La crise ivoirienne est partie pour durer
21 janvier 2011 à 07:07
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Blocage - Presque deux mois après l’élection présidentielle contestée en Côte d’Ivoire, les négociations ont échoué, et les États africains planchent sur une intervention militaire.
Venu à Abdjan rencontrer Laurent Gbagbo, le Premier ministre kényan Raila Odinga, médiateur de l’Union africaine, a quitté la capitale politique de la Côte d’Ivoire sans avoir obtenu de concessions de la part du président autoproclamé. L’enjeu était de relancer les négociations entre les partisans de Laurent Gbagbo et ceux du président déclaré élu par la Commission électorale indépendante, Alassane Ouattra ; la condition étant le retrait du pouvoir de Gbagbo, qui a bien entendu fermement refusé.
Après la valse des médiateurs africains qui se succèdent à Abidjan depuis le début de la crise, dont l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, pourtant réputé pour sa diplomatie, la tentative de règlement par le dialogue s’avère être un échec. Sur le terrain, la tension monte, surtout entre les supporters de Gbagbo et les forces multinationales de l’ONU, accusées de faire le jeu de Ouattra. Les accrochages entre les Casques Bleus et les milices du régime se multiplient, tandis que les militaires français de la force Licorne sont en réserve.
Depuis la rébellion de 2002, on pourrait penser que la crise ivoirienne réside uniquement dans la coupure religieuse entre le Nord musulman et le Sud à majorité chrétienne, le premier étant rebelle et pro-Ouattra et le second pro-Gbagbo. En réalité, les origines du conflit résident dans la cohabitation des différentes ethnies, parquées arbitrairement dans un territoire artificiel par la colonisation française.
Au Sud se trouve l’ethnie Bété, dont fait partie Laurent Gbagbo et sa femme Simone. Dans le centre du pays dominent les Baoulés, l’ethnie de feu le président Houphouët-Boigny et de son successeur Henri Konan Bédié. Au Nord, enfin, une foule de tribus musulmanes, dites « voltaïques », cohabite avec des immigrés de la même religion, majoritairement d’origine burkinabé.
Du temps d’Houphouët, les Baoulés et les Nordistes avaient conclu une alliance, matérialisée par la responsabilité confiée au premier ministre de l’époque, Alassane Ouattra. Puis, à la mort du « Père de la nation », les Baoulés ont tenté de s’accaparer le pouvoir seuls, rejetant Ouattra au nom de « l’ivoirité », concept artificiel selon lequel la nationalité relève de la naissance sur le sol ivoirien, excluant l’ancien Premier ministre. En 1999, le président baoulé Konan Bédié est renversé par le général Guei, membre d’une ethnie de l’Ouest minoritaire, qui s’empresse de confisquer le pouvoir et d’exclure les Baoulés et les Nordistes. Le régime militaire est finalement vaincu lors de l’élection présidentielle de 2000, par la victoire du candidat de l’ethnie Bété, le vieil opposant socialiste Laurent Gbagbo.
Légitimement élu, Gbagbo n’a pourtant reçu les suffrages que des membres de son ethnie, sudistes et chrétiens, et de quelques Baoulés. Le Nord ne l’a pas investi (il a voté contre lui, ou s’est massivement abstenu) et il se met à contester son autorité. En 2002, une rébellion finit par éclater au Nord. Ses origines sont mystérieuses, le général Guei étant abattu aux premières heures du putsch, et Ouattara démentant toute implication. Au départ, la rébellion des « Forces nouvelles » (FN) ressemble davantage à un vaste hold-up de gangsters qu’à un mouvement politique. Pour preuve, les pillages et les exactions commises contre les représentants de l’État et les populations.
Tandis que la France imposait un fragile cessez-le-feu, qui ne réglait rien dans l’immédiat, lors des accords de Marcoussis, les rebelles se transformèrent en force partisane, réclamant une alternative au gouvernement de Laurent Gbagbo. A l’origine de ce changement, la prise du pouvoir de l’ethnie des Malinkés parmi les chefs rebelles. En 2007, un partage du pouvoir entre les FN et les partisans de Gbagbo vit la nomination du Malinké Guillaume Soro au poste de Premier ministre.
