Pour ce qui est de la défense du territoire européen contre les missiles balistiques, aucun programme n’était encore envisagé en ce domaine en 2008, lors de l’élaboration du Livre blanc et de la programmation militaire, si l’on excepte un projet de démonstrateur radar d’alerte avancée. A Lisbonne, le ralliement aux positions américaines a donc été brusque.
Ceci est d’autant plus regrettable qu’aucune réflexion n’a été menée entre Européens sur la compatibilité de ces choix avec nos politiques de défense nationales et surtout sur la préservation des chances d’une autonomie stratégique de l’Union européenne.
Dans les prochaines années, la France devra se conformer à des choix américains aux implications financières très lourdes. Le risque est grand en effet que les éléments clefs du système de défense antibalistique (alerte avancée, détection, interception, commandement et contrôle) se trouvent tous entre des mains américaines. Certains pays européens seront tentés d’y apporter des briques et d’y développer des niches technologiques, en abandonnant la maîtrise de l’architecture globale aux États-Unis. Pour le reste, le futur « bouclier » antimissile risque d’être constitué, pour une très large part, d’éléments achetés sur étagère aux États-Unis.
Il a été décidé à Lisbonne de réaliser le « bouclier » antimissile en coopération avec la Russie. Une telle coopération, dont la faisabilité n’est pas encore avérée, contribuerait à la sécurité et à la stabilité générale du continent européen, mais elle représente aussi un défi pour l’Union européenne. Déjà dépendante des Etats-Unis, ne risque-t-elle pas en effet de voir sa position stratégique se dégrader à l’égard de la Russie ?
Il semble bien que la défense antimissile des territoires se fera, avec ou sans l’Europe. Les Américains n’y renonceront pas et même un programme strictement américain concernera l’Europe, puisque qu’il nécessitera l’installation d’éléments essentiels de détection et d’interception sur son sol. Des décisions militaires d’application des orientations politiques de Lisbonne doivent intervenir dès mars 2011.
Pour que la France fasse la preuve qu’elle n’a pas abandonné l’idée d’une défense authentiquement européenne, il faudrait qu’elle ouvre un débat au sein de l’Union, pour y examiner collectivement les conséquences à tirer des choix de Lisbonne. Elle devrait saisir de cette question le Président du Conseil européen, Herman Van Rompuy et la Haute Représentante de l’Union pour les Affaires étrangères, Catherine Ashton. Le désintérêt manifeste de Nicolas Sarkozy pour l’Europe de la défense prépare toutefois bien mal la diplomatie française à cette responsabilité.
(1) 20 et 21 novembre 2010
(2) Tribune publiée avec Michel Rocard et Alain Richard dans Le Monde du 15/10/2009