Quelle pourrait être la véritable raison de l’intervention du FMI en Europe et pourquoi cette volonté farouche d’aboutir à une sorte de « ministère européen» des finances ?
Avant la crise actuelle, l’idée même d’une éventuelle intervention du Fonds Monétaire International (FMI) dans la zone euro aurait semblé absolument inconcevable. Et pourtant, en ce moment, le FMI est au centre de toutes les discussions financières européennes (indépendamment de DSK).
Mais quel est le but du FMI ?
Depuis la fin de Bretton Woods en 1971, le monde vit une expérience unique dans l’histoire de l’humanité, à savoir utiliser une dette comme monnaie d’échange. Avant cela, personne n’avait jamais payé ses achats en utilisant comme monnaie la dette de quelqu’un d’autre. Jusqu’en 1971, la monnaie était toujours plus ou moins fortement liée à l’or ou l’argent-métal mais après cette date, la création de monnaie a littéralement explosé car n’étant pratiquement plus freinée par aucune contrainte. L’utilisation de monnaie-dette a entraîné des crises financières très douloureuses pour les populations (crise mexicaine de 1994, crise asiatique de 1997, crise russe de 1998, crise brésilienne de 1999, crise dotcom de 2000, crise actuelle). A chaque fois le FMI était bien présent.
Les critiques du FMI diront que celui-ci prête à un Etat en difficulté lorsqu’il ne peut plus se financer normalement sur les marchés. En échange le FMI exige la promesse de privatiser toutes les ressources de cet Etat qui se retrouve donc encore plus lourdement endetté tandis que des multinationales peuvent se procurer à bon compte de précieuses ressources alors que les populations locales, elles, n’en profitent quasiment pas. En général, le débat porte alors sur le fait de savoir si une société publique est préférable à une société privée alors que de mon point de vue, il devrait plutôt porter sur la pertinence d’utiliser une dette comme monnaie et plus généralement sur le concept même de dettes avec intérêts qui concentrent mathématiquement la richesse et le pouvoir dans les mains d’une infime minorité.
Sans approfondir davantage ces considérations politiques que chacun appréciera personnellement tournons-nous vers le site du FMI sur lequel le visiteur peut trouver la version officiellei :
Le Fonds monétaire international a pour mission d’encourager la coopération monétaire internationale, de veiller à la stabilité financière, de faciliter le commerce international, d’œuvrer en faveur d’un emploi élevé et d’une croissance économique durable, et de faire reculer la pauvreté dans le monde. Créé en 1945, le FMI est gouverné par ses 187 États membres, auxquels il rend compte de son action, ce qui en fait une institution quasi-universelle.
Une « institution financière quasi-universelle », voilà qui doit sembler bien agréable à tous ceux qui rêvent de l’avènement d’un gouvernement mondial.
En continuant la lecture du site du FMI, on voit que « l’objectif premier du FMI est de veiller à la stabilité du système monétaire international, en d’autres termes, le système international de paiements et de change qui permet aux pays (et à leurs citoyens) de procéder à des échanges entre eux. À la suite de la récente crise mondiale, le FMI a entrepris de clarifier et de rénover son mandat pour l’étendre à l’ensemble des questions macroéconomiques et financières ayant une incidence sur la stabilité mondiale ».
Donc si le FMI intervient en Europe, ce serait pour stabiliser le système monétaire international. Mais est-ce bien la véritable raison ?
Le FMI est arrivé en Europe pour aider la Grèce. Mais avant de voir comment le FMI s’est imposé en zone euro, rappelons-nous comment les malheurs de la Grèce ont commencé. Il est « soudainement apparu » que la Grèce avait maquillé l’ampleur de ses dettes en utilisant 13 swaps de devises spéciaux élaborés par une seule banque, Goldman Sachs. Notons au passage qu’officiellement, on nous demande de croire, qu’une seule et unique banque a proposé ces produits à un seul et unique pays, aucune autre banque au monde et aucun autre pays européen n’ont cédé à la tentation…
Lorsque le niveau d’endettement de la Grèce a été revu à la hausse, les marchés se sont inquiétés et le gouvernement grec a été contraint de mettre en place un premier plan d’économie. Le 3 mars 2010, aussitôt son plan d’austérité annoncé, le premier ministre grec Georges Papandréou se précipite chez Angela Merkel puis chez Nicolas Sarkozy et finalement chez Barack Obama à Washington où se trouve le siège du FMI. Mr Papandréou choque alors beaucoup de dirigeants européens en déclarant que «Le peuple grec attend la solidarité de l’Europe. C’est l’autre partie de l’accord avec l’UE. Si l’Union européenne n’aide pas la Grèce, malgré les 4,8 milliards de coupes budgétaires annoncées mercredi, la Grèce pourrait faire appel au Fonds monétaire international»ii.
