Faut-il se vacciner contre la grippe saisonnière ?
Après le vaccin contre la grippe A/H1N1 pandémique, retour à la case départ
Nouvelle année, nouveau vaccin, même question : faut-il se vacciner ou se revacciner contre la grippe ? Cet article tente d’apporter des éléments de réponse factuels et objectifs sous une forme accessible au public.
L’hiver 2009/2010 a été agité par une grande question : fallait-il ou non se faire vacciner contre la grippe A/H1N1 pandémique ? J’avais rédigé en novembre 2009 un article sur ce sujet avec le concours de mes confrères généralistes. Ce document, objet d’une diffusion considérable (1.300.000 lectures), tentait d’apporter une information factuelle et objective sur un sujet très controversé. La suite des évènements n’a pas démenti les affirmations contenues dans cette synthèse qui avait aidé de nombreux français à faire leur choix.
Nous savons déjà que nous disposerons (en France) de deux types de vaccins :
Des vaccins identiques au vaccin saisonnier habituel, c’est à dire sans adjuvant et contenant les principales souches en circulation lors de l’hiver austral. Ce vaccin dit "trivalent" contient trois extraits de virus : la souche A/H3N2 (Hong Kong), une souche B (peu dangereuse) et bien sûr la souche A/H1N1 2010 pandémique, qui remplace l’ancienne souche A/H1N1 espagnole. Ces vaccins seront donc dans leur principe parfaitement superposables à ceux pratiqués tous les ans chez quelques millions de personnes âgées et de malades fragiles. La seule différence est le remplacement du A/H1N1 espagnol par le nouvel A/H1N1 [2]
Des vaccins monovalents, c’est à dire contre la seule grippe A/H1N1, avec ou sans adjuvant au squalène. Nous en saurons plus dans quelques semaines.
La commercialisation de ce deuxième type de vaccin monovalent (un seul type de virus) est surprenante : soit on veut se protéger contre la grippe en général, soit on ne le souhaite pas. Se vacciner contre un seul virus n’a pas grand sens, d’autant que la grippe A/H3N2 provoque plus de décès que la grippe A/H1N1. La question sera de savoir s’il l’on a ressorti du frigo les vaccins de l’hiver dernier...
Nous aurons sans doute comme tous les ans une campagne de promotion de la vaccination antigrippale. En revanche, la culture de la peur distillée l’hiver dernier sera sans doute plus discrète.
Pour ceux qui se sont fait vacciner en 2009/2010 dans les gymnases, la rentrée vaccinale sera l’occasion de découvrir que leur immunité était transitoire et qu’une revaccination régulière, sans doute annuelle et à vie, est nécessaire pour maintenir leur protection contre la grippe A/H1N1. Pour atténuer cette mauvaise nouvelle (presque personne ne le sait encore), on affirmera peut-être que la vaccination 2010 est suffisante pour deux ou trois ans. Cette affirmation serait pourtant en contradiction avec la position antérieure des experts qui affirmaient que le vaccin antigrippal devait être pratiqué tous les ans, du fait de l’instabilité des virus grippaux.
Pour les autres, la question se reposera de façon générale : faut-il se vacciner tous les ans contre la grippe ? Finalement, vaccination ou revaccination, la question est la même pour tous.
Comme l’année dernière, c’est en effet la vraie question. La grippe A/H1N1 n’est pas fondamentalement différente de la grippe saisonnière. Elle était simplement nouvelle (pour les jeunes) l’année dernière et a donc touché beaucoup de monde. Nous ne savons pas, en septembre 2010, quel est le pourcentage de la population qui a rencontré ce virus et s’est donc immunisé contre lui [3]. La raison pour laquelle cette étude n’a pas été réalisée m’échappe. Cette information serait cruciale et nous avons des raisons de penser que cette proportion est très importante, du fait de nombreuses grippes n’ayant provoqué aucun symptôme, mais ayant immunisé les personnes contaminées.
Tentons donc de répondre à cette question, chose qui n’est pas simple. Ce n’est pas simple car les travaux scientifiques évaluant l’impact de la vaccination antigrippale sont peu nombreux et peu convaincants.
Il aurait été très facile d’apprécier cette efficacité lors de la mise en place de la vaccination gratuite pour les personnes âgées ou les patients en longue maladie : cette vaccination aurait été offerte à un échantillon de patients tirés au sort par l’assurance maladie, et la mortalité de ces patients aurait pu être comparée après plusieurs années à celle d’un autre échantillon comparable. C’est facile, les données sont déjà informatisées et la traçabilité des personnes ayant retiré leur vaccin gratuit est aisée. Cela n’a pas été fait. Comme trop souvent en France, on a lancé une politique de santé publique avant de l’évaluer, et il est désormais trop tard pour faire cette étude. [4] |
Pour forger notre point de vue, nous disposons principalement de deux éléments objectifs : la mortalité de la grippe en France et la synthèse des travaux scientifiques ayant évalué l’efficacité de la vaccination.
