La défaite est sa victoire, le moment où il peut devenir la droite, quand ses mots symbolisent son camp, quand son destin porte celui de la famille - la France des lodens et des banques, des foulards autour du cou, des costumes bien coupés, la rage au coeur d'être dépossédée. Ils regarderont vers lui et il sera leur revanche. On raconterait la politique comme un mauvais roman, Jean-François Copé serait le héros d'une épopée d'oligarque. Il y a cinq ans, il n'était rien, tricard chez Sarkozy, voué à l'humiliation des destins manqués. Aujourd'hui, secrétaire général de l'UMP, tenant l'appareil, les finances donc, ayant placé ses hommes, noué des alliances, paré à résister à François Fillon, Laurent Wauquiez ou Nathalie Kosciusko-Morizet, une bernique à son rocher. Il a fait sa propre campagne, lovée dans celle de Sarkozy : chauffant les salles en son nom propre, provoquant les «Jean-François !» militants, irréprochable et pourtant déjà en marche...
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Il dit qu'il n'a jamais agi que par liberté, et qu'il se fout des pruderies ! Pourtant, elles comptent. Il s'est passé une chose, pendant cette campagne, qui vaut plus qu'un incident. Chez Laurent Ruquier, dans une émission de télévision où s'attestent les évidences, Copé s'est fait cracher à la figure par Audrey Pulvar. «Nous ne nagerons pas ensemble dans la piscine de M. Takieddine», a lancé la dame, renvoyant Copé à son amitié avec l'affairiste scandaleux. La scène était d'une brutalité rare dans un média, la télévision, d'ordinaire servile aux forts : donc Copé ne l'est pas tant que ça ? Pour Copé, Pulvar illustre la haine des gauches et la perte des repères du service public. Etre sa cible l'a même conforté dans sa famille assiégée. Il n'empêche. C'est arrivé. Etre traité de pourri en public. Cela circule sur le Web, des photos de vacances - lui qui abhorre l'exhibitionnisme, qui jamais ne convoquera les photographes pour son jogging, ni n'utilisera ses enfants.
A droite, l'antisémitisme affleure contre Copé l'affairiste, et ce juif laïc, longtemps pudique jusqu'au déni sur ses origines, le soupçonne déjà. Mais il n'y a pas que cela. Martin Hirsch - hollandiste après son séjour sarkozyste - voit en Copé l'incarnation du conflit d'intérêts. Anecdote ? Ces deux-là se méprisent dans une de ces haines qui font la politique. Elle est née sous Chirac, quand Copé, ministre du Budget, bloquait une taxe sur le textile, destinée à financer la récupération de vieux vêtements - la taxe Emmaüs. Elle est allée crescendo jusqu'aux ruptures ultimes, exacerbée par des origines communes, des familles toutes deux sauvées par des justes du Chambon-sur-Lignon, chacun jugeant l'autre indigne de ce passé. Pour Copé, Hirsch est un veule opportuniste ; pour Hirsch, Copé est un corrompu en puissance. Les deux hommes peuvent se tromper, mais cela ne rend rien plus simple. Copé, en réalité, pèche par morgue : il trimbale une inconscience, un complexe de supériorité qui l'autoriserait. Naturellement invité chez Takieddine, pensant naturellement que les entreprises méritent plus d'égards qu'un maçon tombé de l'échelle, hésitant à taxer le textile mais soupçonnant les accidentés du travail de faire porter à la Sécu les foulures du foot du dimanche. Il est vraiment de droite, convaincu que l'ordre est bon, et si la crise nous force à tout changer, ce n'est pas dans la protection qu'on trouvera le salut, mais dans l'adaptation au monde. En est-il un salaud ? Tout cela lui est tellement naturel qu'il n'y met plus de frein.
