Tout sur la crise financière, économique, sanitaire, sociale, morale etc. Infos et analyses d'actualité. Et conseils, tuyaux, pour s'adapter à la crise, éventuellement au chaos, et même survivre en cas de guerre le cas échéant. Et des pistes, des alternatives au Système, pas forcément utopiques. A défaut de le changer ! Un blog d'utilité publique.
Suite Lettre du Maire Indigné (3)
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Ci-après la fable de Louis Even.
L’île des naufragés (1)
1. Sauvés du naufrage
Une explosion a détruit leur bateau. Chacun s'agrippait
aux premières pièces flottantes qui lui tombaient sous la
main. Cinq ont fini par se trouver réunis sur cette épave,
que les flots emportent à leur gré. Des autres compagnons de
naufrage, aucune nouvelle.
Depuis des heures, de longues heures, ils scrutent l'horizon:
quelque navire en voyage les apercevrait-il? Leur
radeau de fortune échouerait-il sur quelque rivage
hospitalier?
Tout à coup, un cri a retenti: Terre! Terre là-bas, voyez!
Justement dans la direction où nous poussent les vagues!
Et à mesure que se dessine, en effet, la ligne d'un rivage,
les figures s'épanouissent. Ils sont cinq:
François, le grand et vigoureux charpentier qui a le premier
lancé le cri: Terre!
Paul, cultivateur; c'est lui que vous voyez en avant, à gauche,
à genoux, une main à terre, l'autre accrochée au piquet de
l'épave;
Jacques, spécialisé dans l'élevage des animaux: c'est l'homme
au pantalon rayé qui, les genoux à terre, regarde dans la
direction indiquée;
Henri, l'agronome horticulteur, un peu corpulent, assis
sur une valise échappée au naufrage;
Thomas, le prospecteur minéralogiste, c'est le gaillard qui
se tient debout en arrière, avec une main sur l'épaule du
charpentier.
2. Une île providentielle
Remettre les pieds sur une terre ferme, c'est pour nos hommes
un retour à la vie.
Une fois séchés, réchauffés, leur premier empressement est
de faire connaissance avec cette île où ils sont jetés loin
de la civilisation. Cette île qu'ils baptisent L'Île des
Naufragés.
Une rapide tournée comble leurs espoirs. L'île n'est pas
un désert aride. Ils sont bien les seuls hommes à l'habiter
actuellement. Mais d'autres ont dû y vivre avant eux,
s'il faut en juger par les restes de troupeaux demi-sauvages
qu'ils ont rencontrés ici et là. Jacques, l'éleveur, affirme
qu'il pourra les améliorer et en tirer un bon rendement.
Quant au sol de l'île, Paul le trouve en grande partie fort
propice à la culture.
Henri y a découvert des arbres fruitiers, dont il espère pouvoir
tirer grand profit.
François y a remarqué surtout les belles étendues forestières,
riches en bois de toutes sortes: ce sera un jeu
d'abattre des arbres et de construire des abris pour la
petite colonie.
Quant à Thomas, le prospecteur, ce qui l'a intéressé, c'est la
partie la plus rocheuse de l'île. Il y a noté plusieurs
signes indiquant un sous-sol richement minéralisé.
Malgré l'absence d'outils perfectionnés, Thomas se croit
assez d'initiative et de débrouillardise pour transformer
le minerai en métaux utiles.
Chacun va donc pouvoir se livrer à ses occupations favorites
pour le bien de tous. Tous sont unanimes à louer la
Providence du dénouement relativement heureux d'une
grande tragédie.
3. Les véritables richesses
Et voilà nos hommes à l'ouvrage. Les maisons et des meubles
sortent du travail du charpentier. Les premiers temps,
on s'est contenté de nourriture primitive. Mais bientôt
les champs produisent et le laboureur a des récoltes.
A mesure que les saisons succèdent aux saisons, le
patrimoine de l'île s'enrichit. Il s'enrichit, non pas d'or
ou de papier gravé, mais des véritables richesses:
des choses qui nourrissent, qui habillent, qui logent,
qui répondent à des besoins.
La vie n'est pas toujours aussi douce qu'ils souhaiteraient.
Il leur manque bien des choses auxquelles ils étaient
habitués dans la civilisation. Mais leur sort pourrait être
beaucoup plus triste.
D'ailleurs, ils ont déjà connu des temps de crise au Canada.
Ils se rappellent les privations subies, alors que des
magasins étaient trop pleins à dix pas de leur porte. Au moins,
dans l'Île des Naufragés, personne ne les condamne à
voir pourrir sous leurs yeux des choses dont ils ont besoin.
Puis les taxes sont inconnues. Les ventes par le shérif ne
sont pas à craindre.
