Toujours sensible au romantisme noir des maudits, Edwy Plenel en appelle, dans son nouveau livre, le Droit de savoir (éd. Don Quichotte), paru le 14 mars, à ce que le journalisme d'enquête à la française élise enfin comme son «hymne secret» la fameuse chanson de Brassens : la Mauvaise Réputation.
Le directeur de Mediapart peut être rassuré concernant sa sulfureuse aura : ce n'est pas en accrochant à son tableau de chasse la même semaine Jérôme Cahuzac et un très remuant ex-président de la République que le site d'investigation pure player, qui vient de fêter ses 5 ans, reviendra de sitôt en grâce chez ses chers confrères.
Ainsi, jusqu'à la démission du ministre du Budget, aura-t-on entendu le chroniqueur de Canal + et de RTL Jean-Michel Aphatie sonner des mois durant l'hallali, évoquant une absence de preuves, et même un «accouchement prématuré», tandis que le lendemain encore, sur nouvelobs.com, Bruno Roger-Petit agitait la menace d'un «journalisme de bûcher».
Depuis les affaires Bettencourt, Takieddine, Tapie et Kadhafi, en passant par la chute de la maison Cahuzac, que n'a- t-on au juste entendu sur Mediapart ? Des années déjà que, dans le sillage de la Sarkozye, vent debout contre le site tout au long du précédent quinquennat, et évoquant, à la manière de Xavier Bertrand, «des méthodes fascistes», la grande majorité des autres médias reprennent du bout du clavier ses scoops quand ils ne répandent pas sur lui quantité d'ordures et décombres.
Le miracle de l'antimediapartisme, c'est en effet de mettre d'accord les pires adversaires idéologiques, de la gauche la plus mollo à la droite identitaire la plus ultra, en passant par l'inénarrable Jean-Vincent Placé. Le clairvoyant Alain Minc aura aussi beaucoup fait pour la notoriété du site, en pronostiquant sur France Info sa mort imminente dès 2008, rejoignant pour une fois les détestations du mensuel fondé par Elisabeth Lévy, Causeur, évoquant un «journalisme à l'esbroufe», et dont le maître à penser, Alain Finkielkraut, volait encore récemment au secours de Jérôme Cahuzac, comparant Mediapart à une véritable «Stasi Internet».
Plus gênants encore que ces déchaînements souvent dictés par les options idéologiques de l'équipe Plenel, les articles d'authentiques chiens de garde que l'on peut soupçonner d'avoir été directement inspirés par les communicants proches de Jérôme Cahuzac, Marion Bougeard ou Stéphane Fouks, de l'agence Havas Worldwide (ex-Euro Rscg). Le lendemain de la chute du ministre socialiste, Edwy Plenel pointait ainsi le fait qu'«une partie du monde médiatique» s'est livrée six mois durant à des «manips d'officines de communication pour essayer d'enrayer la marche de la vérité».
«Mediapart est un petit poisson face à de gros requins dans une mer polluée» déclarait il y a peu le même Plenel, à qui toutes les Cassandre prédisaient le pire après l'élection de François Hollande. Fort de ces nouvelles victoires et de ses 60 000 abonnés, le «petit poisson» a toutefois franchi la barrière de corail et il sera désormais difficile à avaler.
http://www.marianne.net/Mediapart-et-ses-chers-confreres_a227808.html