis, c’est-à-dire le renoncement au raffinage en territoire français, aurait eu une contrepartie secrète en faveur de gros clients du pétrole américain. Une partie de l’abaissement des droits de douane sur les produits finis aurait été ristournée à certains importateurs français qui participaient ainsi à la plus-value des bénéfices des exportateurs de pétrole américain, au détriment, bien entendu, de l’activité économique française. […]
Laissons M. Margaine achever son exposé.
« Je sais que les esprits superficiels se réjouissent parce qu’on distille de nouveau le pétrole en France. En effet, une distillerie assez importante a été installée à Douai. Et certains de dire : voici que reprend en France l’industrie du pétrole raffiné, voici que l’on importe à nouveau du pétrole brut. La réalité est plus complexe. Ce fait, loin de démontrer un recul quelconque du trust, marque au contraire, pour lui, un progrès nouveau. Car l’usine de Douai appartient à l’Anglo-Persian Oil Cy qui vient raffiner directement en France. Cette compagnie a, en effet, constaté que, durant la traversée de la mer Rouge, ses pétroles raffinés en Perse s’évaporaient. C’est pour éviter cette perte qu’elle a décidé de raffiner chez nous.
« Ainsi, le trust est en passe de devenir maître absolu, non seulement du marché, mais de la France. Car, mesurez la conséquence, nous ne pourrions nous défendre, en temps de guerre, sans l’autorisation des Anglo-Saxons… Sans pétrole, les plus importants services de Défense nationale ne pourraient plus être assurés.
« Pour parer à ce danger, il n’y a qu’un remède : le monopole d’importation de l’Etat. Il faut que, seul, l’Etat puisse importer le pétrole en France. C’est lui seul qui livrera les produits aux grossistes ; les producteurs anglo-saxons ne sont nullement menacés par ce système. Ce que je veux, c’est que soit créé un organisme d’Etat capable de jouer un rôle régulateur ».
Tout cela était bien raisonné… dès 1927. Et fort prophétique puisque les trois-quarts des raffineries installées aujourd’hui en France sont des filiales des trusts anglo-saxons. Le projet Margaine, approuvé par le Parlement, qu’en advint-t-il ? Rien, rigoureusement rien. […]
Parmi les banques d’affaires pétrolières françaises, celles de MM. de Rothschild frères et Lazard et Cie sont connues. La IVème République eut son René Mayer-Rothschild et son Mendès-France du lobby Lazard, la Vème République son Pompidou-Rothschild et son Jacquinot-Lazard. Pourquoi voudrait-on que quelque chose changeât dans ce domaine ? Les électeurs n’y comprennent pas grand’chose et les gouvernants savent que, pour leur durée, il vaut mieux gouverner pour les pétroliers que contre eux. Tant pis si cette plouto-démocratie mène le pays vers le troisième conflit mondial ; la faute en retombera uniquement sur les électeurs votant pour les hommes qui couvrent les sordides combinaisons du pétrole et qui coûtèrent, déjà, l’Algérie-Sahara à la France, donc son indépendance économique, seule garantie de ses décisions diplomatiques.
Extrait introduction de LA GUERRE SECRETE DU PETROLE – 15 € franco de port
LIESI – BP 18 – 35430 CHATEAUNEUF
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