Si le travail est dur parfois, au moins on a le droit de jouir
des fruits du travail.
Somme toute, on exploite l'île en bénissant Dieu, espérant
qu'un jour on pourra retrouver les parents et les amis,
avec deux grands biens conservés: la vie et la santé.
4. Un inconvénient majeur
Nos hommes se réunissent souvent pour causer de leurs
affaires.
(courrier du maire au sénateur.doc Page 15 sur 20)
Dans le système économique très simplifié qu'ils pratiquent,
une chose les taquine de plus en plus: ils n'ont aucune
espèce de monnaie. Le troc, l'échange direct de produits
contre produits, a ses inconvénients. Les produits à échanger
ne sont pas toujours en face l'un de l'autre en même temps.
Ainsi, du bois livré au cultivateur en hiver ne pourra être
remboursé en légumes que dans six mois.
Parfois aussi, c'est un gros article livré d'un coup par un des
hommes, et il voudrait en retour différentes petites
choses produites par plusieurs des autres hommes, à des
époques différentes.
Tout cela complique les affaires. S'il y avait de l'argent
dans la circulation, chacun vendrait ses produits aux autres
pour de l'argent. Avec l'argent reçu, il achèterait des autres
les choses qu'il veut, quand il les veut et qu'elles sont là.
Tous s'entendent pour reconnaître la commodité que serait
un système d'argent. Mais aucun d'eux ne sait comment
en établir un. Ils ont appris à produire la vraie richesse,
les choses. Mais ils ne savent pas faire les signes, l'argent.
Ils ignorent comment l'argent commence, et comment le faire
commencer quand il n'y en a pas et qu'on décide
ensemble d'en avoir... Bien des hommes instruits seraient
sans doute aussi embarrassés; tous nos gouvernements l'ont
bien été pendant dix années avant la guerre. Seul, l'argent
manquait au pays, et le gouvernement restait paralysé
devant ce problème.
5. Arrivée d'un réfugié
Un soir que nos hommes, assis sur le rivage, ressassent
ce problème pour la centième fois, ils voient soudain
approcher une chaloupe avironnée par un seul homme.
On s'empresse d'aider le nouveau naufragé. On lui offre
les premiers soins et on cause. On apprend qu'il a lui aussi
échappé à un naufrage, dont il est le seul survivant. Son nom:
Martin Golden.
Heureux d'avoir un compagnon de plus, nos cinq hommes
l'accueillent avec chaleur et lui font visiter la colonie.
— «Quoique perdus loin du reste du monde, lui disent-ils,
nous ne sommes pas trop à plaindre. La terre rend bien;
la forêt aussi. Une seule chose nous manque: nous n'avons
pas de monnaie pour faciliter les échanges de nos
produits.»
— «Bénissez le hasard qui m'amène ici! répond Martin.
L'argent n'a pas de mystère pour moi. Je suis un banquier,
et je puis vous installer en peu de temps un système monétaire
qui vous donnera satisfaction.»
Un banquier!... Un banquier!... Un ange venu tout droit du ciel
n'aurait pas inspiré plus de révérence. N'est-on pas
habitué, en pays civilisé, à s'incliner devant les banquiers,
qui contrôlent les pulsations de la finance?
6. Le dieu de la civilisation
— «Monsieur Martin, puisque vous êtes banquier, vous ne
travaillerez pas dans l'île. Vous allez seulement vous
occuper de notre argent.»
— «Je m'en acquitterai avec la satisfaction, comme tout
banquier, de forger la prospérité commune.»
— «Monsieur Martin, on vous bâtira une demeure digne de
vous. En attendant, peut-on vous installer dans l'édifice
qui sert à nos réunions publiques?»
— «Très bien, mes amis. Mais commençons par décharger
les effets de la chaloupe que j'ai pu sauver dans le
naufrage: une petite presse, du papier et accessoires, et surtout
un petit baril que vous traiterez avec grand soin.»
On décharge le tout. Le petit baril intrigue la curiosité
de nos braves gens.
— «Ce baril, déclare Martin, c'est un trésor sans pareil.
Il est plein d'or!»
Plein d'or! Cinq âmes faillirent s'échapper de cinq corps.
Le dieu de la civilisation entré dans l'Ile des Naufragés.
Le dieu jaune, toujours caché, mais puissant, terrible, dont
la présence, l'absence ou les moindres caprices peuvent
décider de la vie de 100 nations!
— «De l'or! Monsieur Martin, vrai grand banquier!
Recevez nos hommages et nos serments de fidélité.»
— «De l'or pour tout un continent, mes amis. Mais ce n'est pas
de l'or qui va circuler. Il faut cacher l'or: l'or est l'âme
de tout argent sain. L'âme doit rester invisible. Je vous
expliquerai tout cela en vous passant de l'argent.»