Elle est unique a ma connaissance et a porté il y quelques années sur les 22 départements français les plus peuplés :
La mortalité est une des données les moins mal connues car le décès est un élément qui est toujours déclaré, documenté, et qui peut faire l’objet d’enquêtes. Pour autant, aussi étonnant que cela puisse paraître, personne ne connaît le nombre exact de décès dus à la grippe en France. Un bilan sur la saison 2004-2005 [5] apporte néanmoins des données intéressantes : nous n’avons pas le chiffre absolu de décès, mais nous pouvons l’estimer, et connaître le rapport entre les décès et les cas de grippe calculés par un réseau de surveillance fiable. La mortalité a été relevée dans 22 départements répartis sur le territoire, représentant 37% de la population métropolitaine. Il suffit donc de tripler les chiffres pour avoir une estimation grossière de la mortalité totale.
Fig 1 Comparaison de la mortalité grippale et du nombre de cas de grippes lors de l’épidémie 2004-2005, permettant d’évaluer la mortalité globale à environ 1/10.000 pour les grippes déclarées (source). Attention, la mortalité pour la grippe en général est plus faible car de nombreux cas de grippe ne donnent que peu ou pas de symptômes.
En tout, 228 décès ont donc été recensés en 2004-2005. En extrapolant à la population totale, on obtient environ 700 décès. Ce chiffre est à comparer aux estimations officielles de 5000 à 7000 décès. Ces estimations reposent sur une lecture savante mais audacieuse des courbes de mortalité générales, et de l’attribution arbitraire à la grippe d’excès de décès survenus pendant la circulation du virus grippal. Cette dernière méthode pourrait être à l’épidémiologie ce que les prévisions de croissance du gourvernement sont à l’économie... Pour ma part, je préfère me fier au décompte des causes de décès, même si cette méthode risque elle-aussi de surestimer les décès dus à la grippe [6].
L’autre information importante est celle de l’âge auquel survient le décès par grippe.
Fig 2 : Age des patients décédés de la grippe lors de la surveillance de la grippe 2004-2005 sur 22 départements.
L’âge moyen des patients décédés de la grippe au cours de la saison 2004-2005 est de 86 ans (médiane : 87 ans). La classe d’âge des plus de 90 ans est la plus représentée avec 43 % des effectifs.
La grippe saisonnière est donc dans la majorité de cas la grippe "du dernier souffle" qui vient emporter une personne fragilisée par le grand âge. C’est bien sûr souvent un drame, mais cette information est importante pour qui veut apprécier l’intérêt de se vacciner contre la grippe saisonnière. Le décès des personnes jeunes grippées est donc un évènement très rare : 1/100.000 à 1/1000.000 de grippes. Ce décès est souvent associé à une maladie préexistante. Cela correspond aux constatations faites par les médecins généralistes : rares sont ceux qui ont été confrontés à un décès par grippe chez une personne jeune et en bonne santé pendant l’ensemble de leur carrière. Médicalement parlant, "jeune" signifie moins de 65 ans...
Ces chiffres concernent essentiellement la grippe A/H3N2 (Hong Kong).
La grippe H1N1 a épargné cet hiver les personnes âgées qui possédaient apparemment une immunité ancienne et protectrice contre ce nouveau virus, qui n’était donc finalement pas si nouveau.
Le nombre de décès de patients liés (sans certitude [7]) à la grippe A/H1N1 est de l’ordre de 300, dont une majorité de personnes fragilisées par des facteurs de risque préexistants. Certaines données récentes font douter d’un excès de gravité de cette nouvelle grippe A/H1N1 chez les jeunes, excès pourtant communément admis depuis quelques mois.
Cette grippe A/H1N1, nouvelle en 2009/2010 pour les personnes jeunes, a ainsi pu contaminer un grand nombre de sujets dans sa phase pandémique. En mode saisonnier, il est douteux qu’elle touche tous les ans plus de 10% de la population, ce qui donne environ 30 décès par an. Cette mortalité chez les jeunes est du même ordre de grandeur que celle de la grippe A saisonnière (H3N2 ou ancienne H1N1) chez les sujets de moins de 65 ans.