Résister ou se perdre
Copé soupèse. Il pense que la ligne droitière est majoritaire en France, que le pays a rejeté Sarkozy dans un élan irrationnel, mais que la gauche échouant, tout lui reviendra. Ne pas bouger donc ? Si l'on pioche dans ce qu'il a construit avec son club Génération France, il y a chez Copé une droite à l'ancienne en mal de changement. Il revendique la générosité - mais le mot vient d'en haut et reste un concept creux. Il a réfléchi sur l'égalité au collège. Quand il menait la charge contre la burqa, il défendait en même temps l'enseignement de l'arabe dans l'Education nationale, au nom de la fierté des enfants d'immigrés. Et, au lendemain des tueries de Toulouse et de Montauban, il allait à la mosquée de Meaux. En réalité, il a du mal avec une société mouvante, avec le religieux qui s'installe, lui qui n'est que laïc ne comprend rien à l'irrationnel. «L'islamophobie est détestable, dit-il, il faut en finir avec la peur de l'invasion !» Mais, pour ce faire, il aurait voulu imposer aux mosquées des prêches en français...
Jadis, il aurait été d'une droite à la Tardieu, à la Reynaud, conservatrice et républicaine, portant des repères, autoritaire, mais incapable d'indignité. Ce furent les repères de son enfance et de ses premières ascensions, quand la République se tenait au repère gaulliste. Aujourd'hui, quand la société se fracture, quand les peurs s'égarent et des rages emportent la droite paroxystique, Jean-François Copé va devoir résister à sa famille, ou se perdre. Ses mots ne seront plus des habiletés tactiques, mais des enjeux nationaux. Il dit le savoir. A lui de choisir à qui il ressemble, s'il en est encore capable.
Copé et la ligne rouge du FN
Il y a là le complexe du gouvernant, l'horreur du vulgaire de l'élève des écoles, et aussi autre chose : des raisons intimes, qui tiennent aux origines de Copé. C'est le juif républicain qui résiste, mais ne pourra jamais l'admettre politiquement : il y a une tragédie en pointillé, qui ne se résume pas à Copé, mais aux raisons que la droite se donnera. Refusant de condamner moralement le Front national, abandonnant le désistement républicain au profit du PS, proclamant «normal» le parti lepéniste, elle s'ampute d'un argument au moment décisif. Quand Copé était jeune ambitieux, un homme l'avait pris sous son aile, qui s'appelait Paul Benmussa, restaurateur dans le quartier des médias, ami des politiques et des grands journalistes qui cantinaient Chez Edgard, son antre dans le triangle d'or du VIIIe arrondissement de Paris. Benmussa, ces années-là, s'amusait à voir venir Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret, le numéro deux de l'extrême droite, en quête de validation culinaire, et à leur claquer la porte au nez, en souriant. «Nous sommes complets», lançait-il, devant une salle vide.
Il y aurait désormais des tables libres à l'UMP pour un banquet du diable. Copé tiendra-t-il la ligne Benmussa ? C'est toute la question.
S'il n'a pas nommément visé Jean-François Copé, l'ancien Premier ministre ne veut pas que l'on "globalise les problèmes de cette religion".
L'ancien Premier ministre Alain Juppé, interrogé mardi 28 août par France Inter sur sa préférence pour la tête de l'UMP, a expliqué qu'un "des points de clivage fondamentaux" était l'islamophobie, contraire, a-t-il dit, aux principes républicains.
Comme on lui faisait valoir que ses prises de position antérieures semblaient l'incliner plus vers François Fillon que vers Jean-François Copé, l'ancien premier ministre a répondu qu'il "attend de voir ce que propose chacun des deux candidats".
"Ma vision de l'identité de la France est tout à fait claire", a enchaîné le maire de Bordeaux. "Ce sont les principes républicains", "le principe de laïcité" qui "n'est pas la guerre aux religions, mais le respect de toutes les religions".
"Pour moi, un des points de clivage fondamentaux, c'est l'attitude vis-à-vis de l'islam", a poursuivi le dirigeant UMP. "L'islamophobie qui globalise les problèmes de cette religion est contraire à ce principe de laïcité et ce principe républicain. C'est donc pour moi un point extrêmement sensible".
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