Pour les élections de novembre, les Nordistes choisissent naturellement Alassane Ouattra comme candidat à la présidence, ce dernier ayant l’avantage d’être un technocrate apprécié par l’Occident. Au second tour, Ouattara réussit l’exploit de s’allier avec les Baoulés, dont le candidat Bédié a été battu au premier tour. Les deux grands groupes ethniques s’étant unis, la seule ethnie Bété ne pouvait pas assurer la victoire de Gbagbo, qui a donc été battu. Cette défaite, le président ne l’a pas accepté, et le pays se retrouve aujourd’hui avec deux chefs de l’État: l’un isolé, poursuivant ses activités depuis le palais présidentiel d’Abidjan, l’autre retranché à l’hôtel du Golf, dans la même ville, et soutenu par la communauté internationale et les rebelles du Nord.
Depuis 2002, Laurent Gbagbo ne contrôle plus que le Sud du pays. Les Bétés le soutiennent, au nom de la solidarité ethnique, de la légitimité présidentielle et aussi de l’unité religieuse : Gbagbo est un chrétien engagé avec son épouse Simone. Persuadé que Dieu l’a choisi pour présider la Côte d’Ivoire, il courtise les Églises évangéliques et se fait le défenseur du christianisme. Des pasteurs français sont invités à la présidence pour célébrer des cultes privés. La vision de la crise ivoirienne comme un clash entre musulmans et chrétiens tient beaucoup de l’attitude de Laurent Gbagbo, dans ce pays très religieux.
Plus prosaïquement, le président règne sur une zone ethnique qui lui est favorable, et qui plus est, concentre toutes les richesses de la Côte d’Ivoire: le cacao, la bois et le pétrole côtier. D’où le soutien que lui accordent les forces économiques étrangères, de l’industriel français Bolloré au lobby libanais (très présent en Côte d’Ivoire) en passant par les intérêts angolais. A noter que l’Angola, pays africain producteur de pétrole, et le Liban étaient les deux seuls pays à avoir envoyé des ambassadeurs pour assister à la cérémonie d’investiture de Laurent Gbagbo après les élections du 28 novembre.
Laurent Gbagbo dispose de l’armée ivoirienne et de la gendarmerie. Il peut continuer à diriger le Sud sans le Nord. Par ailleurs, son régime s’est mêlé à de nombreux trafics pour pouvoir survivre, et les intérêts économiques en jeu sont énormes. L’entourage du président Gbagbo, qui s’est rendu coupable d’exactions et de violences dans le Sud contre les opposants du gouvernement, ne souhaite donc en aucun cas se retirer du pouvoir.
Alassane Ouattara a immédiatement reçu le soutien de la communauté internationale, dont celui des États-Unis et de l’ancienne puissance coloniale française. Mais il n’a aucun moyen d’imposer son autorité sur l’ensemble du pays, puisque le Sud pro-Gbagbo lui est hostile. En revanche, Ouattara s’est découvert des partisans dans les quartiers populaires d’Abidjan, des immigrés musulmans qui brûlent de se soulever contre le régime en place: si la guerre civile éclate à nouveau, c’est au cœur de la capitale qu’elle se portera.
La stratégie de Laurent Gbagbo est de jouer la montre et d’attendre ; une tactique qui a convenu à toutes les parties depuis le début de la crise. Le président ne cèdera pas, et s’offre le luxe de se poser en victime de l’Occident et de défendre la souveraineté ivoirienne, soutenu par deux de ses vieux amis français de l’Internationale socialiste, l’avocat Jacques Vergès et l’ancien ministre des Affaires étrangères Roland Dumas.
Pendant ce temps, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), pressée par les puissances occidentales, s’est déclarée prête à intervenir militairement pour chasser Laurent Gbagbo et installer Ouattra par la force. Mardi 18 janvier, le président du Burkina Faso Blaise Compaoré, soutien actif de la rébellion, était reçu à l’Élysée par le président Sarkozy pour discuter d’une éventuelle intervention. Celle-ci serait menée sous le commandement du général nigérian Goodluck Jonathan, le seul chef militaire africain disposant d’une véritable puissance armée. Le Nigeria anglophone est le rival historique de la Côte d’Ivoire dans la région, et il a tout intérêt à participer à la gestion de cette crise. Problème: ce pays est lui-même tiraillé par une division Nord-Sud entre musulmans et chrétiens, et il n’est pas sûr qu’une invasion nigériane réussisse.
Au final, personne ne souhaite un nouvel embrasement de la Côte d’Ivoire, qui n’est de toute façon plus un pays uni depuis 2002. La situation est toujours imprévisible, mais la crise semble durablement installée.
Pierre Jovanovic
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