Ces 30 décès sont bien sûr regrettables, mais ils ne constituent pas un problème de santé publique.
En pratique, la probabilité de mourir de la grippe pour un enfant ou un adulte de moins de 65 ans est de l’ordre de 1 pour un million chaque année. Ce risque est équivalent à la probabilité de gagner le gros lot du Loto en jouant 20 euros.
Vous pourriez penser que le vaccin antigrippal protège à près de 100% contre la grippe, comme c’est le cas pour le vaccin antipolio ou antitétanique. Il n’en est rien. Le vaccin contre la grippe est peu efficace. Les interprétations des données scientifiques les plus optimistes évaluent cette efficacité à environ 50% (deux fois moins de grippe chez les sujets vaccinés).
Néanmoins, cette interprétation favorable est contestée. Un exemple parmi d’autres : des chercheurs américains ont étudié plus en détails les données scientifiques sur la vaccination des personnes âgées. Ils constatent que les vaccinés meurent moins pendant l’épidémie de grippe, mais meurent moins aussi avant et après ce qui n’a pas beaucoup de sens... Voila de quoi relativiser la valeur de ces statistiques qui sont censées fonder l’efficacité de la vaccination contre la grippe.
D’ailleurs, une des sources scientifiques internationales les plus fiables, la collaboration Cochrane, conclut que si la vaccination permet peut-être d’éviter une grippe sur deux, il n’existe aucune preuve que le vaccin soit efficace sur les complications de la grippe et notamment les décès. La commission d’enquête du Sénat a auditionné le Pr Jefferson de la collaboration Cochrane et vous pouvez lire en français le compte rendu de son audition qui résume bien la situation.
Un autre élément factuel non négligeable est la situation de la Pologne : ce pays n’a vacciné aucun de ses citoyens en 2009/2010 et la mortalité grippale par habitant y a été moins importante qu’en France.
En pratique, les accidents graves et décès liés à la grippe sont tellement rares qu’il est quasiment impossible de mettre en évidence l’efficacité du vaccin sur la mortalité, à supposer que cette efficacité existe.
Le vaccin permet de diminuer au mieux par deux la probabilité d’être alité et incapable de travailler plusieurs jours, tous les dix ou quinze ans. C’est en effet l’intervalle moyen qui sépare deux accès de grippe chez une personne donnée (certains n’en "font jamais", d’autres sont grippés plus souvent).
Nous n’avons aucun argument solide actuellement pour affirmer que le vaccin antigrippal saisonnier expose à des risques importants. L’absence d’adjuvant au squalène dans le vaccin saisonnier (sauf GripGuard®) évite les nombreuses réactions locales désagréables observées avec le vaccin pandémique et peut-être certaines réactions auto-immunes. Les accidents survenus ches les vaccinés ne sont pas (à ce jour) significativement plus fréquents que ceux attendus pour les mêmes effectifs dans une population non vaccinée.
Nous n’avons pas non plus d’argument solide pour affirmer qu’il n’existe aucun accident grave lié au vaccin. Des troubles sérieux sont survenus après la vaccination : maladies neurologiques graves, maladies immunitaires, et enfin des décès. Il n’est pas possible actuellement d’affirmer que le vaccin est responsable de ces accidents, mais il n’est pas non plus possible d’affirmer qu’il est innocent.
Il suffirait que la vaccination provoque deux décès par million de personnes jeunes vaccinées pour en annuler le bénéfice théorique.
Bénéfice théorique, car encore une fois, personne ne peut affirmer que le vaccin permet d’éviter des décès ou des accidents graves liés à la grippe.
Nous ne savons pas exactement combien la grippe provoque de décès, mais nous avons des raisons de penser que le taux est très faible, de l’ordre de 1 pour 1 000 000 chez les enfants et adultes de moins de 65 ans en bonne santé.
Nous ne savons pas combien la vaccination provoque d’accidents graves, mais nous savons que ces accidents, s’ils existent, sont suffisamment exceptionnels pour être difficiles à mettre en évidence.
Nous avons des raisons de penser que la vaccination contre la grippe divise environ par deux la probabilité d’être atteint par la grippe et donc d’être exposé à ses inconvénients (alitement, fatigue durable, forte toux, parfois pneumonie banale nécessitant des antibiotiques).
Dans ces conditions, le rapport bénéfice/risque de la vaccination antigrippale est difficile à apprécier. A chacun de faire son choix en fonction de ses peurs ou de son vécu personnel. Nous nous exposons quotidiennement à des risques largement aussi importants, comme faire une promenade en vélo ou un voyage en voiture.