7. Un enterrement sans témoin
Avant de se séparer pour la nuit, Martin leur pose une
dernière question:
— «Combien vous faudrait-il d'argent dans l'île pour
commencer, pour que les échanges marchent bien?»
On se regarde. On consulte humblement Martin lui-même.
Avec les suggestions du bienveillant banquier, on
convient que 200 $ pour chacun paraissent suffisants pour
commencer. Rendez-vous fixé pour le lendemain soir.
Les hommes se retirent, échangent entre eux des réflexions
émues, se couchent tard, ne s'endorment bien que vers
le matin, après avoir longtemps rêvé d'or les yeux ouverts.
Martin, lui, ne perd pas de temps. Il oublie sa fatigue pour
ne penser qu'à son avenir de banquier. A la faveur du
petit jour, il creuse un trou, y roule son baril, le couvre de
terre, le dissimule sous des touffes d'herbe soigneusement
placées, y transplante même un petit arbuste pour cacher
toute trace.
Puis, il met en oeuvre sa petite presse, pour imprimer
mille billets d'un dollar. En voyant les billets sortir, tout
neufs,
de sa presse, il songe en lui-même:
(courrier du maire au sénateur.doc Page 16 sur 20)
— «Comme ils sont faciles à faire, ces billets! Ils tirent
leur valeur des produits qu'ils vont servir à acheter. Sans
produits, les billets ne vaudraient rien. Mes cinq naïfs de
clients ne pensent pas à cela. Ils croient que c'est l'or qui
garantit les piastres. Je les tiens par leur ignorance!»
Le soir venu, les cinq arrivent en courant près de Martin.
8. A qui l'argent frais fait?
Cinq piles de billets étaient là, sur la table.
— «Avant de vous distribuer cet argent, dit le banquier, il
faut s'entendre.
«L'argent est basé sur l'or. L'or, placé dans la voûte de ma
banque, est à moi. Donc, l'argent est à moi... Oh! ne
soyez pas tristes. Je vais vous prêter cet argent, et vous
l'emploierez à votre gré. En attendant, je ne vous charge que
l'intérêt. Vu que l'argent est rare dans l'île, puisqu'il n'y en
a pas du tout, je crois être raisonnable en demandant un
petit intérêt de 8 pour cent seulement.
— «En effet, monsieur Martin, vous êtes très généreux.
— «Un dernier point, mes amis. Les affaires sont les affaires,
même entre grands amis. Avant de toucher son
argent, chacun de vous va signer ce document: c'est l'engagement
par chacun de rembourser capital et intérêts, sous
peine de confiscation par moi de ses propriétés. Oh! une simple
garantie. Je ne tiens pas du tout à jamais avoir vos
propriétés, je me contente d'argent. Je suis sûr que vous garderez
vos biens et que vous me rendrez l'argent.
— «C'est plein de bons sens, monsieur Martin. Nous allons
redoubler d'ardeur au travail et tout rembourser.»
— «C'est cela. Et revenez me voir chaque fois que vous avez
des problèmes. Le banquier est le meilleur ami de tout
le monde... Maintenant, voici à chacun ses deux cents dollars.»
Et nos cinq hommes s'en vont ravis, les piastres plein les mains
et plein la tête.
9. Un problème d'arithmétique
L'argent de Martin a circulé dans l'île. Les échanges se sont
multipliés en se simplifiant. Tout le monde se réjouit et
salue Martin avec respect et gratitude.
Cependant, le prospecteur, est inquiet. Ses produits sont encore
sous terre. Il n'a plus que quelques piastres en
poche. Comment rembourser le banquier à l'échéance qui vient?
Après s'être longtemps creusé la tête devant son problème individuel,
Thomas l'aborde socialement:
«Considérant la population entière de l'île, songe-t-il, sommes-nous
capables de tenir nos engagements? Martin a
fait une somme totale de 1000 $. Il nous demande au total 1080 $.
Quand même nous prendrions ensemble tout l'argent
de l'île pour le lui porter, cela ferait 1000 pas 1080. Personne n'a fait
les 80 $ de plus. Nous faisons des choses, pas des
piastres. Martin pourra donc saisir toute l'île, parce que tous ensemble,
nous ne pouvons rembourser capital et intérêts.
«Si ceux qui sont capables remboursent pour eux-mêmes sans se soucier
des autres, quelques-uns vont tomber tout
de suite, quelques autres vont survivre. Mais le tour des autres viendra
et le banquier saisira tout. Il vaut mieux s'unir
tout de suite et régler cette affaire socialement.»
Thomas n'a pas de peine à convaincre les autres que Martin les a dupés.
On s'entend pour un rendez-vous général
chez le banquier.
(Suite et fin voir post précédent)