Le thème que nous allons aborder dans ce billet et dans celui de la semaine prochaine peut sembler de prime abord particulièrement aride et rébarbatif : les règles constitutionnelles. Il est pourtant d’une importance capitale car il s’agit de repenser les «
règles du jeu
» du noyau central de l’appareil d’État.
Contester le ou les dirigeants en place alors que «
le ver est dans le fruit
», c’est-à-dire que l’application des règles constitutionnelles en vigueur génère «
naturellement
», mécaniquement pourrait-t-on dire, les abus que l’on critique, ne permet que de traiter les symptômes apparents du mal, non de guérir véritablement le malade.
Dans le domaine constitutionnel, rien n’est gravé dans le marbre. Une Constitution qui a répondu aux besoins et aux nécessités du pays en
1958 peut se révéler, malgré plusieurs modifications dont elle a fait l’objet, inadaptée 50 ou 60
ans plus tard, compte tenu de changements et d’évolutions liés à la nature de l’exercice du pouvoir. Et ce qui est souhaitable en
2010 ne le sera probablement plus en
2040 ou
2060…
Le présent billet s’efforce de présenter l’état des lieux, de brosser la situation constitutionnelle de la France en
2010, puis celui du 17
avril avancera quelques propositions de réformes et de modifications.
Par où commencer
?
En premier lieu, par définir le cadre de cette réflexion. Il existe de multiples pouvoirs dans la France d’aujourd’hui mais deux d’entre eux, bien que présents à toutes les époques, ont pris une importance croissante depuis 20 ou 30
ans : le pouvoir des médias d’une part, celui de la finance et des lobbies d’autre part.
Nous en traiterons dans de prochains billets pour nous concentrer aujourd’hui sur ce qui constitue l’apanage traditionnel du secteur public
: les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
Trois pouvoirs
?
«
Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté… il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice.
»
Près de 300
ans après avoir été formulée, l’affirmation de Montesquieu, reprise à l’article
16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, est plus que jamais d’actualité. Un rapide tour d’horizon de la situation des pouvoirs dans la France de
2010 va en révéler toute la pertinence.
Le pouvoir judiciaire
Le pouvoir judiciaire
? A-t-il jamais constitué un véritable pouvoir, au sens politique du terme
? Certes les magistrats du siège - les juges - sont indépendants et, dans l’immense majorité des cas, n’ont pour unique souci que d’appliquer correctement la loi au cas d’espèce qui leur est soumis.
Mais leur cadre d’action se rétrécit d’année en année
: la multiplication des lois dans des domaines de plus en plus pointus, les dispositions détaillées qu’elles contiennent, restreignent d’autant le pouvoir du juge. Ainsi, en matière pénale, l’obligation (pour certaines infractions) de prononcer des peines-plancher ou l’impossibilité de poursuivre certains délits (notamment en matière économique, ce que l’on appelle la «
délinquance en col blanc
»), compte tenu de règles de prescription favorables aux suspects, encadre singulièrement les prérogatives judiciaires.
Enfin, la tendance populiste et démagogique de certains politiques, surtout au plus haut niveau de l’État, d’utiliser les juges comme boucs émissaires, notamment dès que l’on touche aux questions liées à la sécurité, contribue à ne laisser au pouvoir judiciaire que des parcelles d’autorité.
Le pouvoir législatif
Le pouvoir législatif
? Aujourd’hui inféodé, dépendant, encadré par le pouvoir exécutif, comme l’écrivent de nombreux constitutionnalistes, il n’est plus que l’ombre de ce qu’il fut sous les Républiques précédentes.
Non seulement l’opposition parlementaire ne joue qu’un rôle de figuration (ce qui peut à la rigueur se concevoir car elle a, après tout, perdu les élections) mais la majorité parlementaire elle-même n’est plus, en règle générale et sauf exception aussitôt relevée par les médias, qu’une troupe de godillots, aux ordres des collaborateurs non élus de l’exécutif, notamment du secrétaire général de l’Élysée.
La récente affaire du bouclier fiscal en est une parfaite illustration
: alors qu’une majorité plus ou moins silencieuse de députés UMP souhaite sa disparition, sa suspension ou son aménagement, l’entêtement de Sarkozy tient lieu de norme législative.
Le pouvoir exécutif
Venons-en au pouvoir exécutif. Il est aujourd’hui tout-puissant, plus qu’il ne l’a jamais été dans l’histoire de France, à l’exception peut-être des périodes de l’Empire. En ce sens, le parallèle entre Sarkozy et Badinguet est assez saisissant.
Cette toute-puissance a été renforcée par l’instauration du quinquennat et la soumission du calendrier parlementaire au calendrier présidentiel
: on élit le Président et, dans la foulée, les députés, ce qui entraîne de façon quasi-automatique la coïncidence des majorités parlementaire et législative.
Par glissements successifs, nous nous trouvons ainsi aujourd’hui dans un régime «
supra-présidentiel
»
: le Président peut dissoudre l’Assemblée pratiquement comme bon lui semble, maîtrise de facto l’ordre du jour du Parlement et nomme qui il veut, sans aucun contrôle parlementaire, aux plus hauts postes de la fonction publique. Il dispose ainsi de pouvoirs beaucoup plus étendus que ceux du Président des États-Unis.
De surcroît, au sein de l’exécutif, on observe également un phénomène de concentration des pouvoirs
: le gouvernement n’est plus que la courroie de transmission, la structure de mise en œuvre opérationnelle, d’ordres qui émanent directement de l’Élysée. La quasi-totalité des décisions est aujourd’hui prise par le Président assisté de ses conseillers qui, à la différence du gouvernement, ne sont pas responsables devant le Parlement.
Le résultat
? Monarchisation de la vie politique, banalisation d’une «
culture de cour
» popularisée par les médias pour lesquels la dissection des privilèges des courtisans tient lieu d’analyse politique (le monarque confisque le carrosse et les valets de ceux - et surtout celle - qui tombent en disgrâce), nombrilisation des puissants… tous les ingrédients sont réunis pour que l’écart entre le pouvoir et le pays réel devienne un gouffre, jusqu’à l’explosion attendue. Ce phénomène a bien évidemment été aggravé par Sarkozy, «
l’hyper-Président
», mais le mal est inscrit dans les textes et perdurera, quel que soit le Président
: on ne renonce pas volontairement à un pouvoir quasi-absolu qu’une interprétation un peu extensive des dispositions constitutionnelles permet d’exercer.
Il va donc être nécessaire de changer les textes, de les faire évoluer profondément. Comment
? Selon quelles modalités
? C’est ce que nous examinerons dans le billet de la semaine prochaine.
Lundi
© La lettre du Lundi 2010
http://lalettredulundi.fr/2010/04/11/de-la-reforme-constitutionnelle-un-diagnostic/