Se pose enfin le problème des cas particuliers : vieillards fragiles, grands malades, femmes enceintes, asthmatiques. Ils sont clairement exposé à un surcroît de risque variable en fonction de chaque situation. C’est après avoir pris conseil auprès de leur médecin traitant, en consultation et non au téléphone ou entre deux portes, qu’ils pourront décider en leur âme et conscience s’ils choisissent ou non la vaccination annuelle. La probabilité d’un accident étant très faible quel que soit leur choix (vaccination et ses risques, grippe et ses risques), rien ne justifie de s’inquiéter excessivement pour un risque finalement très modeste dans un sens ou dans l’autre.
Le rédacteur de cet article et les médecins co-signataires espèrent que ce texte aura pu faciliter votre choix ou éclairer la décision que vous prendrez avec votre médecin traitant.
Remerciements : Dr Jean-Claude Grange, Dr Olivier Rozand.
Conflits d’intérêt de l’auteur : voir ici.
[1] La définition exacte de la subjectivité est complexe et ses limites sont floues.
[2] Le virus H3N2 sera également très légèrement différent, du fait des modifications mineures que subissent régulièrement les virus grippaux.
[3] L’immunité conférée par la maladie est beaucoup plus importante et durable que celle induite par le vaccin qui simule une fausse infection localisée (au point d’injection).
[4] La vaccination étant désormais présumée efficace, il ne serait pas éthique de priver de vaccin un groupe de patients.
[5] Surveillance épidémiologique de la grippe en France 2004-2005, rapport de l’Institut National de Veille Sanitaire.
[6] Ont été comptabilisés comme dus à la grippe les décès pour lesquels le certificat contenait les mot "grippe" ou "grippal", sans qu’il soit nécessaire que la grippe soit présentée comme cause principal du décès. Cette étude a donc été conçue pour "ratisser large".
[7] Tous les décès dues à un pneumonie grave en 2009/2010 ont été attribués à la grippe A/H1N1 sans vérification virologique.
Il n'est point besoin d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. Guillaume le Taciturne
Auteur : Dr Dominique Dupagne - Source : Atoute
http://www.dazibaoueb.fr/article.php?art=15768
Commentaire paru :
(Faut-il se vacciner contre la grippe saisonnière ?)
Salut,
merci pour cet article qui m'a appris ce que je voulais savoir :
Dans le vaccin contre la grippe saisonnière, il n'y a pas d'adjuvants. (Sauf une marque, donc il faudra quand même que je fasse attention)
Par conséquent, je me ferai vacciner comme chaque année.
L'an dernier, j'avais fait le vaccin normal mais refusé le vaccin spécial A/H1N1.
« A chacun de faire son choix en fonction de ses peurs ou de son vécu personnel. » dit l'auteur.
Mon vécu, c'est que je suis très fragile et que j'attrappe tout ce qui passe. il y a 15 ou 20 ans, je ne me faisais jamais vacciner contre la grippe. Et j'étais obligé de prendre des antibiotique quatre fois par ans. Parce que j'avais systématiquement des surinfections. Une fois, j'ai cédé à la pression antimédic de divers amis et j'ai refusé de prendre des antibiotiques. Je suis resté malade (très malade !) pendant deux mois. Quand j'ai pris mes antibiotiques, j'ai guérri en trois jours !
Depuis 15 ou 20 ans, je me fais vacciner chaque année contre la grippe saisonnière. Et au début l'efficacité était très moyenne. Mais au bout de quelques années, c'est devenu d'une efficacité extrême (tu parles, avec un rappel par an, au bout d'un moment, ça fait pas semblant de fonctionner !) et je ne prends plus jamais d'antibiotiques pour cause de crève, parce que je n'ai plus jamais la crève. Tout juste un simple petit rhume de rien du tout !
Le vaccin contre la grippe saisonnière a changé ma vie.
Bien à vous,
do
http://mai68.org
Voici pour quelles raisons , l'an dernier, j'ai pris le vaccin normal mais refusé le vaccin spécial grippe A/ H1N1 : Le vaccin normal contre la grippe normale vaccinait déjà contre le H1N1 :
http://mai68.org/spip/spip.php?article350
Grippe A-H1N1 - Vaccinés comme en Afrique :
http://mai68.org/spip/spip.php?article394
Analyse succinte de la circulaire officielle de vaccination contre la grippe A/H1N1 :
http://mai68.org/spip/spip.php?article439
Provoquer la peur de la grippe pour éviter la grève générale :
http://mai68.org/spip/spip.php?article401