La stabilité du monde financier était-elle à ce point en danger que le premier ministre grec a menacé d’appeler le FMI à son secours ?
Remarquons que cela faisait bien longtemps que Mr Papandréou avait prévu de mettre le FMI et l’Europe en concurrence comme le confirme une séquence retirée au moment du montage d’un documentaire sur M. Dominique Strauss-Kahn diffusé sur Canal + le 10 avril 2011. Cet extrait montre le directeur général du FMI qui explique le plus naturellement du monde que le premier ministre grec a menti à son peuple. « Papandréou m’avait appelé très tôt, dès novembre-décembre 2009, en disant qu’il avait besoin d’aide. (…) Quand le FMI est venu, on a fait le travail en quinze jours ». On a « travaillé avec les Grecs en souterrain, explique DSK, parce que les [membres du gouvernement] grec, eux, souhaitaient une intervention du FMI. Même si Papandréou, pour des raisons politiques, ne disait pas ça »iii.
A l’époque, s’il y en a bien un qui n’a pas cru une seconde que la stabilité monétaire était en danger c’est Mr Trichet, président de la Banque Centrale Européenne (BCE) . Le 4 mars 2010, il déclare lors d’une conférence de presse à Francfort : « Je ne crois pas qu’une aide du FMI à la Grèce soit appropriée»iv.
Le 25 mars lors d’un entretien avec la chaîne de télévision française LCP-Public Sénat réalisé à Bruxelles, Mr Trichet enfonce le clou en expliquant : «Si le Fonds monétaire international ou une quelconque instance que ce soit exerce à la place de l’Eurogroupe (la zone euro), à la place des gouvernements, leur responsabilité, c’est évidemment très très mauvais»v.
Mais étrangement ce même président de la BCE va opérer un revirement spectaculaire quelques jours plus tard et déclarera le 8 avril que « l’implication du FMI, le Fonds monétaire international, dans un plan d’aide à la Grèce est une solution réalisable ». Il tiendra également à préciser « qu’il n’avait pas dit qu’il ne voulait pas du FMI mais qu’il ne voulait pas du FMI seul pour soutenir la Grèce »vi.
Aurait-il reçu un coup de téléphone de la « Banque des Règlements Internationaux (BRI) » à Bales mieux connue sous le nom de banque centrale des banques centrales et intimement liée au FMI ?
Quelques mois plus tard ce sera au tour de l’Irlande de se retrouver dans la tourmente. Le 28 novembre 2010, après bien des hésitations, le gouvernement Irlandais acceptera finalement lui aussi un prêt du FMI (22.5 milliards d’euros)vii
C’est ainsi que le FMI est maintenant bien implanté en zone euro et plus personne n’imagine que celui-ci ne sera pas impliqué dans les prochains plans de sauvetage attendu par les marchés (Portugal, Espagne, …etc).
En échange de l’aide, la Grèce s’est engagée à privatiser 50 milliards d’euros d’ici à 2015. Parmi les actifs à vendre citons le producteur d’électricité, un port, un groupe de paris sportifs, deux banques. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire: que valent ces actifs? Est-ce que les acheteurs potentiels ne vont pas plutôt attendre de voir les prix de vente baisser ? Il n’est donc pas évident que la motivation réelle du FMI soit de favoriser les privatisations.
Un auteur brillant comme Pierre Hillardviii a largement décrit la profonde tendance qui se développe en Europe depuis de nombreuses années et qui vise à « diviser pour mieux régner ». Le danger de cette stratégie est de concentrer de plus en plus de pouvoir dans les mains d’institutions supranationales. C’est à mon avis dans ce cadre qu’il faut voir l’intervention du FMI bien plus qu’une nécessité pour garantir la stabilité de la zone euro.
Je l’ai déjà évoqué dans de précédents articles ix x, les sphères financières savent que les jours du dollar américain comme monnaie de réserve mondiale sont comptés. Les élites financières rêvent de voir un jour l’avènement d’une monnaie mondiale basée sur les Droits de Tirage Spéciaux du FMI. Mais pour qu’une nouvelle monnaie mondiale puisse être acceptée, il faut impérativement que toutes les monnaies actuelles soient gravement malades. L’intervention du FMI dans la zone euro permet à celui-ci d’étendre son influence mais envoi surtout un signal très négatif sur la solidité de l’euro.
Le 2 juin, Mr Trichet vient de faire une déclaration très remarquéexi en proposant l’adoption d’un ministre des finances de la zone euro. Depuis le début de la crise, les membres de la zone euro présidée par Jean-Claude Juncker multiplient les initiativesxii.
Pour aider un Etat nécessiteux, l’Europe dispose maintenant de 3 moyens d’action pour un total de 750 milliards d’euros : d’abord, 60 milliards d’euros pourront, sur autorisation du Conseil Ecofin, être empruntés sur les marchés par la Commission, étant garantis par les Etats membres. Cette somme pourra ensuite être reprêtée en urgence. Dans un second temps, les Etats pourront verser, en tout, jusqu’à 440 milliards d’euros en prêts bilatéraux, ou bien se servir de cette somme pour constituer des garanties. C’est ce qu’on désigne sous le nom de « fonds européen de stabilité financière ». Finalement, le FMI pourrait ajouter 250 milliards si nécessaire. Ces 750 milliards « d’eurobonds » ne seront réellement empruntés que si un Etat nécessiteux le demande et que les conditions d’aide sont réunies.
Ces dispositifs tentent de résoudre une faiblesse structurelle de l’euro : il n’existe pas d’obligation (d’emprunt) émise par l’Europe, il n’y a que des dettes publiques nationales qui entraînent des tensions asymétriques sur l’euro. La Banque Centrale Européenne n’a comme seul mandat que celui de tenter de maintenir l’inflation des prix. Dés l’origine, il n’existe aucune institution pour empêcher l’Espagne ou l’Irlande de gonfler une bulle immobilière astronomique, profitant d’un euro très crédible et de taux relativement bas. Aucune autorité ne pouvait empêcher la Grèce de maquiller ses emprunts publics exagérés à des taux bien trop bas pour ce pays, profitant elle aussi de la réputation de l’euro et de la solidarité entre pays en cas de problème. La crédibilité de l’euro souffre du comportement irresponsable de certains pays et la proposition de Mr Trichet de créer un ministère européen des finances va naturellement dans le sens de résoudre ce problème congénitale de l’euro. Son mandat à la BCE prenant fin en octobre, certains n’ont pas manqué de le proposer à la tête de ce ministère.
Ainsi on le voit, il y a une volonté de certains de renforcer d’abord la zone euro qui se heurte à la volonté d’autres de voir jouer un rôle central par le FMI, cette « institution financière quasi-universelle ».
Pascal Roussel, pour Mecanopolis
http://www.mecanopolis.org/?p=23461
Pascal Roussel est analyste au sein du Département des Risques Financiers de la Banque Européenne d’Investissement (BEI). Auteur du livre « Divina Insidia, le Piège Divin ».
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflète pas nécessairement l’opinion de la BEI ou de son management.
Notes :
ii http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2010/03/04/04016-20100304ARTFIG00056-papandreou-met-l-ue-et-le-fmi-en-concurrence-pour-une-aide-.php iii http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2011-05-09-La-dette-les-peuples-et-DSK#nh3 vi http://www.ecb.int/press/pressconf/2010/html/is100408.en.html vii http://www.imf.org/external/french/np/sec/pr/2010/pr10462f.htm xii http://www.touteleurope.eu/fr/actions/economie/euro/actualite/actualites-vue-detaillee/afficher/fiche/4411/t/43803/from/2277/breve/les-etats-adoptent-des-mecanismes-de-surveillance-de-prevoyance-et-dassistance-a-ces-membres.html?cHash=2dba29b12b
Article placé le 13 juin 2011, par Mecanopolis